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Deux

  • Le charme s'étiole

    J'ai longtemps préféré les hommes ténébreux, ombrageux et cyniques. Je les trouvais plus divertissants que les autres. Je les pensais plus profonds ; parfois, ils étaient juste plus arrogants, mais sans talent.
    Finalement, c'est comme pour tout, on s'habitue. Le charme s'étiole. La posture atrabilaire continue d'amuser, mais moins. La rhétorique de la déprime se fait plus prévisible. Cela reste touchant. Parfois un peu pathétique, mais touchant (c'est mon côté brave fille qui parle).

  • Malentendus

    Bénédicte mit un peu de temps à se rendre compte que celui qu’elle avait pris pour un magnifique ténébreux romantique à l’âme torturée et passionnée n’était en réalité qu’un gros chieur narcissique et égocentrique.
     
    Marcus mit un peu de temps à se rendre compte que celle qu’il avait prise pour une sublime romantique fragile à l’âme complexe et passionnée était en réalité une grosse chieuse narcissique et égocentrique.

  • Co-working

    A la fin de la soirée, Marcus proposa à Bénédicte de co-worker avec lui dans une coopérative éco-responsable auto-gérée. C’était donc tout ce qu’avait à lui proposer ce trentenaire dans la première force de son âge après trois Apérol Spritz. Même pas un petit appel du pied sous la table durant ce long apéro-dînatoire. Bénédicte se contenta de suçoter sa paille en inox en prenant garde de ne pas manifester de manière trop ostentatoire son ennui profond, ce qu’il interpréta comme une invitation à enchaîner sur un savant calcul de son empreinte carbone au quotidien.

  • c'est signé

    Joe sentit son portable vibrer dans sa poche. Sa femme lui envoyait le dialogue entier de la conversation amoureuse qu’il venait d’avoir avec Barbara à la terrasse de ce café sétois. Tous les mots étaient presque exactement retranscrits. Il tendit l’écran à Barbara qui regarda paniquée autour d’elle. Elle ne tarda pas à découvrir Bénédicte, deux terrasses plus loin qui leur fit un petit geste de la main : « Coucou ! » et signa un : « A ce soir, mon chéri !» avant de re-suçoter la paille de son Schweppes.
     
    Les couples adultères ne sont jamais assez prudents ; les couples adultères sourds et muets doivent redoubler de vigilance…

  • Ma dernière parution

    DURES COMME LE BOIS, un recueil de nouvelles écrit à quatre mains qui explore les zones grises de notre époque et n’évite aucun terrain glissant. Si ce recueil était un végétal, ce serait assurément un cactus. Si ce recueil était un animal, ce serait le crocodile de Michaux qui rappelle dans Face aux verrous: «Ce n’est pas au crocodile à crier : Attention au crocodile ! »

    Judith Wiart & Frédérick Houdaer, éditions Sous le Sceau du Tabellion.

    Pour commander le livre en ligne : https://www.sceaudutabellion.fr/catalogue

     

     

     

  • Godard 2018

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    - Tu vois mes muffins à la praline dans la glace ?
     
    - Oui.
     
    - Tu les trouves jolis ?
     
    - Oui.
     
    - Et mon sauté de veau au chorizo, tu l'aimes ?
     
    - oui.
     
    - Tu l'aimes mon pain aux olives aussi ?
     
    - Oui. J'aime beaucoup ton pain.
     
    - Et ma tarte à la tomate-moutarde ?
     
    - Aussi.
     
    - Tu vois mon pot-au-feu dans la glace ?
     
    - Oui
     
    - Tu les trouves jolis mes plats à l'ancienne ?
     
    - Oui.
     
    - Et ma tarte au potimarron-châtaignes, tu l'aimes ?
     
    - Oui, énormément
     
    - Qu'est-ce que tu préfères ? La mie de mon pain ou la croûte de mon pain ?
     
    - J'sais pas. C'est pareil.
     
    - Et mes rillettes de thon, tu les aimes ?
     
    - Oui.
     
    - Moi, je trouve qu'elles ne sont pas assez citronnées.
     
    - Non...
     
    - Et mes crevettes au gingembre ?
     
    - Oui, je les aime.
     
    - Tu aimes tout ? Mes pâtisseries, mes ragoûts, mes tartes salées ?
     
    - Oui, tout.
     
    - Donc, tu m'aimes totalement ?
     
    - oui. Je t'aime totalement, tendrement, tragiquement.
     
    - Moi aussi.                    Tu me passes la Piccalilli ?

     

  • le jeu

    J’essaie de jouer le jeu depuis le début. On ne peut pas dire que je ne fasse pas d’effort. Je pourrais rejoindre ceux qui l’ont abandonné depuis longtemps : ils sont à l’asile ou dans une grotte lointaine. Mais je n’ai le courage ni des fous ni des sages. J’écris des textes qui parfois disent que je ne joue plus : le fait de poser un seul mot sur une feuille dénonce déjà la supercherie. Tout écrit est une justification.
    Ne plus jouer consisterait à faire silence, à rejoindre la fixité des morts. Peut-être, un jour. Pas maintenant.
    Je jette tous les mots du dictionnaire à la benne. J’en garde deux seulement, que je ne dirai pas.

  • couvre-feu

    hier 20h50
    retour d’une soirée clandestine
    dans un lieu clandestin
    à écouter de la poésie
    à écouter de la musique
    à plus de six
    dans une pièce
     
    la veille
    un professeur d’histoire
    a été assassiné
    à sa sortie de cours
    il avait sans doute
    des projets de vacances
    avec son enfant
    la mer peut-être
     
    tu sais que j’ai vu sa tête
    séparée de son corps ?
     
    tu crois qu’on arrivera avant le couvre-feu ?

  • coït

    Cette nuit la lune m’a réveillée. Sa lumière était brutale et pénétrante, sa rotondité, parfaite. Ses cratères, distincts, se détachaient comme des énigmes au pochoir. Pour lui plaire, le jardin s’était enveloppé de son parfum de cocotte au chèvrefeuille et seringat tandis que les oiseaux nocturnes lançaient des cris lascifs et implorants.   

    Il allait se passer quelque chose. J’ai senti que j’étais de trop. J’ai rabattu mon drap sur la tête pour ne pas être en position de voyeuse. Ce qui est bien naïf de ma part car chacun sait qu’aucun de nous n'a le pouvoir d'échapper au grand coït énergétique quand il a lieu.

  • Moussa et Valentine

    Moussa avait croisé Valentine sur les réseaux sociaux quelques jours avant le début du confinement. Le premier rendez-vous qu'ils s'étaient fixé avait été contrarié par les règles de distanciation sociale et les gestes barrières. Alors, tous les soirs à 21 h, Moussa quittait le pavillon d'un cossu quartier résidentiel avec son luth pour jouer la sérénade sous les fenêtres de Valentine qui envoyait des baisers à son galant du haut du 3e étage de son H.L.M. de banlieue.

    Au fil des jours, c'était devenu un feuilleton attendu par tous les habitants de la barre C. Un soir que quatre agents de la police municipale vinrent interrompre l'aubade pour demander son attestation de déplacement dérogatoire à Moussa - certainement convoqués par quelque locataire jaloux de la barre B - ils repartirent sous les huées et les ordures ménagères des résidents farouchement défenseurs de ce spectacle quotidien de l'amour courtois sous leurs persiennes.

    A la fin du confinement, les habitants du quartier organisèrent un grand bal dans la salle polyvalente de la M.J.C pour célébrer le premier rendez-vous physique des amoureux. Moussa et Valentine, intimidés, attendirent d'être à l'abri des regards pour échanger leur premier baiser, sans masque, sans gel hydroalcoolique, sans attestation, sans contrôle policier. Puis, ils dansèrent jusqu'au petit matin avec leurs joyeux complices avant de se retirer pour aller enfin à la véritable rencontre l'un de l'autre, sans spectateurs ni témoins.

  • Replay

    Ma fille me lâche la main

     

    Regarde maman les oiseaux de mai

     

    comme ils sont joyeux et replets !

     

    Une petite fille de trois ans ne dit pas « replet »

     

    mais c’est ma fille

     

    pourquoi s’interdirait-elle des mots 

     

    en ce jour de printemps 

     

    à quelques pas de mes cinquante ans ?

     

    Ce chiffre n’existe pas, 

     

    pas plus que n’existe celle

     

    à qui je tiens pourtant la main

     

    pour aller rejoindre son papa

     

    qui lui existe bien

     

    puisqu’il m’a fait un enfant

     

    une petite fille de trois ans

     

    qui dit « replet »

     

    et qui bat des mains

     

    en regardant s’envoler

     

    les oiseaux du printemps.

     

     

     

     

     

    Illustration : la petite fille et l'ours en peluche, Doisneau.

  • Tentative de rapprochement

    La première fois qu’elle m’a demandé en classe de seconde à la piscine si je faisais de l’anorexie, j’ai pensé qu’elle était malveillante : j’étais complexée par ma maigreur, être en maillot de bain devant la classe était un cauchemar, je n’avais pas envie qu’on me questionne sur mon apparence physique et qu’on insiste sur ce que je percevais comme une difformité. Je lui ai répondu que je pouvais manger quatre poulets rôtis sans prendre un gramme, que c’était ma morphologie et que, par conséquent, je considérais sa question comme conne et non avenue. Elle est partie l’air franchement dubitatif et je l’ai sentie me scruter durant toute la séance, sur le bord du bassin et dans les vestiaires.

     

    Puis, elle a insisté. A la récréation, en cours, elle me prenait à part et me demandait d’avouer : j’étais bien anorexique, je pouvais le lui confier, elle ne le dirait à personne, ce serait notre secret, allez.

     

    J’ai fini par comprendre qu’elle cherchait une « copine d’anorexie » ou de manière plus générale, « une copine d’affliction » mais qu'elle n’avait pas encore décidé de la forme à travers laquelle s’exprimerait son tourment : anorexie, boulimie, anorexie doublée de boulimie, cisaillement de veines… Après tout, les moyens ne manquaient pas de manifester son inadaptation au monde. Je me suis presque sentie désolée de ne pas être à la hauteur de son fantasme morbide. Un peu plus et j’étais prête à m’excuser de ne pouvoir être la complice anorexique dont elle rêvait. J’étais mal dans ma peau, certes, mais sans envie suicidaire, sans désir d’automutilation, sans imaginaire auto-destructif… une bien piètre copine de désespoir existentiel.

     

    Elle a fini par jeter son dévolu sur une « scarification à la pointe de compas », efficace et discrète. A la fin d’un cours de maths, dans les toilettes, elle a exhibé ses premières cicatrices encore toutes fraiches et sanguinolentes devant deux ou trois filles de la classe aussi révulsées que fascinées. Elle allait enfin pouvoir vivre pleinement son mal être, de façon romantique et exaltée.

     

    Je trouvais qu’elle allait beaucoup mieux depuis qu’elle avait enfin arrêté son choix :  elle revivait.

  • l'amour cheap

    L’amour cheap

    c’est un amour qui vaut peanuts

    que dalle

    nada

    macache

    oualou

    qui se donne des grands airs

    mais qui sent le poireau à la cuisson

    un truc bon marché

    un truc moyen

    même pas kitsch

    qui ne laisse aucun goût

    aucun souvenir

    aucune envie de tuer ou de vivre

     

    on le croise dans la rue

    on ne le reconnait pas

  • Etc.

    A force de fréquenter sa maitresse, il était redevenu amoureux de sa femme.

    Sa femme, alors, était devenue l’amante qu’il devait cacher à sa maitresse qui n’allait plus tarder à devenir son ex-maitresse jusqu’à ce qu’il se lasse de nouveau de sa femme et qu’il ne jette son dévolu sur une nouvelle maitresse qui lui ferait momentanément oublier sa femme.

    Etc.

  • la carte

    Cette nuit, j’ai relié tous les grains de beauté de ton dos du bout de mon index et j’ai vu apparaitre la carte d’une île que je ne connaissais pas avec, au milieu, une malle au trésor que je n’ai pas osé ouvrir de peur de voir s’échapper des souvenirs qui ne me regardent pas.

  • Quentin

    Quentin, 16 ans, sait bien que les règles sont rouges et non bleues comme dans la pub, mais il est quand même un peu troublé de les découvrir sur la serviette périodique de son amoureuse lors du premier rapport sexuel. Il sait aussi que le clitoris est un organe essentiel du plaisir féminin (il a observé des schémas en coupe très détaillés), il se concentre donc pour l’atteindre et l’exciter avec application car il a conscience des ramifications nerveuses internes qui sont censées amener son amie à l’orgasme. Il s’applique à une caresse buccale car il sait que la variété des stimuli contribue à la montée du plaisir mais prend également soin de laisser sa partenaire prendre des initiatives car il veut que l’acte d’amour se déroule sur un plan d’égalité : les femmes ne sont pas des objets sexuels à manipuler comme des pantins dociles.


    Malgré toute sa bonne volonté et les heures passées à écouter des émissions de radio féministes consacrées au plaisir féminin, Quentin se fait engueuler par Coralie car « il n’est pas à ce qu’il fait » et que « c’était mieux avec Joris qui, sait, lui, ce que c’est, une femme ».
    Quentin passe sa langue sur le coin de sa bouche qui a le goût métallique du sang menstruel.

     

     

     

     

    Tableau : Marie Vinouse

  • On dirait tu fais le mort

    On dirait tu fais le mort
    On dirait tu bouges plus
    Tu respires plus
    On dirait tu louches légèrement
    Et tu ouvres la bouche
    Avec la langue qui pend
    On dirait tu as le bras tout mou
    Quand je le lève
    Et je le laisse tomber
    Non
    plutôt
    On dirait
    Ton bras est tout raide
    Tout dur
    Tout froid
    On dirait tu es immobile
    On dirait ton cœur bat plus
    On dirait
    Tu fais très bien le mort
    On dirait
    On s’embrasse plus
    On se caresse plus
    On dirait
    On se regarde plus
    On dirait tu peux plus m’énerver
    Quand tu trouves une autre fille
    intéressante
    On dirait tu fais le mort
    On dirait tu es immobile
    et ton odeur n’est plus là
    On dirait
    on va plus au cinéma
    tu râles plus contre les pigeons
    On dirait
    tu m’enlaces plus avant le café
    On dirait tu rigoles plus
    On dirait on se tient plus la main
    On dirait tant pis pour la mer
    tant pis pour les bateaux
    On dirait tu existes plus
    On dirait
    tu fais plus de rêves
    plus de cauchemars
    On dirait ton ventre gargouille plus
    contre mon oreille
    On dirait
    On dirait tu fais trop bien le mort

    Arrête.

  • Plan de travail

    Le bonheur n’est pas une idée flottante.
    Le bonheur n’est pas une oasis à attendre les bras croisés : apparaîtra-t-elle sur ma droite ou sur ma gauche ?
    Le bonheur requiert une rigueur, une méthode au couteau, un sens pragmatique, une discipline de l’effort. J'en suis le marin aussi bien que l'artisan.
    Ainsi donc, je prends soin de mes outils, je nettoie mon plan de travail, j’affute le ciseau, je règle la boussole, je ne perds pas de vue la finalité. Et si le bonheur semble m’échapper, comme l’œuvre se dérobe parfois à l’artiste en plein labeur, je garde le cap. Je n’ai pas le choix. Je suis à la barre et je transporte de précieux passagers.

  • méthode

    Il m'a appris à écouter des choses gaies quand je suis triste.
    A abandonner les airs mélancoliques aux seuls moments joyeux. A ne pas ajouter du malheur au malheur.
    Je savais déjà, avant lui, que la complaisance envers son propre malheur est une faute de goût, un manquement à l'élégance.
    Mais j'étais brouillonne. Il m'a apporté la méthode.

  • Villa Gillet

    Au parc de la Cerisaie, le couple de mariés debout sur le perron de la villa Gillet prend des poses devant la photographe d'événements qui s'impatiente :

     


    - Penchez la tête. Non, pas comme ça... la tête plus penchée, monsieur... non, ça ne va pas. AYEZ L'AIR amoureux !

     
     
     
     
  • Vergetures et cicatrices

    Nos corps en maillot de bain sur les serviettes de plage sont tranquilles et modestes. Ils ne demandent rien à personne. Ils contemplent leurs vergetures et leurs cicatrices avec révérence. Ils ne sont plus jeunes, pas tout à fait vieux encore. Quand d’ailleurs ? Ils attendent. Et pendant l’attente, ils prennent le soleil, le vent, l’embrun. Le retour au sable, ils y pensent, parfois, mais l’idée se mêle bientôt au roulis de l’eau sur les galets et finit par se confondre avec la mer océane.

    Alors, nos corps finissent le paquet de chouchous et se donnent un baiser.

  • Lectures

    C’est à la façon qu’il avait eu de se saisir d’un livre, d’en toucher la couverture, de l’ouvrir, de le feuilleter, d’en parcourir quelques pages et de s’arrêter précisément sur une ligne pour la lui lire, qu’elle avait soudainement vu en lui non plus l’ami mais l’amant.

  • Tout à sa place

    Avec tous les galets de la plage du Havre, j’ai construit notre maison, notre jardin, nos ponts, nos puits, nos montagnes et nos plaines, nos barrages et nos grandes allées, nos cabines de plage. Avec toute la Manche, j’ai fabriqué nos pluies, nos sources, nos mares aux canards, nos flaques et nos torrents, nos marées hautes et basses, nos mers, nos océans.
    Puis, je t’ai dit que tu pouvais ouvrir les yeux.

     

    Après, bien sûr, j’ai tout remis à sa place. Je suis une fille ordonnée.

     

     

     

     

    Photographie, polaroid OneStep2, plage du Havre, août 2019.

  • 10 août

    Je prends le soleil, allongée sur le ventre, j’entends les vagues, je perçois les cris joyeux des jeux de plage, une mouette à dix pas vient chiper les miettes des baigneurs, il me demande si je veux encore un peu de chouchous où s’il peut finir le paquet, et là, comme chaque 10 août de chaque été, je la sens qui rampe dans mon dos comme un asticot blanc. Ce n’est pas une goutte d’annonce d’orage, ce n’est pas une goutte d’eau de mer, ce n’est pas une goutte de sueur due à la chaleur, non, c’est « la goutte de rentrée ». Celle qui creuse un petit sillon d’anxiété quasi imperceptible, furtif mais manifeste, le long de ton échine. Celle qui dit que tu es encore en vacances mais qui en prédit déjà la fin. Celle qui jette un grain de sable sur ta boule de glace coco.


    Tu peux finir le paquet, mon amour, tu peux…

  • Part-Dieu-Perrache

    A chacun sa gare, mon Amour.
    La tienne, c’était Perrache.
    La mienne, c’était Part-Dieu.

    Même pas des gares qui riment.

    Toi aussi, tu les as eus
    tes joueurs de djembé,
    tes plans Vigipirate,
    tes caméras de sécurité,
    tes fumeurs de tout,
    tes lignes de fuite,
    tes valises piégées.

    De gare à gare,
    on n’avait qu’un arrêt.

    Si on avait su…

    Le Lyon Part-Dieu-Lyon Perrache.
    Pris sur le tard.

    Mais à l’heure.
    Terminus.

    31 536 000 minutes d’arrêt.

  • Fève tonka

    On guette, on est sur le qui-vive, on protège ses arrières mais ça se passe ailleurs. Le champ qu’on croyait miné est vierge. Le champ qu’on pensait sauf est piégé. On s’attend au pire : on a raison. Et on a tort. Car rien n’arrivera comme on l’a imaginé. Parce qu’on n’est pas dieu. Parce que la vie est un grand fracas de tout et qu’on est le centre de rien. Parce que le sens nous dépasse. Parce que la vie n’a pas vocation à être juste. Les bourreaux s’en sortent. Les plus méritants ne sont pas ceux qui arrivent. Les pauvres restent pauvres. Et puis, les agios, les subprimes... Et puis, les guerres et les chaos... Le grand cri universel inouï.

     

    Il n’y a qu’une chose à faire, qui tient en un mot que je ne dirai pas mais qui ressemble au parfum de la fève tonka mêlé à une vision de mer.

    Entende qui pourra.

  • Os de seiche à vendre

    A neuf ans ans, je fais du porte-à-porte dans un lotissement de la Seine-Maritime pour vendre des os de seiche ramassés sur la plage. J’explique que l’os de seiche apporte aux canaris et aux perruches, le calcium et les oligo-éléments dont ils ont besoin, que c’est un matériau facile à graver avec lequel on peut fabriquer de petites sculptures. Je tape à toutes les portes des maisons et je présente mon panier d'os de seiche tout l’après-midi à des gens qui n'en veulent pas.

    Au même moment, à 350 km de là au Far-East, mon amoureux se donne comme défi de caresser l’un après l’autre tous les chiens de toutes les maisons de son quartier, du plus avenant au plus impressionnant.

     

     

  • Une charogne 2017

    Sur la plage, les doigts de l'un dans la bouche de l'autre, nous dévorons des tourteaux sans mayonnaise et faisons l'amour à même les galets.
    Au matin, nos peaux sont couvertes de bleus.
    Derrière les rochers, une mouette inquiète nous guette d'un œil fâché, épiant le moment de reprendre à la carcasse décapode, le morceau qu'elle avait lâché

  • Genèse

    Elle était tombée amoureuse de lui pour des raisons qu’il n’imaginait pas. On pense toujours que nos qualités physiques et conversationnelles l’emportent sur tout dans la genèse de l’histoire. Mais lors de leur premier rendez-vous dans un café de quartier, c’était la trace à peine visible du fil de l’étendoir à linge qui dessinait de petits zigzags sur son tee-shirt au niveau de la poitrine qui l’avait émue.

  • Lettres modernes

    La jeune fille en fleur est un produit inoxydable.
    Le vieil onaniste est un produit inaltérable.

     

    La bonne à grand-papa
    devenue étudiante en lettres modernes
    règle la webcam et se laisse trousser de loin
    un livre de Modiano entre les mains.