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  • Barbie

    Quand j'avais 6 ans je maltraitais mes Barbie. Ce n'était pas par méchanceté mais parce que leurs membres étaient raides, ne pliaient pas au moment où j'essayais de les habiller ou les déshabiller ; c'était très énervant. Comme je n'étais pas patiente, elles finissaient toujours avec un bras en moins. Ou une jambe. Et comme je ne savais pas quoi faire d'une Barbie unijambiste, je parfaisais mon œuvre en lui coupant les cheveux puis la tête. C'est sûr qu'après ça la mini jupe faisait beaucoup moins stylée...
    Je finissais par enterrer les morceaux dans mon jardin en priant très fort pour leur âme en plastique.

  • dodo

    Raoul aimait à donner son avis sur tout et n’importe quoi arguant du fait qu’il était un homme libre, honnête et franc. Blessait-il des gens ? Ils étaient tous des imbéciles. Lui demandait-on son opinion sur le monde ? Il se passait d’invitation. Son intelligence était supérieure, son goût sûr, sa vision essentielle. L’avantage avec Raoul, c’est qu’il n’avait besoin de personne pour deviser, il s’enjôlait lui-même (du genre à s'auto-liker sur Facebook), ce qui permettait à ses interlocuteurs de s’échapper sans mal ou de prendre un peu de temps pour eux. Bénédicte l’écouta quelques minutes pérorer sur la vie, la société, les femmes, les hommes, les conflits internationaux, le dernier essai littéraire à la mode consacré au délitement de la langue française et finit par s’endormir sur son épaule bercée par la douce logorrhée narcotique. Les coussins du divan étaient moelleux, elle soupira d’aise.

  • Le jour où Jane B. m'a sauvée.

    Quand je rencontre Jane Birkin pour la première fois, j'ai 14-15 ans. Je suis une longue créature chétive,  osseuse et farouche. Rien ne pousse ni devant ni derrière. Les seules choses qui fassent forme sur mon corps sont des côtes et des omoplates saillantes, des genoux cagneux. Je lorgne avec envie les nénés des copines déjà formées, les bosses qui poussent le chandail, les marques de soutien-gorge apparentes. Je vois bien ce que ça fait dans les yeux des garçons ces histoires de trucs qui émergent sous les débardeurs. Y a ceux qui regardent franco, un peu hypnotisés, y a ceux qui font semblant que non, mais si.

    Soudain, les filles de la récré les plus transparentes quelques mois auparavant se trouvent dotées d'un super-pouvoir dont elles sont elles-mêmes surprises. C'est la roulette génétique de la vie qui se joue là. Je comprends assez tôt qu'il va falloir me trouver un autre don de la nature si je veux attirer le regard des garçons, mais franchement, pendant très longtemps je ne vois pas quoi. 

    Pour me faciliter l'existence, je décide que les garçons de mon âge sont TOUS des crétins finis et je brigue du côté des "vieux" de Terminale qui se contentent de me bousculer dans les escaliers du lycée.

    Quand je rencontre Jane B. j'ai abandonné tout espoir de séduire à l'aide d'arguments physiques, et mon acné, mon appareil dentaire et ma coupe-garçonne viennent parfaire le tableau de l'adolescente pathétique aux allures androgynes-anorexiques. Je porte alors deux pantalons superposés pour cacher mon absence de formes et m'épaissir un peu.

    Ma tante Domitilde me reçoit à Lille. Elle a laissé traîner sur la petite table de son salon de vieux magazines "people" avec des photos en noir et blanc que je feuillette en attendant qu'elle apporte le café et les petits gâteaux.  Sur la double page du milieu, je découvre une jeune femme aux jambes arquées et maigrelettes dans un mini-short en jean, tenant au bout de son bras un grand panier en osier rigide. En haut un débardeur blanc à même la peau, sans rien dessous, dont le décolleté descend bas sur l'absence de poitrine. Deux tétons, juste, pointent sous le tissu. C'est Jane B. Elle défie l'objectif de son regard effronté et gamin. Elle a un sourire d'enfant. C'est une adulte, une "vieille" d'au moins 25 ans, mais son corps est celui d'une adolescente.

    Ce n'est pas le corps d'une adolescente, c'est MON corps.

    Et ce corps est dingue. Plat mais pas que, courbes discrètes,  hanches de garçon, cuisses imparfaites totalement désirables. Cette fille est SEXY sans les attributs de la féminité. Ça se peut. Ça existe. Choc profond. Renversement des valeurs. Claque morphologique. J'ai trouvé une sœur anatomique.

    Domitilde me confirme que cette fille existe bien. Si j'avais eu la télévision à la maison durant les dix années précédentes, j'aurais peut-être pu l'apercevoir dans les émissions de Maritie et Gilbert Carpentier en duo avec Gainsbourg, Sardou ou Carlos... Je l'ai découverte juste à temps, avant la mode des Samantha et Sabrina qui aurait fini de m'achever. Ce jour-là, une partie de moi était secourue.

    Ce jour-là, Jane Birkin m'a sauvée.

  • imposteurs

    le syndrome de l’imposteur ?
    tout le monde devrait l’avoir, non ?
    imposteurs de nous-mêmes bien sûr
    en premier lieu
    en unique lieu
    tous bidons devant la glace
    là est le délit
     
    pour le reste, pas si grave…
    le monde est fait d’imposteurs qui ne nous dupent que parce que nous le voulons bien.

  • aucune arrière-pensée

    Depuis que je sais tenir un stylo, j’observe le monde et les gens puis je les écris. Pourquoi ? Mystère. Aucune idée. Aucune arrière-pensée. A l’âge de 9 ans, j’écris parce que c’est ce qu’il y a de mieux à faire après lire des histoires, faire du vélo et jouer à l’élastique dans le lotissement avec mes copines. De temps en temps, je fais du porte-à-porte pour vendre des os de seiche ramassés sur la plage que personne n’achète. L’activité est vaine, aussi vaine que l’acte d’écrire et cela n’a aucune importance. J’apprends l’endurance tranquille.
    C’est bien plus tard que l’on me fait entendre qu’écrire est chose sérieuse, affaire d’initiés. J’acquiesce alors pour ne contrarier personne ; ceux qui disent cela ont l’air si attachés au caractère sacré de l’exercice ; je ne veux pas leur faire de la peine.
     
     
     
    Photo : Doisneau, 1961, "leçon de vélo"