Réseau social
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rien
Et toi, t'en penses quoi ?Rien.Vraiment rien.Pourquoi faudrait-il toujours penser quelque chose ?Et pourquoi faudrait-il systématiquement commuer nos pensées en palabres ?Le monde est déjà assez assourdissant de paroles vaines et ennuyeuses.Un peu de compassion pour nos contemporains.Ou alors, en chantant.Oui, comme le dit le sage : "Le monde est plus marrant, c'est moins désespérant en chantant". -
Vous avez dit éco-anxiété ?
La chroniqueuse de France Culture s’extasia sur la conscientisation politique et écologique de cette génération Z + qui se battait tous les jours pour l’avenir de la planète, mue par un syndrome d’éco-anxiété symptomatique des 15-20 ans. Et, la chroniqueuse de France Culture tout émue par ce combat altruiste, oublia de parler des jeunes de la même tranche d’âge mus, eux, par un syndrome d’anxiété tout court lié non pas au sort de la planète ou à une vision prospective des cinquante prochaines années mais à leurs conditions de vie présente et aux perspectives d’avenir qui leur étaient offertes par la société actuelle.Ce n’était pas que les jeunes de la deuxième catégorie n’en eussent rien à cirer du réchauffement climatique et de l’agonie de la terre et des hommes, mais tenter de sauver leur peau et ne pas sombrer dans la dépression chronique leur prenait déjà beaucoup de temps et d’énergie au quotidien.On leur répétait qu’ils avaient mangé leur pain blanc et qu’ils se devaient de devenir éco-responsable. Cool, le chauffage était coupé depuis longtemps. Mais de quel pain blanc pouvait-il s'agir ?Lien permanent Catégories : Characters, Ecole, Enfance & adolescence, Humeurs, Portrait, Réseau social 0 commentaire -
sobriété
baissez le chauffagene vous embrassez pasne restez pas sous la douchesi vous aimez vos proches, ne vous approchez paséteignez la lumièrene circulez plusrestez chez vousfaites des économiesvous n'arrivez déjà pas à finir le mois ?c'est con pour voussortez vos acryliquesc'est moche ?tant pis pour voussoyez sobresrestez à distancerestez masquésvous avez mangé votre pain blancil était déjà rassis ?dommage pour vousje baisse, j’éteins, je me flingue ?comme vous y allezmais dans ce casvous êtes prié de ne pas déprimer les autressouriez vous êtes filmé -
subversif subventionné
Un jour, le mot « citoyen.ne » finit par complètement remplacer les mots « individu » et « personne » qu’on ne trouvait même plus dans les dictionnaires. L’homme qui ramassait un papier gras sur la plage ne se désignait plus comme « humain », « bipède », « mammifère » mais comme « citoyen responsable au service de la collectivité ». Les programmations des théâtres ne proposaient plus d’œuvres à visée artistique mais des objets idéologiques édifiants propres à éclairer le/la « citoyen.ne-républicain.e ». Les musées croulaient sous les expositions « pédagogiques » et les seuls livres vendus en librairie n’étaient plus que des essais sentencieux destinés à donner des clés pour accéder à un monde meilleur. Chacun agissait pour sa paroisse identitaire et communautaire et l'artiste se voyait peu à peu remplacé par le gentil animateur culturel. La subversion était subventionnée.Bref, tout cela avait bien commencé à complètement foirer à un moment de l’Histoire de l’humanité, mais quand précisément, Marcus n’était pas en mesure de répondre ; il était déjà né quand la poésie elle-même n’était devenue qu’un ramassis de textes conformes aux valeurs normatives de l’époque : érotisme poseur et blabla sociétal. Seule certitude : l’art et la littérature étaient morts depuis longtemps et tout le monde semblait très bien s'en porter.Illustration : « Minuit, l’heure blasonnée » (1961), de Toyen, huile sur toile. -
Partout et nulle part
Depuis le début, on essayait de m’enrôler, je le sentais bien.« Femme tu es : tu appartiens à la société des femmes. Rejoins notre combat. » m’a-t-on dit.« Ah bon ? » me suis-je étonnée « A peine suis-je née, dois-je déjà choisir un camp, être en guerre contre quelqu’un ? ».« Et si je déserte, quelle sera ma punition ? » ai-je ajouté (un peu plus tard, le temps d'évaluer la situation sous tous les angles).Des épaules se sont levées « Pffff… ». Je n’y mettais vraiment pas du mien.C'est à ce moment que je suis allée voir ailleurs si j’y étais :j’étais partout et nulle part ; ça me convenait parfaitement.Et le plus beau c'est qu'il y avait là-bas, partout et nulle part, des hommes et des femmes de bonne volonté. -
Barouf
Dans ma bibliothèque, parfois, je fais exprès de ranger les uns contre les autres des auteurs qui ne peuvent pas se sentir. Morts ou vivants.Cet auteur aujourd'hui mort ne supporterait pas de côtoyer cet auteur vivant. Cet écrivain vivant n'a que mépris pour cet auteur mort. Cet auteur vivant déteste de notoriété publique cet écrivain vivant. Ces deux poètes morts ne pouvaient pas se voir en peinture.La nuit, il arrive que tout le monde s'engueule. Je suis obligée d'intervenir :- Hé ! Oh ! C'est pas bientôt fini ce barouf !La dernière fois, j'ai entendu grommeler :- Pour qui elle se prend celle-là ?mais quand j'ai allumé la lumière, personne n'a bronché. -
Paie ta révolution
Dans les années 2020, "le monde du mannequinat" vit poindre des tentatives de rébellion sporadiques qui consistaient à glisser des femmes âgées, des filles à formes, des filles à poils, des filles handicapées, des filles brûlées, des filles souffrant de vitiligo, des filles naines, dans les défilés de haute couture. Ces profils atypiques commençaient même à apparaitre dans les publicités télévisées et sur les couvertures de magazines féminins.Moi, bêtement, j'attendais le moment où ces nouvelles héroïnes se mettraient à vomir sur le tapis rouge, à cracher sur les créateurs de mode, à agonir d'insultes les spectateurs, à pisser sur le jury, à atomiser le décor de ceux qui les avaient si ostensiblement ignorées durant des décennies. Je pensais qu'une révolution sourde était en germe. Que tout allait exploser à la gueule des sales pourvoyeurs de "beauté" qui, soudainement, pour répondre à une "nouvelle éthique commerciale incluante" organisaient des castings "anti-discrimination" partout sur la planète.Mais que dalle. Je finis par comprendre que les nouvelles recrues voulaient elles aussi faire partie du système. Après avoir craché avec violence sur les grandes gigues stéréotypées qui peuplaient l'"univers de la mode" et, ce faisant, "trahissaient leurs sœurs", elles voulaient "en être" elles aussi. Oui, depuis le début, c'est ce qu'elles voulaient. Bien sûr, interrogées, elles déclaraient avec solennité : " Il faut faire bouger les choses de l'intérieur ". Mais la vérité c'est que des armées de filles de tous genres, de toutes formes, de toutes tailles, de tous âges, jouaient du coude pour offrir leurs corps au Grand Capital qui, tout surpris - n'en demandant pas tant - prenait ce qu'il y avait à prendre. Comme toujours. -
Gratitude
Gratitude envers tous ceux que j’aime,Ça, c’est une évidence,(Quoique je ne l’exprime pas si souvent,Et c’est un tort),Mais gratitude également,envers les autreset surtout ceuxet qui auraient tendance à provoquer en moi un élan de désolidarisation de l’être humain.Gratitude, oui,envers cet homme tout rouge et gesticulant qui joue les petits chefs et m’invite à la compassion pour celui qui semble ne toujours pas avoir compris qu’il allait mourir demain,gratitudeenvers cet homme qui éructe son opinion inébranlable sur ce réseau social, cherchant la polémique, s’acharnant à avoir raison et qui me montre où ne surtout pas placer toute ma précieuse énergie de la journée,gratitude encore,envers cette femme dont la face déformée par la colère et le ressentiment me rappelle de quoi j’ai l’air quand je me laisse aller à l’aigreur et à la rancune,gratitude, oui,envers cette femme qui met son casque sur ses oreilles alors que son petit garçon de trois ans est en train de lui parler, de tester ma capacité à ne pas foutre mon poing dans le nez à tous les personnes dégoûtantes croisées dans la journée,gratitude, gratitude,envers les extrémistes de tous poils qui s’accrochent comme des forcenés à leurs opinions et qui m’indiquent, par là-même, le chemin du doute et de la distance,gratitude encore,envers cet homme qui me prend pour une idiote et qui ne sait pas à quel point je peux l’être vraiment quand je veux,gratitude,envers tous les vivants-morts qui me montrent la voie de la désertion des espaces mortifères et qui, par conséquent, désignent sans le vouloir, celui de la vie,gratitude, oui,envers cette femme pleine de culpabilité et de masochisme (orgueil, orgueil) qui m’apprend à ne pas me mortifier inutilement,gratitude, gratitude,envers cet homme qui fronce les sourcils d’un air exagérément sévère lors de mon entretien et qui me rappelle que tout est un jeu où chacun joue son rôle, rien de plus (vraiment, rien de plus)gratitude envers tous ceux qui me rappellent que je ne suis pas grand-chose, ou si peu, et qui m’indiquent, chaque jour un peu plus,la direction de mes priorités vitales,de moins en moins nombreuseset que je peux compteraujourd’huisur les doigtsd’une seule main.Oh oui,gratitude. -
Bad boys
A presque 45 ans, Pamela fantasmait encore sur les bad boys, les mecs rock'n'roll comme elle disait, un peu poètes un peu trash (elle kiffait les mots fuck et éjaculation dans la poésie), mais, en cachette, elle lisait avec une grande assiduité son horoscope guettant tous les signes d'une romance à l'eau surannée de rose. Elle voulait "qu'on l'aimât pour ce qu'elle était" (comme Bridget Jones dans Le Journal). En fait, elle rêvait secrètement l'avénement d'un Mark Darcy tout en passant son temps à tenter de séduire tous les Daniel Cleaver de passage.
Où cette quête contradictoire allait-elle bien la mener ?
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Allô
En 2022, on ne distinguait plus les personnes qui parlaient toutes seules dans la rue de celles qui parlaient à un téléphone invisible - grâce à des oreillettes invisibles. Et, quand on prenait le temps d’écouter ce que ces locuteurs-là disaient, on se rendait rapidement compte qu’eux aussi ne faisaient que se parler à eux-mêmes, quand ils semblaient s’adresser à un interlocuteur. De longs, indigents, ennuyeux, pénibles soliloques se faisaient écho dans les avenues, les centres commerciaux et les transports en commun. Y avait-il quelqu’un au bout du fil ? Rien n’était moins sûr. Peut-être le récepteur de l’appel avait-il déjà posé depuis longtemps son smartphone dans un coin de la pièce et vaquait à ses occupations sans prêter l’oreille au discours sans fin de l’appelant, mais le plus probable était que l’appelé lui-même déroulait en réponse un monologue interminable sans attention pour le galimatias de son correspondant.2022 correspondait à une acmé de l’ère du blabla ; et ceux qu’on considérait à présent comme les fous ancestraux – les causeurs solitaires - étaient beaucoup moins inquiétants que la nouvelle engeance de jacteurs automatisés qui avait zombifié la ville. -
L'ado femelle
L'ado mâle se trouve souvent bien décontenancé face aux réactions de l'ado femelle qui s'accroche à son cou.
Celui-là, par exemple, pris au piège dans le métro, ne peut plus regarder sur sa droite ni sur sa gauche sans recevoir une petite tape sur la tête ou sur la nuque. L'ado femelle a tracé un périmètre de sécurité autour de son ado mâle et manifeste son affection à coups de tête plus ou moins brutaux sur l'épaule de son jeune amoureux.
Puis, elle tend son écran de smartphone à hauteur de ses yeux jusqu'à le faire loucher et lui pose une question qui n'appelle aucune réponse :
- Elle est moche, hein, Léa ?
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Les villes des mois d'août
Les villes des mois d’août sont comme vides de toutEt cependant emplies de pauvres et de fous.Celui-là, sur un banc, mange un gros bout de mouTandis que sa voisine le regarde, debout.Toi, voyeuse cachée, bien planquée dans un coinPenses-tu ô naïve échapper au dessin ?Les mois d’août des villes font de tous les présentsDes complices, des frères, sociétaires du moment. -
mea culpa
Après avoir diffusé pendant deux ans des vidéos de propagande anti-épilation, prôné la liberté de s’émanciper du joug des diktats qui pèsent sur le corps féminin et exhibé ses poils d’aisselles avec une assiduité militante, la Youtubeuse annonce aujourd’hui à ses 125 K abonné.e.s d’un air grave et solennel sa décision mûrement réfléchie de se raser de nouveau et déroule pendant quinze minutes un argumentaire visant à expliciter les raisons qui ont conduit à ce revirement qui ressemble à un dédit.Quinze minutes d'un mea culpa argumenté et étayé à l'attention des regards du monde entier tournés vers ses poils et ses dessous de bras puisque, sans doute, de l’existence ou de l’absence de ces poils d’aisselles dépend l’évolution des conflits mondiaux, des luttes armées, des suicides planétaires, des famines, de l’esclavage moderne, du chiffre d’affaire d’Amazon, de la faille de San Andreas, de l’équilibre du système cosmique.Elle se lève pour saluer ses fans en joignant ses deux mains en signe de contrition. La dernière image de la capsule s'éternise quelques secondes sur un joli nombril percé. -
danse macabre
Valériane ancienne victime devenue bourreau prend très à cœur son nouveau statut et, comme tous ses amis victimes, développe des trésors d’inventivité pour se venger durablement de ses anciens tortionnaires qui, de leur côté, investissent consciencieusement leur nouveau rôle de victimes et en savourent les pleins et les déliés en attendant que leurs petits enfants renversent de nouveau la vapeur et continuent de perpétuer la lancinante danse macabre du bourreau et de la victime fusionnels et complices jusqu’à la nuit des temps.
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Pas de quoi...
Dans mon semainier, j'ai entouré en très gros, en très fluo, "11h15" sur la colonne du vendredi 5 mars.Rien à côté. Pas de nom, pas de note, pas d'adresse.Juste en très gros, en très fluo un cercle autour de "11h15".Demain, donc, en fin de matinée, il se passeraquelque chose,quelque part,sans moi.Ce qui est vrai depuis des siècles et des siècles, partout dans le monde, à toutes les heures du jour et de la nuit.Pas de quoi en faire un fromage. -
Panique
Bénédicte était en totale panique. Alors qu’elle était le soir-même l’invitée référente d’une table ronde intitulée « Sois belle et tais-toi : la publicité, antre du sexisme ? », Stanislas, son coiffeur attitré, lui faisait faux bond et elle ne parvenait pas à remettre la main sur son petit chemisier en soie vert assorti à ses yeux qui mettait si bien en valeur sa svelte silhouette.
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La maman étanche
7h10, ligne A, bébé dans sa poussette lève les yeux vers maman, son bonnet, ses écouteurs, son smartphone, son écharpe, son masque. C’est bon, il reste encore les yeux.Ah non, ils sont fermés. -
les garçons
Les garçons aussi ont besoin de nousles garçons ont besoin de nousau même titre que les fillesles garçons ont besoinvraiment besoinils ne sont pas plus fortsils ne sont pas plus sûrsils ne sont pas plus solidesnonpas plus robustesl’élève écrit« à chaque fois que je la voisje recule d’un paselle sourit quand elle me voitpourtant j'ai peur d’elleje recule d’un pas, vite »les garçons ont peurde ne pas être à la hauteurles garçons disent des bêtisessur les fillesparce qu’ils n’y comprennentpas grand-chosesouvent rienles garçons ont besoin de nousils ne sont pas moins fragilesils ne sont pas moins vulnérablesles garçons aussiont besoind’être pris dans nos brasconsolésprotégésd’eux-mêmes parfoissi on veut éviter la catastrophela grande catastrophedutrop tardLien permanent Catégories : Characters, Ecole, Enfance & adolescence, Portrait, Réseau social 0 commentaire -
lutte
Si la colère qui t'animeest plus destructrice que créatrice,si la lutte que tu mènes,aussi légitime soit-elle,exclut plus qu'elle ne rassemble,si la lutte que tu mènesdépose dans ton cœurplus d'aigreur que de joie,alors… -
Les voeux de la Mare Rouge
2021 :Soyez toujours prêt à être surpris.Swami Prajnanpad.LOVE -
Amours clandestines
Il fallait bien admettre un fait. Depuis le début du XXIe siècle, qui correspondait à la démocratisation et la banalisation de l'usage du smartphone, les amants modernes vivaient leurs amours clandestines et adultères - aussi romantiques et passionnées fussent-elles - en grande partie
aux toilettes.
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instagrammable
A ma naissance, mon grand-père avait engueulé ma mère : Tu l’appelles Judith ? Mais tu es inconsciente ! Tu te rends compte s’IlS reviennent…
Jusqu’à mes 5 ans, il m’appellera « la môme Juju », puis il mourra.
Quand je vois aujourd’hui la photo de cette adolescente qui pose dos cambré, poitrine en avant, moue Instagram sur les rails qui mènent à l’entrée du camp d’Auschwitz, je pense à Marceau, à ses mots, à sa peur.
Et ce qui m’effraie, moi, aujourd’hui, c’est cette image impossible de l’Abomination prenant la forme d’une jolie jeune fille souriante, pas plus méchante qu’une autre, répondant certainement à l’injonction d’une amie qui tient l’appareil - le smartphone qui permettra de balancer l’image dans la seconde sur sa page facebook :
Cambre-toi un peu plus, oui, super, on voit bien l’entrée derrière toi, ne bouge plus !
Clic.
Même pas néo-nazie, même pas antisémite. Juste instagrammable.
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De l'aubergine
Cette personne essaie de me convaincre depuis une heure que l’aubergine est un légume délicieux, m’explique pourquoi j’ai tort de ne pas l’apprécier à sa juste valeur, m’énumère tous ses mérites, me vante son goût savoureux, sa texture unique, son parfum subtil au travers d'un argumentaire précis et détaillé dans le but de me ranger à son avis mais je n’en aime pas plus l’aubergine à la fin de son exposé aussi achevé soit-il. Du moins pour le moment. Et cela semble la contrarier au plus haut point. Comme si mon absence d’adhésion faisait injure à son goût alors qu’elle met juste en lumière des appréhensions sensibles et sensitives différentes. Je n’essaie pas de la convaincre en retour de la prédominance de l’épinard sur l’aubergine puisque je sais qu’elle l’a en horreur.
Il en va de même en matière de livres, peintures, sculptures, chansons, films, musique. Combien de discussions vaines quand il s’agit du goût des uns et des autres, combien de temps passé à des disputes inutiles. On se sent blessé là où s’expriment seulement des perceptions différentes du monde construites progressivement depuis l’enfance et plus ou moins affinées avec l’âge.
Qui pour oser dire sans en rire : « Ta perception de l’aubergine est moins pertinente que la mienne » ?
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"Trop chou"
Une dame âgée danse seule sur un son rock et se déhanche avec joie. Le décor fait penser à celui d'une fête de famille.
Qui la filme ? Pourquoi cette vidéo devenue virale a-t-elle été partagée sur les réseaux sociaux ? Dans quel but ?
Sous le petit clip, on peut lire les commentaires : MDR, LOL ou TROP CHOU, ELLE EST TROP MIGNONNE. Des émoticônes rigolards ou des cœurs les accompagnent.
Pourquoi la vieillesse dansante et heureuse déclenche-t-elle systématiquement
rire
et commisération ?
A quel moment le corps mouvant d'une femme devient-il si pathétique aux yeux des autres qu’il ne peut plus engendrer qu’amusement ou pitié attendrie ?
A quel instant précis passe-t-il de la grâce à l'anomalie ?
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idée fixe
Cette femme a tellement l'air heureuse et rassurée de penser que je suis une méchante fille arrogante et hautaine que je n'ose pas la détourner de son idée fixe et lui donne charitablement toutes les occasions de confirmer son impression. On ne peut faire montre de plus d'altruisme et d'attention désintéressée à l'autre, avouez.
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LIKE
Adèle s’est fabriqué un petit algorithme personnel : grâce à lui, elle comptabilise les pouces levés et les cœurs figurant sous ses statuts Facebook et sait précisément qui a liké, à quelle heure et combien de fois dans la journée. A partir de ce savant décompte, elle statue sur l’autorisation qu’elle accorde à ses « amis virtuels » d’intervenir ou pas sur son mur. A moins de trois « likes » par semaine sous ses nouvelles parutions, elle proscrit tout commentaire étranger et renvoie les importuns à leur incivilité. D’ailleurs, elle s’applique cette règle à elle-même : elle a un taux de pouces à distribuer au prorata de l’intérêt personnel qui en découle. Quatre par semaine sous le statut de ce nouvel éditeur qui remarquera peut-être ses textes, trois sous celui de cette autrice un peu visible dans le champ littéraire de la blogosphère, deux autres sous les statuts de ce joli artiste au regard mélancolique qu’elle pourra peut-être sauver de lui-même.
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Dans la vie
Sur Facebook, il passait pour un homme attentif au monde, altruiste et généreux, défenseur des belles causes, protecteur de la nature, sensible au sort des femmes, sensible tout court, humaniste, "artiste" à ses heures, bon compagnon, dévoué, fraternel, charitable, philanthrope et désintéressé.Dans la vie réelle, il fallait bien l'avouer, il n'était qu'une grosse fiente. -
point de rupture
Liberté, égalité, fraternité
quand est-ce devenu un slogan ?
Carpe diem
quand est-ce devenu une formule à tatouage ?
Devenir soi
quand est-ce devenu une injonction publicitaire ?
A quel moment est-on passé de l'Essence au bavardage ?
Où est le point de rupture ?
Hand with Reflecting Sphere -- M.C Escher. Lithograph, 1935
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Fenêtre sur cour
Vous sentez comme nos immeubles sont pleins de nous ?
Comme ils sont plus lourds de tous nos corps rassemblés, de toutes nos masses, de nos chairs odorantes à tous les étages, de nos corps enlacés et fourbus, de nos plaisirs communs ou solitaires ?
Vous entendez comme ils bruissent plus clairement de nos pas, de nos rires, de nos repas en famille, de nos mots gros ou doux, de nos cris de jouissance ou de fureur, de nos paroles vaines ou amoureuses ?
Vous sentez comme ils sont peuplés de l’odeur de nos soupes à l’oignon, de nos pains, de nos tartes aux pommes, de nos tajines, de nos gratins dauphinois, de nos sauces bolognaises ?
Vous entendez comme ils résonnent des disputes d’enfants, des batailles d’eau et de polochons, des guerres fratricides et des batailles rangées de warriors, de hobbits, d'orques et de gobelins ?
Pendant ce temps, dans la rue, des mouches volent.
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Pourquoi ne tend-t-on pas l’oreille à ce que veut nous dire le petit virus ?
Pourquoi ne tend-t-on pas l’oreille à ce que veut nous dire le petit virus ?
Bon, d’accord, il tue les plus faibles d’entre nous, ce qui n’est pas très charitable.
Mais, justement, parce qu’il tue, qu’il menace ceux qu’on aime, parce qu’il nous met face à notre impuissance, à notre fragilité, au caractère éphémère de notre condition, que n’en profitons-nous pas pour faire, au moins juste un moment, juste quelques jours, juste quelques semaines, quelques mois,
AUTREMENT ?
Pourquoi ne commençons-nous pas notre révolution ? Et avant, la révolution mondiale, notre révolution interne ?
Pourquoi notre premier réflexe consiste-t-il à vouloir absolument maintenir nos routines ? à râler parce que nos habitudes vont être chamboulées ? à nous jeter fébrilement sur les moyens de travailler à distance pour ne pas perdre le rythme, pour être encore « dedans » coûte que coûte ?
Oui, je sais, les examens à passer, les formations à maintenir, l’argent mis en jeu, la peur de perdre un travail, les micro-entreprises exsangues, la bourse, la récession économique, et… et…
Mais que révèlent ces peurs légitimes ? Un système froid et insensible, implacable, méprisant et hostile à l’humain. Un système qui culpabilise ses membres dès qu’ils émettent un soupçon de volonté de vivre juste un peu pour eux. De se poser, un instant, de s’aimer, de planter un radis et de le regarder pousser.
Un instant.
Après, on sait que tout va reprendre son train d’enfer, de toute façon. Car rien ne dure. Le coronavirus va finir par se faire oublier et on regardera cette période étrange, cette expérience singulière, comme un vieux souvenir.
Il ne tient qu’à nous, puisqu’on est, là, maintenant, ensemble dans le même pétrin, de faire de ce souvenir un moment joyeux, vivant, amoureux, généreux, ouvert aux autres, à soi. Il ne tient qu’à nous d’être inventifs, créatifs. De faire. De récréer notre ordre de manière juste, pour nous et les autres. De mettre enfin en œuvre la grève générale fantasmée il y a quelques mois dans la rue, de la goûter pleinement. Souvenons-nous : cette trêve ne durera pas. La monstrueuse machine va bientôt repartir pour mieux écraser les plus faibles d'entre nous, vieux ou jeunes.
Je sais qu’on n’apprend rien de rien, que les « leçons de l’Histoire » n’existent pas, que l’on n’en finit pas de répéter les mêmes erreurs, siècle après siècle, massacres après famines après génocides après guerres après pandémies. Mais quand même. Si l’on pouvait ne pas ajouter du malheur au malheur.
Le corona nous tend la main : ne pensons pas qu’à laver les nôtres.