Portrait
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tsunami
Ce matin, j'ai consulté les numéros gagnants du LOTO. Je suis retournée me coucher.Il a dit "Alors" ?J'ai dit "Rien".La mer s'est un peu éloignée. On s'est rendormis. J'ai fait une rêve de tsunami. -
Avoir l'air
Il y a des personnes qui ont l’air très gentilles mais qui sont méchantes. Très méchantes. Oui, méchantes. Grimaçantes derrière le masque affable.
Tandis que des êtres à l’aspect bourru sont parfois très gentils, vraiment. Oui, ils sont gentils, aimables derrière la couche rugueuse.
Certaines gens paraissent très profondes. Profondes vraiment ; et puis, quand on se penche pour sonder la profondeur, oh ! c’est un trompe-l’œil ! On peut toucher la surface du bout des doigts. De profondeur nenni. Un vernis.
D’autres individus semblent si superficiels, juste au niveau zéro des choses. Mais à bien y regarder, leur légèreté est un voile à soulever pour voir le paysage entier. Un vaste et beau paysage aux multiples contrastes.
Et puis quelquefois, pour nous faciliter la tâche, les gens ont juste l’air de ce qu’ils sont.
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Moche... and so what ?
Quand je dis que je suis née et que j’ai vécu au Havre, on me répond souvent : la ville la plus moche de France ?
Déjà enfant, je ne comprenais pas ce qu’il y avait derrière le mot « moche ».
C’était « ma » ville. Elle n’était donc ni moche ni belle. La question ne pouvait pas se poser en ces termes.
Le béton, laid ? Non.
Le gris des murs ? Non.
Les grandes avenues rectilignes à la new-yorkaise ? Non.
Les places à l’allure soviétique ? Non.
L’architecture de Perret ? Non.
Le « pot de yaourt » d’Oscar Niemeyer ? Non.
Ou peut-être que si, tout compte fait.
Comment j’aime cette ville ? Je ne sais pas. Ni par chauvinisme ni par régionalisme. J’y ai des souvenirs agréables, des souvenirs bof.
Je ne sais pas ce que cela me ferait de la découvrir pour la première fois aujourd’hui, quels adjectifs j’y associerais.
Je ne sais pas si elle est « belle » ou si elle est « laide ». C’est trop tard. Elle est dedans moi. Je suis sa sœur jumelle, elle est mon ADN.
En suis-je moi-même plus laide ? Plus belle ?
Le Havre, « la ville la plus moche du monde ». Oui.
Disons du monde, même.
And so what ?
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Métro M.P
C'est vrai, il y a eu cet enfant de dix ans ans tué devant la boulangerie du quartier à coup de fusil pendant un règlement de compte,
C'est vrai, il y a eu cette femme défenestrée du quatrième étage par son mari sous les yeux de nos élèves,
c'est vrai, ici, chaque jour on nous dit le racket, les menaces, le shit…
mais ce matin, quand même, à la sortie de cette bouche, les branches nues des arbres du boulevard sont une délicate dentelle sur un fond d'aube mauve et bleue.
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No inspiration
- Je peux pas écrire, j'ai pas d'inspiration.- Driss, je vais vous dire un secret mais vous me jurez de ne le répéter à personne.- Huumm...- L'inspiration n'existe pas.- Hein ?- L'inspiration n'existe pas. On nous a menti durant toutes ces années.- Pourquoi on nous a menti ?- Je ne sais pas. Peut-être pour nous intimider. Peut-être pour faire croire que seules certaines personnes étaient investies de ce pouvoir venu "d'en haut".- Oh.- Alors qu'il faut regarder en bas.- Où en bas ?- Partout autour de vous. Là, sur cette table par exemple. Ces murs. Vos camarades.- J'ai pas d'imagination.- Moi non plus. Aucune. Ça tombe bien tout est déjà là.- J'ai pas d'idées.- On n'écrit pas avec des idées. Ecrire n'est pas une activité intellectuelle.- Quand même...- On écrit avec ce qui existe à portée de main, de vue, d'expérience. Mais attention, pour ça, comme tout artisan, vous avez besoin de bons outils. Exactement comme ceux qui sont dans l'atelier d'à côté : truelle, malaxeur, platoir, taloche, équerre, barre à débuller, burin.- Y a une boîte à outils pour l'écriture ?- Oui, et vous devez découvrir ces outils dans un premier temps et apprendre à les utiliser. Même chose avec les matériaux dont vous avez besoin : ciment, gravier, sable, eau…- Comme un maçon ?- Exactement. Un écrivain est un maçon. Je n’aurais pas mieux dit, Driss. On le monte ce mur ? -
Il n'y a pas de place pour l'espoir
A chaque jour suffit sa peine, non ?
Je répète après l’élève-maçon : A chaque jour suffit sa peine, oui.
Vois, il n’y a pas de place pour l’espoir.
Et c’est réconfortant. Pas de place pour l’espoir contient tous les possibles.
Vois aussi : ne rien attendre ne signifie pas se résigner.
Vois surtout : ne rien attendre libère de la somme des peurs inutiles, des angoisses paralysantes.
Alors tu peux agir en toute tranquillité et laisser le soin à l’horizon de choisir ses propres couleurs.
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Panique
Bénédicte était en totale panique. Alors qu’elle était le soir-même l’invitée référente d’une table ronde intitulée « Sois belle et tais-toi : la publicité, antre du sexisme ? », Stanislas, son coiffeur attitré, lui faisait faux bond et elle ne parvenait pas à remettre la main sur son petit chemisier en soie vert assorti à ses yeux qui mettait si bien en valeur sa svelte silhouette.
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La maman étanche
7h10, ligne A, bébé dans sa poussette lève les yeux vers maman, son bonnet, ses écouteurs, son smartphone, son écharpe, son masque. C’est bon, il reste encore les yeux.Ah non, ils sont fermés. -
les garçons
Les garçons aussi ont besoin de nousles garçons ont besoin de nousau même titre que les fillesles garçons ont besoinvraiment besoinils ne sont pas plus fortsils ne sont pas plus sûrsils ne sont pas plus solidesnonpas plus robustesl’élève écrit« à chaque fois que je la voisje recule d’un paselle sourit quand elle me voitpourtant j'ai peur d’elleje recule d’un pas, vite »les garçons ont peurde ne pas être à la hauteurles garçons disent des bêtisessur les fillesparce qu’ils n’y comprennentpas grand-chosesouvent rienles garçons ont besoin de nousils ne sont pas moins fragilesils ne sont pas moins vulnérablesles garçons aussiont besoind’être pris dans nos brasconsolésprotégésd’eux-mêmes parfoissi on veut éviter la catastrophela grande catastrophedutrop tard -
malgré tous les malgré
bravoure de chaque instantle devoir de la joietant que reste la lumièremalgré tous les malgréqui ne manquent pasqui sont là depuis le débutmalgré tous les malgrépister la joiesans attendre que les autressans attendre que le mondeet malgré les joursqui assaillentô qui mordent ouiqui déchirent parfoismalgré tous les malgréembrasser la joiecoûte que coûte -
lutte
Si la colère qui t'animeest plus destructrice que créatrice,si la lutte que tu mènes,aussi légitime soit-elle,exclut plus qu'elle ne rassemble,si la lutte que tu mènesdépose dans ton cœurplus d'aigreur que de joie,alors… -
Les voeux de la Mare Rouge
2021 :Soyez toujours prêt à être surpris.Swami Prajnanpad.LOVE -
L'esprit pop
Si tu ne tends pas l’oreille, tu passeras à côté de ce que dit l’esprit pop.
Tu auras vite fait de le prendre pour un inconsistant au cœur léger et superficiel là où il a juste l’élégance de ne pas faire peser sa mélancolie sur le monde.
L’esprit pop dissimule l’humeur down down down derrrière une ritournelle grisante, un gimmick joyeux et entêtant.
Et ça marche. Tout le monde fredonne la mélodie mais personne n’entend les paroles.
Hummm ouhhh yeah pop pop yeah
Tout va bien. Chacun passe son chemin.
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Amours clandestines
Il fallait bien admettre un fait. Depuis le début du XXIe siècle, qui correspondait à la démocratisation et la banalisation de l'usage du smartphone, les amants modernes vivaient leurs amours clandestines et adultères - aussi romantiques et passionnées fussent-elles - en grande partie
aux toilettes.
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Les grandes personnes
Quand j’étais enfant, j’ai rencontré combien d’adultes ? Je ne sais pas. Deux… trois peut-être. Les autres étaient de grandes personnes, c’est-à-dire qu’elles étaient plus grandes que moi en taille c’est certain (oui, moi aussi j’ai été petite un jour), mais pour le reste elles n’avaient pas l’air d’en mener plus large. Plutôt moins peut-être.Les plus perdues de ces créatures étaient cependant celles qui s’efforçaient à prouver au monde qu’elles avaient compris.Quoi ?Tout.Les gens, l’Art et la Littérature, la bourse, l’amour, la géopolitique, l’argent, les noms en -isme, la Vie, le Sens, le tour de main pour la mayonnaise. Tout.Elles parlaient fort et gesticulaient beaucoup.Les adultes, eux, se contentaient de m’écouter puis me regardaient dans les yeux et disaient :Qui sait ?Viens, on va regarder pousser un radis. -
CLIC CLIC
Nicolas Violant - qui sera quelques années plus tard commissaire de police, mais il ne le sait pas encore, il n’a que 17 ans pour le moment et qui peut penser sans rire qu’un homme portant le nom de « Violant » puisse devenir commissaire - marche sur un trottoir du 6e arrondissement de Lyon en compagnie d’une jeune fille blonde qu’il rêve de conquérir.Il vient de s’acheter une paire de Richelieu marron foncé et a demandé à la vendeuse d’ajouter des fers à ses semelles pour les protéger mais surtout pour entendre résonner leur son métallique sur le bitume. Durant toute la promenade, Nicolas Violant fait claquer ses talons sur le pavé et à chaque pas, il se sent plus homme. Chaque pas le rapproche des cheveux de la fille, de sa bouche et de ses seins.Bénédicte qui deviendra sa femme en 1998, lui avouera six ans après ce premier rendez-vous que le cliquetis insupportable avait failli avoir raison de leur idylle dès le premier quart d’heure. C’est au moment où il avait chaussé ses lunettes de myope qu’il tenait absolument à cacher qu’elle lui avait trouvé un air mignon et avait décidé de lui accorder une chance. -
catcheuse
Force d’Inertie, catcheuse aux épaules d’haltérophile et aux jambes de lanceuse de poids maintient à terre Volonté et Motivation comme s’il s’agissait de vulgaires ados prépubères sans poil au menton.-Nous y arriverons demain ! Nous agirons, nous ferons ! jurent en chœur Volonté et Motivation sous le puissant corps de l’athlète.- Demain, oui ! renchérit Force d’Inertie en riant aux éclats - Demain, c'est très bien, ça ! DEMAIN ! -
Mignardises
Jacqueline et Nicole se réunissent tous les mardis pour parler des maladies et des malheurs qui affectent leurs connaissances communes. Gourmandes, elles grignotent des mignardises achetées chez Bouillet et dégustent du thé Earl Grey tandis qu’elles énumèrent leurs maux, du plus bénin au plus tragique : la varicelle du petit Barnabé, le durillon récidivant de Marie-Cécile, le troisième divorce de Jean-Nicolas et son remariage avec « une arabe », la chute de Simone dans les escaliers de la maison de retraite et sa fracture du col du fémur, l’agression sexuelle de la fille du voisin du cinquième étage par un chauffeur Uber, la démence dégénérative de Mme Rioux qui lui fait dire des mots orduriers et se déshabiller devant des gens, le cancer du sein de Mme Richard, le cancer du rein de M. Bonin, les métastases aux poumons et au cerveau de M. Langlois. Quand elles ont fait le tour des malades et des victimes, elles passent aux morts tout frais. Cette semaine, Ginette, la pauvre, a été retrouvée morte chez elle dans un état de décomposition avancée. Personne ne s’était inquiété de son absence car elle devait partir en voyage organisé. Il faut dire aussi qu’elle ne décrochait jamais le téléphone quand on l’appelait et qu’elle est un peu punie de son manque de civilité. Comment pouvaient-elles savoir ? Enfin, elles lisent les derniers titres de la revue Détective à laquelle Nicole est abonnée : Le couple qui enlève les enfants, Tuée en pleine nuit dans le lit conjugal, La mort au bout du rêve, Violée par l’amant de sa mère et feuillètent les numéros en commentant les images « c’est pas dieu possible, mourir si jeune » « on ne peut plus faire confiance à personne » « les hommes sont si cruels » « on n’est plus en sécurité nulle part ». Après leur petit goûter hebdomadaire, au moment de se quitter, elles médisent une dernière fois de leurs meilleures amies encore vivantes et se donnent rendez-vous à l’enterrement de Ginette pour voir la tête des descendants qui ne seront là que pour l’héritage « les gens sont sans cœur, c’est affreux ».
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maline
Et puis un jour, on ne peut plus se contenter de faire sa maline
à coups de fesses
à coups d’artifices
oh la belle bleue
oh la belle rouge
et, ce jour-là
il n’y a pas grand-chose à faire
à part
juste
à part
simplement
arrêter de faire sa maline
et Voir
un peu
ce que ça fait
d’être Là.
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cinquante ans
A 15 ans, je suis éduquée par deux hommes : Brel et mon père.
L’un me dit
Mourir, cela n'est rien / Mourir, la belle affaire
l’autre poursuit
Mais, vieillir, oh vieillir…
et ajoute
Une capsule de cyanure est cachée dans l’armoire de la chambre. Je n’ai pas l’intention d’atteindre cinquante ans, non merci, très peu pour moi.
Mais cinquante ans, c’est déjà très vieux, non ? est ma première pensée.
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violence
Elle me dit qu’elle n’a aucune violence en elle. Jamais. Que la violence lui est étrangère. Qu'elle l'a en horreur. Elle ne la fréquente pas, elle n’en veut pas dans sa vie, elle n’en veut pas dans son cœur.
Et, tandis qu’elle dit ça, toute concentrée qu’elle est à tenter de me convaincre de l’absence totale et imprescriptible de toute violence en elle, je distingue une légère, ténue, microscopique crispation de sa lèvre supérieure et une petite fixité du regard qui me glacent le sang.
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play-list
Hier, dans le métro, j’écoutais une chanson dans mon casque, une chanson extraite de ma play-list « post journée de travail » et soudain, j’ai tout compris. Je veux dire, j’ai tout compris à la chanson que j’étais en train d’écouter. Tout compris comme s’il s’agissait d’une chanson en français alors qu’il s’agissait d’une chanson en anglais. Le texte m’est arrivé limpide, clair, comme en traduction simultanée, comme si mon cerveau faisait totale abstraction de l’obstacle de la langue. D’habitude, comme beaucoup de monde, je saisis deux-trois phrases, je comprends le refrain quand il est simple et la mélodie fait le reste. Mais là, tout était différent. Pendant quelques minutes, j’ai vraiment entendu la chanson pour la première fois. Elle n’avait rien d’exceptionnel, ses paroles étaient un peu bêtes comme le sont souvent les paroles des chansons pop mais je les voyais nettement défiler en synchrone dans mon cerveau. Comme quand on appuie sur la touche « traduction » sous un clip sur youtube, les erreurs grossières en moins. Trois minutes. Puis retour à la normale. Ma play-list, des chansons anglo-saxonnes et américaines qui se suivent et que j’appréhende approximativement. Comme avant.
Woman I can hardly express My … emotions … After all, I'm forever in …
Trois minutes d’éveil. Puis plus rien. Il parait que ça se passe souvent comme ça et que le plus dur, ensuite, est de ne rien attendre.
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manège
Je demande au vigile d'Auchan
s'il n'a jamais rêvé de monter sur ce manège placé là à l'entrée de la galerie marchande
quand il est à l'arrêt
au moment de la dernière ronde de surveillance
quand toutes les lumières de la grande surface s'éteignent les unes après les autres
s'il aurait plutôt choisi le cheval la voiture le carrosse ou le lapin quand il était enfant
et aujourd'hui serait-ce le Mickey rieur ou le Donald grognon
mais il m'enjoint poliment de descendre de la moto
et me dit qu'il est temps de rentrer chez moi
car la nuit est tombée depuis longtemps -
Enfant, il détestait les automates
Enfant, il détestait les automates, ces petits personnages au regard fixe en proie à des gestes mécaniques grotesques quand sa mère les remontait à l’aide de la petite clé fixée dans leur dos. Elle applaudissait des deux mains tandis que les petits jouets se dandinaient stupidement devant lui avec un bruit métallique.
Puis ils rencontraient toujours un obstacle qu’ils n’étaient même pas capables d’éviter et contre lequel ils venaient buter à plusieurs reprises jusqu’à l’arrêt complet du mécanisme. Bref, de petits engins stupides et froids qui provoquaient déjà en lui un malaise qui ne s'était jamais démenti.
Plus tard, la plupart de ses contemporains ne lui semblaient pas plus vivants que ces joujoux d’antan. Comme eux, ils fonçaient inlassablement contre les mêmes murs mais les plaintes et les jérémiades qui accompagnaient cet état de stagnation les rendaient, à ses yeux, encore plus insupportables que les joujoux de son enfance.
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ado femelle
L'ado mâle se trouve souvent bien décontenancé face aux réactions de l'ado femelle qui s'accroche à son cou.
Celui-là, par exemple, pris au piège dans le métro, ne peut plus regarder sur sa droite ni sur sa gauche sans recevoir une petite tape sur la tête ou sur la nuque. L'ado femelle a tracé un périmètre de sécurité autour de son mâle ado et manifeste son affection à coups de tête plus ou moins brutaux sur l'épaule de son jeune amoureux.
Puis, elle tend son écran de smartphone à hauteur de ses yeux jusqu'à le faire loucher et lui pose une question qui n'appelle aucune réponse :
- Elle est moche, hein, Léa ?
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Le masque et la mort
La maitresse de cérémonie du centre funéraire en introduction de son discours écrit nous enjoint sèchement de garder une distance de sécurité, de conserver nos masques, de nous taire, de ne pas nous déplacer "car le Covid 19 est toujours là et qu'il est de notre devoir de nous protéger les uns les autres".
Je pleure dans mon masque. Je ne sais pas quoi faire de ces humeurs qui coulent sans interruption de mes yeux et de mon nez. Je lève un coin de tissu pour me moucher mais c'est peine perdue.
Je passe la cérémonie noyée dans ma morve et mes larmes.
Je n'ai pas pensé à prendre un masque de rechange.
Gaëlle et Catherine sont dans le même état que moi.
Djassia aurait trouvé un truc drôle à dire pour nous faire sourire.Lien permanent Catégories : Car parmi tous les souvenirs, Characters, Humeurs, Portrait 0 commentaire -
instagrammable
A ma naissance, mon grand-père avait engueulé ma mère : Tu l’appelles Judith ? Mais tu es inconsciente ! Tu te rends compte s’IlS reviennent…
Jusqu’à mes 5 ans, il m’appellera « la môme Juju », puis il mourra.
Quand je vois aujourd’hui la photo de cette adolescente qui pose dos cambré, poitrine en avant, moue Instagram sur les rails qui mènent à l’entrée du camp d’Auschwitz, je pense à Marceau, à ses mots, à sa peur.
Et ce qui m’effraie, moi, aujourd’hui, c’est cette image impossible de l’Abomination prenant la forme d’une jolie jeune fille souriante, pas plus méchante qu’une autre, répondant certainement à l’injonction d’une amie qui tient l’appareil - le smartphone qui permettra de balancer l’image dans la seconde sur sa page facebook :
Cambre-toi un peu plus, oui, super, on voit bien l’entrée derrière toi, ne bouge plus !
Clic.
Même pas néo-nazie, même pas antisémite. Juste instagrammable.
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la consolation
Avant chaque cuillerée de glace au chocolat portée à sa bouche, l’un de ses parents insulte l’autre. C’est une mécanique bien huilée. Une insulte, une cuillère. Comme une compensation immédiate à la douleur.
La petite fille ralentit son geste, fixe la boule qui va bien finir par ne plus exister, qui ne ressemble déjà plus à une boule, qui déjà a presque disparu, avec cette question – que je peux lire sur son visage intranquille et grave – le dernier morceau de glace signera-t-il la fin de la dispute ou celle de la petite consolation ?
Photographie : Tish Murtha
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Chiens de paille
Terrasse de Chauffailles
beaucoup de guêpes cet été
et des hommes inquiétants
on a vite fait d’imaginer
du désordre dans les granges
pendant le bal
et des filles bousculées
sur ma table
les deux guêpes
prises dans le sirop rouge
du piège en plastique
s’agrippent l’une à l’autre
et je ne peux rien pour elles
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la note
Il déposait des lettres anonymes dans les boites de ses voisins en variant les messages :
- Rien ne s’oublie
- Rien ne se perd
- Ça s’appelle l’effet boomerang
- Tu ne pensais pas t’en tirer comme ça ?
- De nouveau réunis
et guettait les réactions.
Il était certain de son effet car, bien sûr, chacun de nous a quelque chose à se reprocher ou à se faire pardonner. Il ne faisait que précipiter la présentation de la note qui finit, quoi qu’il en soit, toujours par arriver.