Bénédicte était en totale panique. Alors qu’elle était le soir-même l’invitée référente d’une table ronde intitulée « Sois belle et tais-toi : la publicité, antre du sexisme ? », Stanislas, son coiffeur attitré, lui faisait faux bond et elle ne parvenait pas à remettre la main sur son petit chemisier en soie vert assorti à ses yeux qui mettait si bien en valeur sa svelte silhouette.
Réseau social
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Panique
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La maman étanche
7h10, ligne A, bébé dans sa poussette lève les yeux vers maman, son bonnet, ses écouteurs, son smartphone, son écharpe, son masque. C’est bon, il reste encore les yeux.Ah non, ils sont fermés. -
les garçons
Les garçons aussi ont besoin de nousles garçons ont besoin de nousau même titre que les fillesles garçons ont besoinvraiment besoinils ne sont pas plus fortsils ne sont pas plus sûrsils ne sont pas plus solidesnonpas plus robustesl’élève écrit« à chaque fois que je la voisje recule d’un paselle sourit quand elle me voitpourtant j'ai peur d’elleje recule d’un pas, vite »les garçons ont peurde ne pas être à la hauteurles garçons disent des bêtisessur les fillesparce qu’ils n’y comprennentpas grand-chosesouvent rienles garçons ont besoin de nousils ne sont pas moins fragilesils ne sont pas moins vulnérablesles garçons aussiont besoind’être pris dans nos brasconsolésprotégésd’eux-mêmes parfoissi on veut éviter la catastrophela grande catastrophedutrop tard -
lutte
Si la colère qui t'animeest plus destructrice que créatrice,si la lutte que tu mènes,aussi légitime soit-elle,exclut plus qu'elle ne rassemble,si la lutte que tu mènesdépose dans ton cœurplus d'aigreur que de joie,alors… -
Les voeux de la Mare Rouge
2021 :Soyez toujours prêt à être surpris.Swami Prajnanpad.LOVE -
Amours clandestines
Il fallait bien admettre un fait. Depuis le début du XXIe siècle, qui correspondait à la démocratisation et la banalisation de l'usage du smartphone, les amants modernes vivaient leurs amours clandestines et adultères - aussi romantiques et passionnées fussent-elles - en grande partie
aux toilettes.
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ado femelle
L'ado mâle se trouve souvent bien décontenancé face aux réactions de l'ado femelle qui s'accroche à son cou.
Celui-là, par exemple, pris au piège dans le métro, ne peut plus regarder sur sa droite ni sur sa gauche sans recevoir une petite tape sur la tête ou sur la nuque. L'ado femelle a tracé un périmètre de sécurité autour de son mâle ado et manifeste son affection à coups de tête plus ou moins brutaux sur l'épaule de son jeune amoureux.
Puis, elle tend son écran de smartphone à hauteur de ses yeux jusqu'à le faire loucher et lui pose une question qui n'appelle aucune réponse :
- Elle est moche, hein, Léa ?
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instagrammable
A ma naissance, mon grand-père avait engueulé ma mère : Tu l’appelles Judith ? Mais tu es inconsciente ! Tu te rends compte s’IlS reviennent…
Jusqu’à mes 5 ans, il m’appellera « la môme Juju », puis il mourra.
Quand je vois aujourd’hui la photo de cette adolescente qui pose dos cambré, poitrine en avant, moue Instagram sur les rails qui mènent à l’entrée du camp d’Auschwitz, je pense à Marceau, à ses mots, à sa peur.
Et ce qui m’effraie, moi, aujourd’hui, c’est cette image impossible de l’Abomination prenant la forme d’une jolie jeune fille souriante, pas plus méchante qu’une autre, répondant certainement à l’injonction d’une amie qui tient l’appareil - le smartphone qui permettra de balancer l’image dans la seconde sur sa page facebook :
Cambre-toi un peu plus, oui, super, on voit bien l’entrée derrière toi, ne bouge plus !
Clic.
Même pas néo-nazie, même pas antisémite. Juste instagrammable.
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De l'aubergine
Cette personne essaie de me convaincre depuis une heure que l’aubergine est un légume délicieux, m’explique pourquoi j’ai tort de ne pas l’apprécier à sa juste valeur, m’énumère tous ses mérites, me vante son goût savoureux, sa texture unique, son parfum subtil au travers d'un argumentaire précis et détaillé dans le but de me ranger à son avis mais je n’en aime pas plus l’aubergine à la fin de son exposé aussi achevé soit-il. Du moins pour le moment. Et cela semble la contrarier au plus haut point. Comme si mon absence d’adhésion faisait injure à son goût alors qu’elle met juste en lumière des appréhensions sensibles et sensitives différentes. Je n’essaie pas de la convaincre en retour de la prédominance de l’épinard sur l’aubergine puisque je sais qu’elle l’a en horreur.
Il en va de même en matière de livres, peintures, sculptures, chansons, films, musique. Combien de discussions vaines quand il s’agit du goût des uns et des autres, combien de temps passé à des disputes inutiles. On se sent blessé là où s’expriment seulement des perceptions différentes du monde construites progressivement depuis l’enfance et plus ou moins affinées avec l’âge.
Qui pour oser dire sans en rire : « Ta perception de l’aubergine est moins pertinente que la mienne » ?
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"Trop chou"
Une dame âgée danse seule sur un son rock et se déhanche avec joie. Le décor fait penser à celui d'une fête de famille.
Qui la filme ? Pourquoi cette vidéo devenue virale a-t-elle été partagée sur les réseaux sociaux ? Dans quel but ?
Sous le petit clip, on peut lire les commentaires : MDR, LOL ou TROP CHOU, ELLE EST TROP MIGNONNE. Des émoticônes rigolards ou des cœurs les accompagnent.
Pourquoi la vieillesse dansante et heureuse déclenche-t-elle systématiquement
rire
et commisération ?
A quel moment le corps mouvant d'une femme devient-il si pathétique aux yeux des autres qu’il ne peut plus engendrer qu’amusement ou pitié attendrie ?
A quel instant précis passe-t-il de la grâce à l'anomalie ?
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idée fixe
Cette femme a tellement l'air heureuse et rassurée de penser que je suis une méchante fille arrogante et hautaine que je n'ose pas la détourner de son idée fixe et lui donne charitablement toutes les occasions de confirmer son impression. On ne peut faire montre de plus d'altruisme et d'attention désintéressée à l'autre, avouez.
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LIKE
Adèle s’est fabriqué un petit algorithme personnel : grâce à lui, elle comptabilise les pouces levés et les cœurs figurant sous ses statuts Facebook et sait précisément qui a liké, à quelle heure et combien de fois dans la journée. A partir de ce savant décompte, elle statue sur l’autorisation qu’elle accorde à ses « amis virtuels » d’intervenir ou pas sur son mur. A moins de trois « likes » par semaine sous ses nouvelles parutions, elle proscrit tout commentaire étranger et renvoie les importuns à leur incivilité. D’ailleurs, elle s’applique cette règle à elle-même : elle a un taux de pouces à distribuer au prorata de l’intérêt personnel qui en découle. Quatre par semaine sous le statut de ce nouvel éditeur qui remarquera peut-être ses textes, trois sous celui de cette autrice un peu visible dans le champ littéraire de la blogosphère, deux autres sous les statuts de ce joli artiste au regard mélancolique qu’elle pourra peut-être sauver de lui-même.
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Dans la vie
Sur Facebook, il passait pour un homme attentif au monde, altruiste et généreux, défenseur des belles causes, protecteur de la nature, sensible au sort des femmes, sensible tout court, humaniste, "poète" à ses heures, bon compagnon, dévoué, fraternel, charitable, philanthrope et désintéressé.Dans la vie réelle, il fallait bien l'avouer, il n'était qu'une grosse fiente. -
point de rupture
Liberté, égalité, fraternité
quand est-ce devenu un slogan ?
Carpe diem
quand est-ce devenu une formule à tatouage ?
Devenir soi
quand est-ce devenu une injonction publicitaire ?
A quel moment est-on passé de l'Essence au bavardage ?
Où est le point de rupture ?
Hand with Reflecting Sphere -- M.C Escher. Lithograph, 1935
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Fenêtre sur cour
Vous sentez comme nos immeubles sont pleins de nous ?
Comme ils sont plus lourds de tous nos corps rassemblés, de toutes nos masses, de nos chairs odorantes à tous les étages, de nos corps enlacés et fourbus, de nos plaisirs communs ou solitaires ?
Vous entendez comme ils bruissent plus clairement de nos pas, de nos rires, de nos repas en famille, de nos mots gros ou doux, de nos cris de jouissance ou de fureur, de nos paroles vaines ou amoureuses ?
Vous sentez comme ils sont peuplés de l’odeur de nos soupes à l’oignon, de nos pains, de nos tartes aux pommes, de nos tajines, de nos gratins dauphinois, de nos sauces bolognaises ?
Vous entendez comme ils résonnent des disputes d’enfants, des batailles d’eau et de polochons, des guerres fratricides et des batailles rangées de warriors, de hobbits, d'orques et de gobelins ?
Pendant ce temps, dans la rue, des mouches volent.
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Pourquoi ne tend-t-on pas l’oreille à ce que veut nous dire le petit virus ?
Pourquoi ne tend-t-on pas l’oreille à ce que veut nous dire le petit virus ?
Bon, d’accord, il tue les plus faibles d’entre nous, ce qui n’est pas très charitable.
Mais, justement, parce qu’il tue, qu’il menace ceux qu’on aime, parce qu’il nous met face à notre impuissance, à notre fragilité, au caractère éphémère de notre condition, que n’en profitons-nous pas pour faire, au moins juste un moment, juste quelques jours, juste quelques semaines, quelques mois,
AUTREMENT ?
Pourquoi ne commençons-nous pas notre révolution ? Et avant, la révolution mondiale, notre révolution interne ?
Pourquoi notre premier réflexe consiste-t-il à vouloir absolument maintenir nos routines ? à râler parce que nos habitudes vont être chamboulées ? à nous jeter fébrilement sur les moyens de travailler à distance pour ne pas perdre le rythme, pour être encore « dedans » coûte que coûte ?
Oui, je sais, les examens à passer, les formations à maintenir, l’argent mis en jeu, la peur de perdre un travail, les micro-entreprises exsangues, la bourse, la récession économique, et… et…
Mais que révèlent ces peurs légitimes ? Un système froid et insensible, implacable, méprisant et hostile à l’humain. Un système qui culpabilise ses membres dès qu’ils émettent un soupçon de volonté de vivre juste un peu pour eux. De se poser, un instant, de s’aimer, de planter un radis et de le regarder pousser.
Un instant.
Après, on sait que tout va reprendre son train d’enfer, de toute façon. Car rien ne dure. Le coronavirus va finir par se faire oublier et on regardera cette période étrange, cette expérience singulière, comme un vieux souvenir.
Il ne tient qu’à nous, puisqu’on est, là, maintenant, ensemble dans le même pétrin, de faire de ce souvenir un moment joyeux, vivant, amoureux, généreux, ouvert aux autres, à soi. Il ne tient qu’à nous d’être inventifs, créatifs. De faire. De récréer notre ordre de manière juste, pour nous et les autres. De mettre enfin en œuvre la grève générale fantasmée il y a quelques mois dans la rue, de la goûter pleinement. Souvenons-nous : cette trêve ne durera pas. La monstrueuse machine va bientôt repartir pour mieux écraser les plus faibles d'entre nous, vieux ou jeunes.
Je sais qu’on n’apprend rien de rien, que les « leçons de l’Histoire » n’existent pas, que l’on n’en finit pas de répéter les mêmes erreurs, siècle après siècle, massacres après famines après génocides après guerres après pandémies. Mais quand même. Si l’on pouvait ne pas ajouter du malheur au malheur.
Le corona nous tend la main : ne pensons pas qu’à laver les nôtres.
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Pas le moment de dire
On m’a dit
que ce n’était pas le moment de dire
que certains flics sont des mecs bien
que certains chasseurs sont des chics types
que certains handicapés sont des gros cons
aussi cons que n’importe quel autre con humain
qu’il existe des féministes prêtes à hystérectomier toutes les « sœurs »
qui ne seraient pas prêtes à émasculer tous les hommes
qu'il existe des écologistes prêts à rayer l'humanité de la Terre
que le racisme est la tare la mieux partagée au monde
qu'il ne suffit pas de se proclamer de gauche pour être un homme bon
qu'il ne suffit d'être une femme pour être une belle personne
que les sado-masos peuvent faire l'amour avec amour
On m’a dit que ce n’était pas décent aujourd’hui
de parler des hommes battus
des hommes violés
des femmes maltraitantes
des femmes incestueuses
des femmes pédophiles
des femmes exciseuses
des femmes de pouvoir
aussi mégalomanes que leurs congénères mâles
On m’a dit :
pas aujourd’hui
tu le diras un autre jour,
plus tard
quand tout ira mieux
quand tout sera réglé.
C’est pas le jour
c’est pas le bon timing
On m'a dit,
surtout :
ta gueule.
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L'ignominie de la bonté (épisode 2)
La gentille horde du Camp du Bien était prête à me laminer, à me faire avaler mes dents, à m’accrocher à des crochets de boucher, à me flageller en place publique pour me m’apprendre à être bonne, altruiste, miséricordieuse, bienveillante envers mes semblables.
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Pour ceux qui hurlent avec les loups
Pour ceux qui hurlent avec les loups (expression bien désobligeante pour les loups, soit dit en passant).
Merci de vos suggestions, mais non, je n'utiliserai pas les mots "personne en situation de handicap" ou "technicien de surface" dans le but de "ne pas heurter un public catégoriel",
et, oui, je continuerai d'écrire sur tous les êtres humainset de les traiter sur un plan d'égalité littéraire
car, selon moi, c'est là que réside le respect envers tous et la vraie reconnaissance de la dignité de chaque être.
Donc, non, je ne m'interdirai aucun sujet, aucun personnage, aucune vision dans le but de ne pas déplaire.
Si vous haïssez la littérature, ce n'est pas mon problème, c'est le vôtre.
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Le cercle
Reste à ta place
Pour qui tu te prends ?
Reste à ta place, on te dit
Tu crois qu’on ne le voit pas
Ton pas de côté
Tu essaies de bifurquer
Dans un coin qu’on ne connait pas
Tu t’éloignes
Tu prends la tangente
Reste à ta place
Reste à ta place, on te dit
Même si pas très beau là,
même si c’est pas très exaltant,
même si c’est pas très enthousiasmant
Reste avec nous
Reste là
Ils ne t’aiment pas
comme nous on t’aime
Là-bas
Tu vas le regretter
Tu ne pourras t’en prendre qu’à toi
Tu ne viendras pas pleurer
On t’aura prévenue
Tu crois que tu as mieux à faire
On n'est pas assez bien pour toi ?
Tu te prends pour qui
A essayer des trucs
A vouloir parler à des gens
Qu’on ne connait pas
Reste à ta place
Ta place ?
C’est celle où on est
tu ne le vois pas
le tracé par terre ?
tu fais semblant de ne pas le voir
ou quoi
t’es aveugle ?
ou alors t'es conne
Si tu sors du cercle
t’es plus avec nous
Si t’es pas avec nous
t’es contre nous
Va
Va là où on ne connait pas
On t’a déjà oubliée
Qu’est-ce que tu crois
Va
Va
Rira bien qui
-
tu parles de moi ?
- J'ai bien compris que tu parlais de moi dans ton texte sur l'homme à la bicyclette.
- Ah non, je t'assure Roger, je n'ai pas écrit ce texte en pensant à toi.
- Allez, arrête ! Ton personnage, c'est moi tout craché.
- Non, vraiment, pas dans celui-là. En revanche...
- Quoi ?
- Non, rien.
- Quoi, mais quoi ?!
- Le texte sur l'homme au yoyo...
- Ah oui, ça c'est Bernard ! ça m'a bien fait rire. Bien vu, bien vu. Pile dans le mille !
- Oui, voilà, c'est... Bernard. -
les gens
Les gens, c’est pas moi.
Les gens, c’est les autres.
Mais, ça,
les gens ne le savent pas.
Ils pensent que c’est moi, Les Gens.
C’est pourquoi ils disent :
les gens sont tous des imbéciles
ou bien
les gens ne se rendent pas compte.
Mais moi, je sais bien que les gens
c’est eux,
sans moi.
On ne me la fait pas. -
d'humeur joviale
L’ambiance est très bon enfant ce matin dans le bus. Le jeune trisomique se fout de la tête du nain. Haha, t'es tout petit, toi ! T'es drôle ! Le nain rétorque : T'as vu ta gueule, le mongolien ? Et, tout le monde rit. Encouragée par l’énergie joviale communicative, je me tourne vers mon voisin de banquette pour le tacler : Ça faisait longtemps que je voulais vous dire que votre eau de toilette sent le pipi de chat ! Mais ça jette un froid. Seul le jeune trisomique me tape dans le dos et continue de rire, à s’en décrocher la mâchoire.
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zone sensible
Tu me dis que j’enseigne dans un quartier sensible mais alors dis-moi où sont les quartiers insensibles sur la carte du territoire ? Montre-les-moi avant que je ne m’égare dans une de ces contrées hostiles. Ne me laisse pas errer à l’aveugle ; qui sait quelles créatures je pourrais être amenée à rencontrer.
De ces bêtes aux dents longues dont l’extrémité des membres ne sert plus qu’à lacérer ? De ces idoles difformes dressées sur des piédestaux enluminés ? De ces semi-dieux modernes qui traversent le Ciel en jet privé, créent du Verbe et s’accordent entre eux le droit de désigner les êtres et les choses sans rien connaître du monde et des hommes ?
Ô mon quartier sensible, garde-moi de ces pauvres fous.
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YEAH
Un jour quelqu’un m‘a dit que je lisais trop. Ma première réaction a été de prendre cet individu pour un imbécile. C’était la meilleure celle-là. Pour qui se prenait-il ? J’étais surtout vexée comme un pou, car derrière cette assertion s’en cachait une autre : je ne savais pas vivre.
Enfin si : je savais manger, boire, dormir, aller travailler, rencontrer des gens, donner mon opinion, faire la fête, aller et venir dans la société, faire un enfant même, mais est-ce que je m’étais déjà posé les bonnes questions sur la vie, sur ma relation aux autres et à moi-même ? Est-ce que je m’étais déjà arrêtée deux secondes pour me voir vraiment, voir les autres ? Est-ce que la somme de textes que j’avais lus, que j’avais ingurgités, les formules apprises par cœur, les belles citations copiées-collées, ma bibliothèque pleine, m’avaient aidée à vivre, à donner du sens, à comprendre quelque chose et à faire de moi un être en conscience ?
Vous vous souvenez de la question de Clarisse à Montag dans Fahrenheit 451 : " Etes-vous heureux ?". Elle est bête. Elle révolutionne tout.
Il m’aura fallu cinq années entre cette remarque et sa prise en considération progressive pour sentir s’opérer un vraiment virement en moi. Pour comprendre que l’on peut se donner l’illusion de vivre pendant très longtemps et, ce, en toute bonne foi. Qu'on peut passer une vie à se mentir à soi-même, à se voir tel qu'on a envie de se voir, à se mystifier pour rester dans une zone de confort satisfaisante pour l'égo. Qu’on peut passer toute une vie à lire, à donner des cours, à faire des conférences, à fréquenter des milieux culturels, à avoir des avis sur tout sans faire bouger un iota de sa propre humanité. Qu’on peut passer sa vie dans une recherche d’idéal, dans un fantasme, dans un rêve éveillé, qu’on peut passer sa vie « en littérature » sans jamais toucher terre.
Ce n’est évidemment pas le fait de lire qui est problématique en soi mais l’idée de croire qu’une vie passée à lire est une vie passée à vivre. Ça peut être vrai, mais ça peut être faux. Si une autre dimension n’émerge pas à un moment donné. Pour faire passer les « carpe diem », et autres citations à tatouage, à une mise en pratique effective et réelle, pour passer du slogan mécanique « Tous ensemble, tous ensemble » à l’Essence même de la formule. Y a du sacré boulot. Y a du boulot sacré. Ô Yeah. -
Blablabla
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Nu
Sur les réseaux sociaux, il accompagnait chacun de ses poèmes d’une photographie de femme nue comme un bonus à son texte au cas où il n’aurait pas suffi à lui-même.
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Dans le smartphone de maman
L'enfant de quinze mois pleure
la mère le prend en photo
l'enfant pleure
sur une plage d’Hyères
la mère le prend en photo
devant la mer
clic
il pleure
clic
il pleure
clic
il pleure
il tend les bras
clic
il appelle maman
clic
clic
j'écris clic
mais les smartphones ne font pas de bruit
ils ne prennent pas non plus les enfants dans les bras
ils prennent des photos
d'enfants qui pleurent devant la mer
parce que la mer verte
les cheveux blonds
et le ciel pastel
c'est joli en photo
dans le smartphone
l’enfant est sans doute heureux aussi
quelque part
dans le smartphone
il mange sa première glace
il regarde un pigeon
il applaudit
il rit
dans le smartphone
de sa mère. -
Lettres modernes
La jeune fille en fleurs est un produit inoxydable.
Le vieil onaniste est un produit inaltérable.La bonne à grand-papa
devenue étudiante en lettres modernes
règle la webcam et se laisse trousser de loin
un livre de Modiano entre les mains. -
Erotomania
" EROTOMANE, adj. et subst.:
(Personne) qui est affecté(e) par l'illusion délirante d'être aimé(e). L'érotomane, persuadé de son pouvoir irrésistible de séduction (...) se trompe dès le départ sur l'objet de son dévolu, croyant y reconnaître des signes d'amour, et il le persécute dès que son erreur apparaît (Mounier, Traité caract.,1946, p. 554)."Tu vois bien, ça ne peut pas être moi. Moi, je suis certaine qu'il m'aime. On est amis sur F.B depuis un mois et il a déjà liké trois de mes statuts, il a posté une photo de chat le même jour que moi il y a une semaine, et il y a 3 ans, ALORS QU'ON NE SE CONNAISSAIT PAS, il a partagé ma chanson préférée de Neil Young ! Si ça c'est pas des signes !
- Quand même, j'ai l'impression que tu t'emballes un peu, Pamela.
- Jalouse.