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La Mare Rouge - Page 16

  • salle des casiers

    La seule bonne nouvelle de la rentrée scolaire était de découvrir que la réorganisation des casiers l'avantageait car elle n'avait plus à se contorsionner derrière les fauteuils en faux cuir de la salle des profs pour atteindre le nouveau compartiment situé, à présent, à sa hauteur. Il avait même l'air plus profond que le précédent.


    Elle prit un cappuccino à la machine à café pour fêter cela. Portée par son enthousiasme, elle tourna la tête pour proposer aux présents un expresso ou un thé, mais tout le monde avait quitté la pièce. Elle célébra donc le moment toute seule puis jeta son gobelet en plastique dans la nouvelle poubelle de tri jaune votée au dernier CA avant de rejoindre ses collègues en salle polyvalente pour "la matinée pédagogique".

  • Sacré drôle

    Un sacré drôle que celui-ci.
    Souviens-toi, il passait son temps à pester contre la superficialité, la versatilité, la méchanceté, la vénalité des femmes, ne recherchant dans le même temps que la compagnie du genre de créatures qui le menait systématiquement à sa perte. Ce qui m'a toujours paru étrange, c'est qu'il n'ait jamais fait le lien entre son goût passionné pour les femmes fatales, les bimbos, les femmes-enfants et son dégoût pour toute l'engeance XX. Il est pourtant évident que la fréquentation assidue de ces sortes d'êtres ne pouvait que le conforter dans sa misogynie.

    Nous avons bien essayé de l'aider, un moment, rappelle-toi. Nous lui avions présenté une jeune femme curieuse, intelligente, jolie, altruiste et vive. Quel était son prénom, déjà ? Barbara ? Une chouette fille, bibliothécaire spécialisée dans la littérature de jeunesse. Ça a duré combien de temps ? Un mois, deux ? Il l'a quittée pour une Valériane aussi cruelle que sexy qui lui a fait cracher ses dents. Barbara avait "toutes les qualités qu'un homme pouvait attendre d'une femme" mais elle était "trop gentille" et "elle portait des pantalons". Ce furent ses mots. Il fallait que les jambes soient immédiatement visibles, que la silhouette soit, dans l'instant du premier regard, remarquable et attirante. La sophistication, voilà ce qu'il appréciait chez LA femme. Qu'elle prenne soin d'elle et même beaucoup plus. Bref.

    Il est sorti, ensuite, avec Pamela, une carriériste peroxydée, Florence, une femme-ado capricieuse et tyrannique et Bérengère, une magnifique quadragénaire chef d'entreprise perverse narcissique dressée sur des Louboutins.

    Toutes ces aventures n'ont fait que mener à son paroxysme sa détestation des femmes.

    Il vit seul à présent. Je le sais par une collègue de travail qui est devenue sa voisine de palier. Une femme célibataire, sensible, naturelle et pleine de charme qui n'a donc aucune chance de lui plaire.

  • Psaume 22.

    Tu as une odeur de gitane et de whisky

     

    tu cuisines des plats du dimanche le dimanche et des spaghetti le samedi midi

     

    tu joues de la clarinette, du saxophone et du banjo

     

    tu écoutes France Inter

     

    tu fais de la sérigraphie et de la photographie

     

    tu écoutes Les Nocturnes de Chopin, la sonate en A major de Schubert, la 7e de Beethoven

     

    tu prépares du Quaker avec un jaune d’œuf dedans pour les petits déjeuners de jour d'examen

     

    tu dis C'est toi qui paies EDF ?

     

    tu dis C'est des chanteurs ça ? en entendant Indochine et Cure

     

    tu m'offres le coffret de Brel pour noël, le coffret de Piaf pour mon anniversaire, le coffret de Brassens pour rien

     

    tu écrases le chat sans le faire exprès (il s'est caché sous le moteur) et tu n'oses pas nous le dire

     

    tu m'aides à faire mes devoirs de maths et tu utilises des briques de Légo pour que j'y comprenne quelque chose

     

    tu ne veux pas qu'on entre dans la cuisine quand tu cuisines

     

    tu dis C'est un plat fait avec amour mais tu ne dis pas Je t'aime

     

    tu pleures quand mon cousin Laurent meurt à l'âge de 10 ans

     

    tu pleures quand tu apprends que tu es licencié

     

    tu as un rupture d'anévrisme, une première crise cardiaque, un pontage, une deuxième crise cardiaque.

     

    Un jour, tu meurs. Je cours chercher ton voisin pasteur qui lit le psaume 22 à ton chevet tandis que je te tiens la main. Je me demande si j'ai bien fait mais c'est la première chose qui m'est venue à l'esprit ce jour-là.

     

    Tu me pardonneras.

     

     

     

  • 48 minutes

    Elle s'était retrouvée dans la rue, le téléphone à la main, à 22h15. Elle attendait que son portable se mette à vibrer en anticipant le message qu'elle y lirait :  Tu es où ?  Ce qu'elle ne savait pas, c’est le temps qu'il mettrait à apparaitre sur l'écran. Elle se demanda s’il lui fallait rester dans le coin à attendre ou rentrer chez elle. Ce qu'elle savait, c’est que le temps qu’il lui faudrait patienter serait un signe à prendre en compte. Elle décida d’errer un peu dans le quartier espérant que l'instant la séparant du SMS ne serait pas si long. Au bout de quinze minutes, elle entra dans un bistrot encore ouvert, où s'entassaient des étudiants joviaux et bruyants et s'installa au bar où elle commanda un Baileys. Elle ne se souvenait pas du goût de cet alcool. Elle avait dû en boire une fois dans sa vie. Bouteille piquée dans le bar des parents d'une copine de lycée un soir d'anniversaire. Elle se concentra à chaque gorgée sur le goût de la crème de whisky dans la gorge pour éviter de penser au message. Un alcool pour vieux, finalement, à la saveur aussi obsolète que les vieilles tapisseries orange et marron des années 70. 

    T’es passée où ?

    Elle ne répondit pas et rentra chez elle. La dernière image de la soirée, c'était lui, assis sur un canapé, en face d’une jeune femme brune à frange courte qu'elle ne connaissait pas. Le buste penché vers elle, il faisait de larges gestes pour expliquer quelque chose qui la faisait rire. Elle avait observé leur posture et leur langage corporel un moment puis était allée chercher son manteau et son sac. Dans le hall d'entrée, Isabelle lui avait demandé pourquoi elle partait si tôt. Un lever aux aurores et un travail à rendre, avait-elle prétexté.

    Il lui avait fallu 48 minutes pour se rendre compte de son absence et s’en inquiéter.

    Elle s'endormit avec le goût suranné du Baileys dans la bouche.

     

     

     

     

    illustration : AUTOMAT, de Edward Hopper

     

     

  • château hanté

    - Madame, on a trop peur, est-ce qu'on peut vous tenir la main ?

    Dans le noir presque complet du château hanté de la vogue de la Croix-Rousse deux minuscules mains s'accrochent aux miennes. Je n'ose pas dire aux deux fillettes que je suis aussi effrayée qu'elles depuis que j'ai été abandonnée par mon jeune fils qui court quelque part devant. Mais puisqu'elles me le demandent, je fais l'adulte et j'essaie de ne pas trop crier quand une momie nous frôle en murmurant des trucs bizarres et que des toiles d'araignée viennent s'accrocher à nos cheveux.

    On se découvre à la sortie du château, toutes les trois un peu aveuglées par la lumière du jour. Elles me remercient poliment et me lâchent la main pour continuer de vivre leur vie de petites filles sûres de la robustesse et de l'invulnérabilité des adultes.

    Elles ont bien le temps de savoir...

     

     

  • LE MESSAGE

    Chaque fois qu'elle arrive devant une œuvre avec son groupe de centre aéré, la jeune guide du Musée des Arts Modestes de Sète pose la même question :

     

    Alors, les enfants, QUEL EST LE MESSAGE de l'artiste ?

     

    Je me mords la langue pour ne pas dire aux enfants, à l'instar de Brel, que non, l'artiste n'est pas un FACTEUR et que donc non, il n'a pas forcément un MESSAGE à transmettre. Qu'en conséquence, ils peuvent cesser de froncer des sourcils dubitatifs et inquiets et se laisser aller sans vergogne à une contemplation immotivée et jubilatoire de ces formidables créations venues de Kinshasa.

     

    Mais je n'ose pas car, pour la troisième fois, elle demande qu'on réfléchisse EN SILENCE.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Mega Mingiedi © Pierre Schwartz
  • Tatami

    Dans un documentaire sur François Mitterrand, Laurent Fabius confie que la devise du président était "La vie, c'est du judo" car "il est possible de faire de ses faiblesses une force".
    C'est aussi ce que l'on m'a vendu à l'âge de 10 ans pour m'inviter à m'inscrire au club d'art martial du mercredi après-midi à l'école primaire de Saint-Jouin Bruneval.
    J'ai été maintenue à terre sur les tatamis pendant 6 mois par une Marilyn Fouache de 15 kilos de plus que moi. Elle aussi murmurait à mon oreille "La vie, c'est du judo" et on ne peut pas dire que c'était une bonne nouvelle pour moi.

  • Cx-Rousse by night

    Le 19 octobre 2018 à minuit, sur de cossues terrasses croix-roussiennes, les fillettes de 13 ans boivent de la vodka au goulot et se roulent des pelles sur des airs de RnB français

    Esthétique sophiacoppolienne

    B.O signée Aya Nakamura

    J'm'en bats les reins, j'ai besoin d'un vrai Jo

    Mais tu veux la plus bonne-bonne-bonne de mes copines

    Tu veux tout bombarder, bom-bom, bombarder, hey
    Tu veux tout bombarder, bom-bom, bombarder ouais

    Tu veux la plus bonne
    Tu veux la plus fraîche
    Tu veux la plus bonne
    Tu veux la plus fraîche

  • masquer la publication

    Depuis quelques années, un petit garçon de RDC court sous la pluie et dans la boue à travers les fenêtres de nos écrans de portables. Il exécute des allers-retours paniqués malmené par un adulte brutal, le dos courbé sous des charges trop lourdes pour lui.

     

    La légende de la vidéo précise que "ces enfants esclaves extraient à main nue le colbat de nos smartphones".

     

    Facebook propose :

     

    - masquer la publication

    - se désabonner

     

    J'éteins l'écran de l'ordinateur et l'enfant poursuit son interminable course effrayée quelque part sur Terre.

     

     

     

     

    Image : un jeune garçon dans la mine de Shinkolobwe au sud-est de la République dominicaine du Congo, Schalk Van Zuydam/AP/SIPA.

  • Salle des profs

    Elle dit : J'ai un amant riche et un amant pauvre, avec l'un, je dors dans des palaces, avec l'autre, je fais l'amour dans des Formule 1.

    Elle dit : Je m'assois à la terrasse du café du palais de la Justice parce que c'est là que viennent déjeuner les magistrats. Je croise et décroise les jambes.

    Elle dit : Tu devrais faire comme moi, prendre un coach sportif à domicile, c'est plus pratique.

    Elle dit : Je t'ai prise comme alibi même si l'on n'est pas amies. Quand je vais voir mon amant, je dis à mon mari que je suis avec toi. Tu es une collègue de travail avec qui je prépare un projet pédagogique. Tu pourras confirmer si je te croise avec lui ?

    Elle dit : T'as une sale gueule ce matin.

    Elle dit : Je ne viendrai pas à la réunion de 14h, mon riche amant m'attend à Lisbonne. Il me paie l'aller-retour en avion pour que l'on déjeune ensemble.

    Elle dit : Regarde, c'est lui sur son yacht. Il est beau, non ?

    Elle dit : Je crois que mon mari se doute de quelque chose.

    Elle dit : Sa femme a découvert notre histoire. Elle a voulu me rencontrer. Elle est superbe, on dirait une mannequin. Je me demande ce qu'il fait avec moi.

    Elle dit : Dis donc, ton cul, il a pas triplé de volume ?

    Elle dit : Je suis enceinte mais je ne sais pas si c'est de mon mari ou de mes amants. Je ne vais pas le garder.

    Elle dit : Je crois que je vais passer un concours de direction. 

     

  • La matière

    L'un des jours les plus heureux de mon enfance est celui où j'ai pu passer pour la première fois un pain dans la machine à trancher de la boulangerie de mes grands-parents.
    J'ai déposé un bâtard derrière les lames et il est ressorti parfaitement coupé. Je l'ai emballé dans un papier blanc dont j'ai tortillé l'extrémité comme je voyais le faire ma grand-mère, puis, je l'ai tendu, l'air désinvolte, à la cliente qui n'a pas su qu'elle assistait au plus beau de jour de ma vie . C'est normal, j'exultais en silence. La pudeur.
    A l'époque, je crois que j'aurais aimé avoir aussi un grand-père boucher-charcutier pour pouvoir, un jour, passer de la viande rouge dans un hachoir. J'aurais été au comble de l'exaltation, c'est certain.
    Mais mon autre papi était imprimeur. Les lettres, c'était moins excitant que la matière.

  • Litanie

    Vas-y elle prend pas mon carnet
    à croire j'ai tué quelqu'un
    j'ai tué quelqu'un ?
    j'ai mis le feu ?
    vas-y je sors pas je sors pas
    à croire j'ai violé quelqu'un
    à croire j'ai vandalisé des choses
    J'ai rien fait
    J'ai fait quoi ?
    y a que moi ?
    y a tout le monde
    tout le monde y fait des trucs
    tout le monde y parle
    vas-y je donne pas mon carnet
    je vais me faire latter par mon père
    j'men bats les couilles
    mon père il est plus fou que moi
    Pourquoi y ferme pas sa chatte lui ?
    qu'est-ce t'ouvres ta chatte pélo ?
    c'est de ta faute si je suis viré
    vas-y ça tombe toujours sur moi
    Je vais tous vous défoncer
    Je vais tous vous défoncer
    Je vais tous vous défoncer.

     

     

     

     

     

    Photographie : École Charles Victoire, Le Havre, 1977.

  • transports en commun (suite)

    C'est un jour de grande courtoisie dans le métro. Chacun cède sa place à l'un de ses compagnons de voyage dans une chorégraphie subtile et minutieuse. L'adolescent se lève pour la jeune femme avec son enfant, la jeune femme pour le vieil homme à casquette, le vieil homme pour la dame enceinte, la dame enceinte pour la jeune fille à béquilles, si bien que l'on se met à fantasmer une communauté aussi harmonieuse et ajustée au-delà de la troisième voiture de la ligne A. Heureusement, le coup d'épaule et la roue de valise qui vient écraser mon pied à la sortie du quai me ramènent à une juste appréhension de l'ordre du monde.

  • L'Origine du monde

    Cette manie humaine de vouloir à tout prix résoudre tous les mystères de l'univers...


    Ne pourrions-nous pas d'un commun accord perpétuer quelques ténèbres et silences ? encoffrer jalousement quelques secrets immémoriaux ?

    Et, pour y parvenir doit-on, comme Barbe bleue le suggère, pendre à des crochets tous les pourfendeurs d'énigmes ?

    Il serait fâcheux d'en arriver à ces sortes de solutions extrêmes, j'en conviens. Moi non plus, je n'aime pas trop la violence.

    Mais comprenez.

  • L'histoire de Pierre

    Quand, Pierre, disquaire de 25 ans, avait rencontré Judith, lycéenne de 17 ans, il lui avait dit assez rapidement qu'il préférait sortir avec des filles de moins de 20 ans, car, à partir de cet âge, elles devenaient mois drôles, plus exigeantes, plus sérieuses, en un mot "plus CHIANTES".

    Ils avaient passé trois insouciantes années à s'amuser, danser, aller au concert et à faire ce que font à peu près tous les amoureux de la terre.

    Quand, Judith, étudiante, atteint l'âge de 20 ans, il la quitta, en toute cohérence, pour une jeune Bénédicte de 18 ans.
    Judith n'avait pourtant pas l'impression d'être devenue beaucoup plus enquiquinante que trois auparavant. Tout au plus, plus affûtée et sensée.

    Bref, le contrat amoureux était rompu.

    Elle apprit, 5 ans après, que Bénédicte avait elle-même été remplacée par Sandrine, puis Sandrine par Valérie.

    Elle n'avait plus suivi l'affaire.

    Quand Judith avait revu Pierre, par hasard, 25 années plus tard, elle lui avait trouvé l'air vieux et fatigué.
    Il était marié à une Audrey et avait une fille de 17 ans.
    Pour laquelle il se faisait beaucoup de souci.

  • Tinder time

    Ma voisine de banquette TCL fait défiler sur son écran de téléphone un diaporama de jeunes hommes, grâce à son application Tinder. Elle sélectionne, zoome, visionne, revient sur la photo précédente avec une agilité et une vélocité qui forcent l'admiration.
    Cible masculine: Hipster tatoué et/ou percé, moyenne d'âge : 30-35 ans, profil social : classe moyenne à classe moyenne supérieure.
    Elle communique simultanément avec trois d'entre eux. Ils se prénomment Dimitri, Paul et Benjamin.
    Elle use et abuse de smileys : celui qui sourit, celui qui s'esclaffe, celui qui fait un clin d’œil.
    Son prénom est Eva (un pseudo ?).
    Ses amants virtuels et potentiels ne peuvent pas voir que son collant Dim satin couleur chair est train de gentiment filer sur le bas de sa cuisse, à 17h38, station Grange-Blanche.

  • Naufrage Louboutin

    - Tu te souviens de Brigitte, cette fille très sophistiquée, maquillée, pouponnée, talonnée, brushée qui travaillait au service commercial de l'agence et qui répétait sans cesse :

    Je ne me fais pas belle pour les autres mais pour MOI, pour ME plaire.

    On ne l'a plus vue du jour au lendemain.

    Figure-toi qu'elle a fait naufrage sur une île déserte avec sa malle de jupes, robes, Louboutins, fer à friser, fer à lisser, bandes dépilatoires et trousse de maquillage complète, rouges à lèvre et vernis à ongles de chez Guerlain...

    - Oh ? 

    - Oui. Il semblerait qu'au bout de deux semaines à peine, elle ait tout balancé et ait passé le restant de son temps en bermuda et crocs dans un bungalow abandonné sur la plage. Mais, le jour où un navire est venu la sauver, elle a demandé aux matelots d'attendre quelques minutes. Elle est ressortie de sa cabane, maquillée, pouponnée, talonnée, brushée. Je vous suis, Capitaine ! elle a dit en prenant son bras.

    - Sacrée Brigitte.

     

  • transports en commun

    - Dites, madame, est-ce qu'on a le droit de balancer par dessus bord la poésie quand elle laisse le monde endormi dans les rames à 7h du matin ? Peut-être que comme ça elle fera au moins un bruit intéressant au moment du broyage ? Peut-être même qu'on sursautera tous au même moment, ça nous fera un point de contact commun dans les transports en. Non ?
    - Oui, mon petit, tu en as le droit. Tu en as le devoir, même. Mais arrête tout de suite de faire des bulles avec ton chewing-gum, tu sais bien que ça m'énerve.

  • Dorian Gray

    Mon dieu. La crasse accumulée derrière le réfrigérateur pendant 10 années. Faites qu'elle ne représente pas une espèce de symbolique à la Dorian Gray de ma vie. Le livreur du nouvel appareil électroménager m'a à peine rassurée en me certifiant : c'est la même chose chez tout le monde, vous savez.
    Justement. Pauvre humanité....

  • LUI

    Non mais tu vois, elles sont pénibles les bonnes femmes quand elles arrivent à la ménopause. Et ça se plaint, tout le temps et ça se trouve plus belle et ça se tire sur la peau en disant "Tu crois que je devrais penser à la chirurgie ? Et mes seins, ils sont pas trop mous ?". Ben si. C'est pas des seins de 20 ans, qu'est-ce qu'elle veut que je réponde ? Pas de ma faute si elle découvre l'huile de pâquerette raffermissante à 50 ans alors qu'elle avait toute la vie pour ça. C'est pas à son âge que ça sert à quelque chose de se badigeonner de crème et de machins. Bon, alors, moi, j'lui dis à longueur de journée : " Mais si ça va, t'es belle. Mais non ça me fait rien tes cheveux blancs qui prennent le dessus. Mais si, ton cul il est encore pas si mal, je te jure". Tu crois que ça la rassure ? Que dalle. Elle me dit :

    "Je vois bien que tu dis ça pour me faire plaisir parce que les femmes sur lesquelles tu te retournes dans la rue, elles ont pas les cheveux blancs, ça non ! Et les photos d'actrices que tu postes sur ton Instagram, ça ressemble pas trop à ma pomme. Ou alors si, à la mienne y a 30 ans. Et tu peux pas virer tes vieux LUI de ma vue ? la couverture de mai 2016 avec Elodie Frégé ? celle avec Virginie Ledoyen et son sale chat ? celle avec Lætitia Casta ? la petite sœur de Lætitia Casta ? elle sont combien les frangines Casta ? elles vont m'emmerder longtemps comme ça ?"

    Tu vois, ça prend des proportions, tout de suite. Elle est grotesque. Elle me fait de ces scènes, faut voir. La dernière fête chez Pierre-Yves, tu te souviens ? Elle me reproche d'avoir passé la soirée à discuter avec la cousine de Marie. Tu sais, la jolie blonde de 30 ans qui travaille chez Orange. Elle s'intéresse à ma musique. Qu'est-ce que j'y peux ? Elle me dit qu'elle aime bien la basse, qu'elle en a fait quand elle était ado et qu'elle reprendrait bien des cours. Elle veut des renseignements. Je renseigne. Bon, j'avoue je l'avais dure toute la soirée, elle m'a un peu cherché la petite. Au bout de deux verres de Spritz, elle arrêtait pas de dire "Je suis pompette" en remontant ses cheveux derrière sa nuque avec des petites perles de sueur qui gouttaient sur son cou. Je te jure que si Christelle n'avait pas été là, je lui faisais visiter tous les recoins de la maison. Mais l'autre, elle me fixait de loin avec son regard de hyène furax. Pourtant, je dois dire qu'elle avait fait des efforts ce soir-là, Chris. Elle avait mis sa robe des grandes occasions, la rouge lacée dans le dos avec le décolleté qui descend loin sur les reins, à la Mireille Darc, tu vois ? Et les talons. Elle sait que j'aime ça, sinon elle est trop petite. Elle a les jambes un peu courtes, Christelle. Mais bon, quand même quand elle fait des efforts, elle est franchement regardable encore. Tu te souviens d'elle à la fac ? Une bombe. On peut pas dire. Aujourd'hui, y a tout qui croule lentement, c'est tout de même pas ma faute. C'est les hormones, c'est je sais pas quoi, mais j'y peux rien. Qu'elle me lâche. Quand on est rentré, c'était reparti, elle m'a répété que je ne la regardais plus, qu'elle était transparente et que d'ailleurs plus personne ne s'intéressait à elle. Elle a pleuré en disant que je l'avais humiliée aux yeux de tout le monde en draguant la cousine de Marie. Son mascara coulait sur ses paupières fripées, son fond de teint traçait de grosses rigoles verticales des joues au menton, j'ai vu la peau de son cou qui faisait comme un pli que je n'avais jamais remarqué...

    Et, oui, je l'ai trouvé vieille.

    Je l'ai quand même prise dans mes bras pour qu'elle arrête de geindre et je ne sais pas comment, ça s'est fini au lit... Elle a joui. Moi aussi. En pensant à la blonde de chez Orange. On s'est endormi. Je lui ai promis que je rangerai mes LUI.

    D'ailleurs, si je pouvais les archiver chez toi ? Tu t'en fous, Patricia est partie de toute façon. Et moi, j'y tiens à mes petites femmes.

     

     

     

     

     

     

    photo : LUI - Magazine LUI - N° 49 - Janvier 1968 - Parfait état - Rare et Psychédélique

  • poisson-volant

    Quand l'exocet, dit "poisson-volant", tente d'échapper à son principal prédateur marin, la dorade-coryphène, il s'éjecte hors de l'eau et plane quelques secondes au-dessus des vagues. C'est juste le temps qu'il faut à la frégate du Pacifique pour le repérer, s'élancer vers lui et entreprendre de le saisir au vol. L'exocet plonge alors dans l'océan et se voit de nouveau chassé par le carnassier des mers chaudes qui ne lui laisse aucun répit.

     

    Il jaillit dans le ciel, exécute un saut de l'ange dans la houle, s'élance hors de l'eau, plonge, nage, saute, vole, chute, nage, vole...  Sa danse ininterrompue entre flots et nues est un ravissement pour les yeux des  observateurs munis de longues vues et jumelles.

     

    Bien sûr, ne comptez pas sur moi pour arguer une quelconque leçon du théâtral destin du poisson-volant.

     

     

     

     

    Illustration : Alfred Moquin-Tandon, alias Alfred Frédol, "Le monde de la mer" en 1866 : Planche XXVI, Poissons volants, dorades et albatros.

     

  • Des figues et du pain

    Je fais une dinette du dimanche avec la petite vieille dame du sixième étage. Au marché, j'ai acheté pour elle des figues, du fenouil, du fromage de brebis et des olives au citron. J'ai fait un pain. Elle mange très peu.

    Elle dit : Quand mon mari était là, on était bien.
    Elle dit : Mon médecin me regarde mourir.

    Je me demande combien d'années il me faudra attendre avant que mes voisins ne m'évoquent en parlant de "la petite vieille dame du 3e étage" (ce qui dans le cas de mon mètre 77 serait cocasse).
    Je me demande combien de temps il me faudra attendre avant que mon médecin ne me regarde mourir.

    Elle dit : Mon généraliste m'a donné un sirop pour une toux persistante. Quand je suis allée à l'hôpital, j'avais une pleurésie.
    Elle dit : Mon mari était un homme élégant et délicat. Nous ne nous sommes pas quittés plus de quelques jours durant nos 50 années de vie commune.

    Elle dit : A quoi ça sert tout ça, la vie, maintenant ?

    Je ne sais pas quoi répondre. Je me demande aussi à quoi ça servira, quand, si...
    Je lui ressers une cuillère de salade de fenouil et une figue. Il faut manger, quand même.

     

     

     

     

     

     

    image : http://mpcazaux.free.fr/galerie/displayimage.php?pos=-9

  • Une belle plante

    Une belle plante, me dit-il, qui a engendré beaucoup d'envie et même de jalousie autour de moi, tu le sais. Bien grasse, bien verte, majestueusement épanouie. Une vraie déesse. J'en ai pris soin, tu es en témoin. J'ai choisi le plus beau pot de gré assorti à sa couleur jade, le meilleur terreau organique. Je l'ai arrosée à l'aide d'un spray caressant dans une ambiance feutrée chaque jour de notre vie commune. J'ai conçu pour elle, des heures durant, des playlists de musique du monde (les créatures végétales de son espèce y sont sensibles). Je l'ai protégée des prédateurs. Personne n'avait le droit de l'approcher en mon absence. Un jour, je l'ai posée sur la petite table basse du balcon pour qu'elle prenne un peu l'air, hé bien, figure-toi que le voisin d'en face n'a eu de cesse de l'épier de loin, derrière ses rideaux ! Je n'ai jamais renouvelé l'expérience. Je ne voulais pas qu'elle devienne la proie de voyeurs ou de satyres. Dieu sait qu'il en existe de toutes sortes que son caractère ingénu n'aurait pas su éloigner.

    Et voilà comme je la retrouve ce matin. Vois !  Sèche, grise, déprimée, flétrie. Je ne comprends pas. Je ne comprends pas. Mais quoi, alors ? Quoi ? 

    Toi qui la connais, si tu sais quelque chose; tu n'as pas le droit de me le cacher . Me dit-il.

  • Le jour sans fin

    Le père croix-roussien de cinquante ans qui a "refait sa vie" pousse un landau sur le boulevard dominical, flanqué d'un ado-Vans et d'une trentenaire-Antoine et Lili.

     

    Je croise son regard hagard au moment où elle interroge, suspicieuse :

     

    - Tu as pensé aux couches lavables Bio Baby ?

     

    Tel Bill Murray, le père croix-roussien qui a "refait sa vie" semble condamné à revivre son Jour sans fin à lui, jusqu'à ce qu'il comprenne quelque chose.

     

    Mais quoi ?

     

     

     

     

     

     

     

    image extraite de Un jour sans fin réalisé par Harold Ramis (1993)

  • une folle, quoi

    Une vraie dingo.

    On a plaisanté, une fois, à la caisse du Super U du quartier à cause d'une histoire de file d'attente interminable et, depuis, son comportement avec moi est complètement irrationnel.
    Un jour, elle me salue chaleureusement, à la limite de la familiarité et me tend la joue pour que je l'embrasse, le lendemain, elle passe devant moi sans me voir et ne répond pas à mes "bonjour" surpris.
    Cela se répète 5 fois dans le mois. Je la vois passer par tous les stades de la cyclothymie : du tapotage d'épaule enjoué à l'arrêt du C 13, à l'indifférence radicale dans le rayon yaourts et produits frais du U alors que je lui souris clairement.

    Une folle, quoi.

    Si bien qu'irritée par la situation, je décide de ne plus la saluer du tout.

    Il me faudra deux mois pour comprendre que je croise une fois sur deux sa sœur jumelle.

    Évidemment, c'est moi qui deviens la dingue du quartier.

  • Agence ELITE-FRONTEX

    Dans les années 2020, la guerre était, elle aussi, tenue de se présenter sous son profil le plus "sexysthétique" sous peine de n'intéresser personne. "Le réseau" postait de plus en plus d'images de résistantes des conflits modernes donnant l'impression que toutes les rebelles sortaient de l'agence de mannequinat Elite. Les jeunes êtres des exodes et conflits se devaient d'être particulièrement photogéniques pour faire la double page des journaux. Les yeux vert d'eau étaient particulièrement recherchés, "clic-clic" devant les décombres et les ruines. Il en était ainsi des photos de manifestantes de tout poil dans les grands rassemblements, voilées ou cheveux au vent.  On faisait des gros plans sur les yeux en amande, les mèches rousses et blondes et sur les poings levés les plus mignons des révolutionnaires en germe.

     

    Fort de ce constat, Jean-Phil Gauthiot organisa, en 2026, un méga défilé parisien constitué de modèles castées dans les favelas du Brésil, le bidonville de Dharavi à Mumbai et les camps de réfugiés africains (notamment, le Dollo-Ado éthiopien et le Kakuma Kényan). L'objectif annoncé par le créateur était de "rompre une fois pour toute avec l'archétype de beauté occidental propagé depuis des décennies de manière despotique dans le monde de la mode et du mannequinat". Le public applaudit à tout rompre l'audace de cette proposition de mixité ethnique sur les podiums. Toute la collection était créée à partir de matériaux recyclés, récupérés dans des campements de réfugiés avec l'aide de Frontex, l'agence de surveillance des frontières européennes. Une grande première.

     

    Jamais la misère mondiale ne parut aussi séduisante et désirable.

     

    Le défilé connut un succès international, fut retransmis sur toutes les chaînes et la collection de pièces uniques se vendit à prix d'or auprès des milliardaires de la planète.

     

    Une fois tout le ramdam passé, on remercia les jeunes modèles d'avoir contribué à "l'élargissement du champ esthétique de l'univers de la beauté" puis on les renvoya d'où elles venaient, non sans les avoir rétribuées généreusement. Libres à elles, après cela, de se comporter en égoïstes frivoles en fuyant leur milieu de vie originel ou de se conduire en citoyennes responsables et altruistes au sein de leur communauté.

     

    On n'allait pas tenir leurs mains jusqu'à la fin des temps, aussi mignonnes soient-elles.

  • Gimmick

    En 2033, les scientifiques créèrent une puce électronique capable de déceler les signes d'infidélité amoureuse et sexuelle au sein des couples. Cette invention fit tout de suite un tabac. La plupart des amoureux voulurent se procurer ce système de test irréfutable tant et si bien que la firme qui avait acheté le brevet se trouva rapidement en rupture de stock. Le gadget devint le premier cadeau des listes de mariage et celui que s'offraient, dans les premiers mois de leur relation, les jeunes couples certains de leur amour infaillible.

    La puce implantée à la base de la nuque était reliée à un boîtier en possession du conjoint. Dès les premiers frissons de tromperie, l'autre en était informé. Bien sûr, il existait une échelle graduelle de l'adultère. La puce était extrêmement subtile et précise. Elle n'attendait pas un coït ou un baiser pour signaler l'infidélité. Non. Elle envoyait une alarme au moindre trouble ressenti en présence d'un autre être humain. Un échange en MP avec un(e) inconnu(e) sur facebook, un croisement de regards à la boulangerie, un effleurement de bras dans les transports en commun provoquaient dans l'instant une réaction de la puce qui envoyait au partenaire l'information accompagnée d'une analyse fine de l'émotion ressentie.

    En quelques mois on assista à une ascension exponentielle du taux des divorces et séparations. Du jamais vu dans l'histoire de l'humanité. Les villes et les campagnes du monde explosaient hystériquement à chaque coin de rue. On voyait sur les trottoirs des hommes supplier à genoux leurs compagnes, criant, niant, jurant sur tous les dieux leur fidélité, leur amour inconditionnel. On voyait des femmes s'accrocher aux jambes de leurs compagnons se lamentant, clamant leur allégeance et leur adoration. On a même vu à cette époque des scènes sanglantes d'auto-mutilation et d'extraction de puces à vif sur la place publique.

    La faillite de l'entreprise internationale fut aussi instantanée que l'avait été son succès (cependant, les dirigeants avaient eu le temps d'amasser un beau pécule leur permettant d'investir dans un nouveau gimmick révolutionnaire).

    Peu à peu la vie reprit son cours. Les amants s'observaient à présent avec un peu plus de suspicion qu'avant la chose mais se gardaient bien de trouver les moyens de donner raison à leurs doutes.

     

     

     

     

     

    Image : Celos por Julio Romero De Torres (1920). Joaquín Alcaide de Zafra

  • Ficoïde glaciale

    En matinée, chez Danny, son coiffeur attitré, elle refit sa couleur Rose Gold châtain. Puis, elle passa deux heures à l'institut de beauté pour un gommage de cellulite, un modelage anti-ride à la Ficoïde glaciale et une épilation intégrale. En début d'après-midi, elle acheta un nouvel ensemble culotte-soutien-gorge en soie prune dans une petite boutique de dessous chics du 6e arrondissement. Dans la cabine d'essayage, devant le miroir, elle félicita son assiduité aux cours de fitness et d'abdos-fessiers (son maître spirituel aurait loué sa bienveillance envers elle-même). De retour chez elle, elle prit le temps de choisir la toilette la plus élégante de sa garde-robe, une petite robe noire sexy juste ce qu'il fallait pour son âge. Elle chaussa ses escarpins vernis de 7 cm et glossa ses lèvres avec le dernier Guerlain rouge infini.

    Quand elle arriva au cocktail annuel des magistrats du parquet, son mari lui offrit une coupe de champagne, puis passa la soirée à discuter avec la nouvelle stagiaire du procureur général.

    Elle s'ennuya beaucoup, comme d'habitude.

     

     

     

     

    Morning Sun by Edward Hopper

  • Sur leur dos

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    Pendant qu'on suçote nos berlingots de lait concentré et que le mono à la guitare joue de la guitare, Géraldine Tomasi perce les boutons d’acné sur le dos de tous les jolis garçons de la colo. C'est la seule faveur qu'ils lui accordent depuis le début du séjour. Ils sont tous amoureux de Katia Bertin qui, elle, est amoureuse du mono à la guitare. Elle lui demande de rejouer La Bombe humaine. Sonia me glisse à l'oreille qu'elle les a vu s'embrasser après la veillée d'hier soir vers les toilettes des filles. Mais tout le monde dit que c'est une mytho.

  • SALOPETTE

    salopette salopette salopette

    salo-pette salo-pette SALO-PETTE SALO-PETTE

    salo-pette salo-pette

    pette-salo pette-salo

    PETTE SALO PETTE SALO SALO

    PETTE PETTE PETTE

    PETTE SAL/

     

    Mme Bertinot interrompt de façon tout à fait triviale et inopportune ma première performance de poésie sonore en duo avec Patricia Messier sur un banc de l'école maternelle Henri Wallon à l'heure des mamans. Nos camarades de classe commençaient juste à manifester leur adhésion et leur joie.

    Elle nous met toutes les deux au coin parce qu'on dit des choses dégoutantes et ce sera répété aux parents.

    La tête contre le mur, je médite l'idée que la poésie,

    1- c'est pas très propre

    2- ça peut causer des ennuis

     

     

     

     

     

     

    reproduction : Erro, Canal Grande, 1976.