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Transports en commun

  • Métro M.P

     

    C'est vrai, ici, il y a eu cet enfant de dix ans tué devant la boulangerie du quartier à coup de fusil pendant un règlement de compte,

     

    c'est vrai, ici, il y a eu cette femme défenestrée du quatrième étage par son mari sous les yeux de nos élèves,

     

     c'est vrai, ici, chaque jour on nous dit le racket, les menaces, le shit,

     

    mais ce matin, quand même, à la sortie de la bouche de métro Mermoz-Pinel, les branches nues des arbres du boulevard sont une délicate dentelle sur un fond d'aube mauve et bleue.

  • La maman étanche

    7h10, ligne A, bébé dans sa poussette lève les yeux vers maman, son bonnet, ses écouteurs, son smartphone, son écharpe, son masque. C’est bon, il reste encore les yeux.
     
    Ah non, ils sont fermés.

  • manège

    Je demande au vigile d'Auchan
    s'il n'a jamais rêvé de monter sur ce manège placé là à l'entrée de la galerie marchande
    quand il est à l'arrêt
    au moment de la dernière ronde de surveillance
    quand toutes les lumières de la grande surface s'éteignent les unes après les autres
    s'il aurait plutôt choisi le cheval la voiture le carrosse ou le lapin quand il était enfant
    et aujourd'hui serait-ce le Mickey rieur ou le Donald grognon
    mais il m'enjoint poliment de descendre de la moto
    et me dit qu'il est temps de rentrer chez moi
    car la nuit est tombée depuis longtemps

  • King Kong Skate

    Le jeune homme qui monte dans le bus C 18 tient dans la main droite un skate, dans la main gauche, le livre King Kong Theorie version poche. 

     

    L'alliance des deux objets ne me semble pas une sotte idée pour faire une apparition remarquée et raisonnée sur le territoire des adolescentes croix-roussiennes version Néo-Féministes-Warriors.

     

    Virginie Despentes servira de sésame.  Le skate, lui, permettra la fuite rapide en cas d'impair sexiste involontaire.

  • d'humeur joviale

    L’ambiance est très bon enfant ce matin dans le bus. Le jeune homme trisomique se fout de la tête du nain. Haha, t'es tout petit, toi ! T'es drôle ! Le nain rétorque : T'as vu ta gueule, le mongolien ? Et, tout le monde rit. Encouragée par l’énergie joviale communicative, je me tourne vers mon voisin de banquette pour le tacler : Ça faisait longtemps que je voulais vous dire que votre eau de toilette sent le pipi de chat ! Mais ça jette un froid. Seul le jeune homme trisomique me tape dans le dos et continue de rire  à s’en décrocher la mâchoire.

  • l'ignominie de la bonté (épisode 1)

    Oh qu’il est beau, hein
    il est beau, oui
    madame, il est beau votre bébé
    C’est fou comme il est beau ce bébé
    non, Jacqueline ?
    ah oui, il est beau ce bébé
    très beau
    regarde, il nous sourit
    oh, il nous sourit
    il te sourit, Jacqueline
    il te sourit
    regarde comme il est mignon
    dans son petit manteau blanc
    avec son petit bonnet blanc
    ah, il est beau
    je peux le toucher, madame ?
    oh Jacqueline,
    regarde ça,
    as-tu vu déjà vu si beau bébé ?
    oui, au revoir, madame,
    au revoir beau bébé
    au revoir.

     

    Tu as vu ça ?
    il est noir
    très noir
    mais il est beau
    ce bébé.

     

    Hein, Jacqueline ?

  • in love

    Ce matin, le jeune homme trisomique du bus C18 est plus jovial qu'à l'accoutumée et son look est particulièrement étudié. Il porte une chemise bigarrée bien repassée et un pantalon assorti aux couleurs dominantes du haut du corps. Dans la main droite, il tient un beau bouquet de fleurs entouré de cellophane et papier de soie. Mais surtout, il pète beaucoup moins que d'habitude, ce qui témoigne d'un profond bouleversement métabolique de son être.
    Bref, il m'a tout l'air amoureux.

  • métropole régionale

    L'angle droit de l'arrêt de bus de la place Tobie Robatel est un lieu maléfique. Hier soir, trois couples s’y sont succédé et tous les trois se sont disputés violemment comme si cet endroit était réservé à cet effet. Mais peut-être est-ce vraiment devenu un espace de la ville consacré à la dispute conjugale et que je suis la seule à ne pas le savoir ? Les métamorphoses de l’aménagement urbain s’avèrent si rapides ces derniers temps que je me laisse de plus en plus surprendre par le jaillissement inopiné de nouveaux équipements dans des lieux familiers. Hier encore, j’entamai la conversation avec le personnage mouvant d’un panneau publicitaire plus vrai que nature sous le regard amusé d’un gros pigeon de métropole régionale.

    Ils semblent, quant à eux, indifférents aux mutations citadines et vaquent sans sourciller à leurs occupations quotidiennes se contentant de déposer ici et là quelques fientes grasses et blanches sur les structures naissantes.

  • happy family

    La mère porte un casque relié à un smartphone qu'elle regarde sans lever la tête. L'enfant fouette le téléphone de sa mère avec sa lanière de sac à dos. La mère ne lève pas la tête. Elle fait défiler des images. Sur une vidéo, une femme échevelée hurle dans un manège à sensations. La mère rit et repasse plusieurs fois le film. Le garçon continue de fouetter le téléphone avec sa lanière de sac à dos. Elle ne lève pas le visage vers lui, elle fait défiler les images, elle rit avec les images, elle envoie un texto avec des émoticônes et les lettres MDR. Elle ne quitte pas l'écran des yeux. Il flagelle encore et encore le téléphone dans un rythme régulier sans jamais croiser son regard jusqu'à ce qu'elle lève enfin la tête vers lui :

     

    - T'es vraiment chiant.

  • la marieuse

    Dans le métro, je marie les gens, je forme des couples que je crée selon mes goûts. Je fiance les membres isolés de la voiture, je constitue des binômes harmonieux. Harmonieux selon mes critères, s’entend. Je n’apprécie pas ce qui va de soi, ce qui parait instantanément assorti.

     

    Les gens n’ont pas beaucoup d’imagination, ne savent pas nécessairement ce qui leur convient et se font de fausses idées sur leurs propres désirs. Ma mission est de les guider, de les aider à y voir plus clair dans leurs envies et à discerner le conditionnement social de la véritable aspiration intime. Je rends visibles les inaperçus, j’alliance les possibles non révélés, je marie les inattendus : l’étudiante aux Beaux-Arts et son carton à dessins avec le V.R.P. à la mallette noire, la secrétaire de direction en tailleur et talons avec la circassienne en parka kaki et dreadlocks, la vieille rentière au foulard Hermès avec le jeune travailleur précaire aux chaussures de sécurité. Je reçois chaque jour des lettres de reconnaissance de la part de couples de ma création qui louent mon audace et mon inventivité.

     

    Bien sûr, je dois continuer de parfaire mon art de l’assemblage. J’ai encore un peu de mal avec ceux qui lèchent leur propre reflet dans les vitres du wagon et s’avèrent réfractaires aux fiançailles avec un.e autre qu’eux-mêmes.

     

     

     

     

     

     

    Image : Fahrenheit 451, Truffaut, 1966.

  • Hors champ

    D’abord, je comprends : tu n’es qu’une idiote, animale ! tu ne fais jamais ce qu’il faut, animale ! puis, j’entends : t’es vraiment con, Anima.
    La femme est coincée dans le portique du métro avec sa valise.
    S’il lui avait parlé ainsi lors de leur premier rendez-vous amoureux, il y a fort à parier qu’elle aurait fui dans le décor urbain et slalomé entre les figurants jusqu’à disparaitre hors champ à jamais. Mais chacun sait que le premier jour est le plus souvent composé d’une succession de petites scènes dans lesquelles chacun des protagonistes s’ingénie à séduire l’autre par des attentions délicates et des palabres pleines d’esprit. Cinq ans plus tard, le scénario s’épuise à jeter ses personnages dans des situations variées ayant pour seule vocation de révéler les deux partenaires de l’histoire l’un à l’autre. Les lieux de transit (métropolitain, gare, aéroport) en constituent la toile de fond idéale.

  • Larmes de...

    Une femme pleure sur la banquette voisine du bus C13 qui descend la rue Terme. De grosses larmes rondes comme celles d’un manga. Elle tient entre les mains un dialogue de théâtre dont une partie est surlignée en vert fluo. Ses yeux fixent quelque chose dans le vide, loin devant. Est-ce elle qui pleure ou son personnage ?
    Je sais des comédiennes qui ne savent plus répondre à cette question. Pour le meilleur et pour le pire.

  • Ligne 14

    Que fait cet homme avec cette femme qui le maltraite du regard dans la voiture n°2 de la ligne 14 du métropolitain ?
    Le rictus de la femme était-il déjà perceptible au moment du « oui » devant le maire de la bourgade ?
    Quelqu’un l’a-t-il perçu ?
    Quelqu’un aurait-il pu prévenir l’homme alors ?
     
     
    Car cette sorte de grimace n’apparait pas en un jour sur le visage. Elle s’installe en amont de la fixation, se cherche, se demande durant de longues années si elle va se crisper sur sa droite ou sur sa gauche. Tel le termite qui ronge son bois de l’intérieur, grignote la poutre consciencieusement jour après jour, seconde après seconde et fait œuvre de destruction à l’insu de tous jusqu’à l’effondrement de la structure, le rictus a dû lui aussi préparer son surgissement spectaculaire pour être enfin là, visible, ostensible, manifeste un matin de mai dans le voiture n°2 de la ligne 14 du métropolitain fixant l’homme qui regarde ailleurs.
     
     
    Qui sait comment ces choses arrivent.
    Qui sait combien de temps on peut rester marié à un rictus.

  • Transport en commun

    Ce matin, dans le métro, tout le monde avait la même tête :  les hommes, les femmes, les enfants, les jeunes gens, les vieux, les contrôleurs et les bébés.
    J'ai sorti mon miroir de poche avec inquiétude pour vérifier : j'avais les mêmes traits que tout le monde.
    Je n'aurais pas aimé dépareiller.

  • la poésie qui endort

    - Dites, madame, est-ce qu'on a le droit de balancer par dessus bord la poésie qui laisse le monde endormi dans les rames à sept heures du matin ?
     
    Peut-être que comme ça elle fera au moins un bruit intéressant au moment du broyage ?
     
    Peut-être même qu'on sursautera tous au même moment, ça nous fera un point de contact commun dans les transports en... non ?
     
    - Oui, mon petit, tu en as le droit. Tu en as le devoir, même. Mais arrête de faire des bulles avec ce chewing-gum, tu sais bien que ça m'énerve.

  • message à caractère informatif

    Sur l'écran projeté de la station de métro Bellecour, après l'horoscope du jour et la météo, un message à caractère informatif est transmis le 28 novembre 2018 aux âmes matinales :

    C'est à l'âge de 5 ans que nous rions le plus dans notre vie.

  • transports en commun (suite)

    C'est un jour de grande courtoisie dans le métro. Chacun cède sa place à l'un de ses compagnons de voyage dans une chorégraphie subtile et minutieuse. L'adolescent se lève pour la jeune femme avec son enfant, la jeune femme pour le vieil homme à casquette, le vieil homme pour la dame enceinte, la dame enceinte pour la jeune fille à béquilles, si bien que l'on se met à fantasmer une communauté aussi harmonieuse et ajustée au-delà de la troisième voiture de la ligne A. Heureusement, le coup d'épaule et la roue de valise qui vient écraser mon pied à la sortie du quai me ramènent à une juste appréhension de l'ordre du monde.

  • Tinder time

    Ma voisine de banquette TCL fait défiler sur son écran de téléphone un diaporama de jeunes hommes, grâce à son application Tinder. Elle sélectionne, zoome, visionne, revient sur la photo précédente avec une agilité et une vélocité qui forcent l'admiration.
    Cible masculine: Hipster tatoué et/ou percé, moyenne d'âge : 30-35 ans, profil social : classe moyenne à classe moyenne supérieure.
    Elle communique simultanément avec trois d'entre eux. Ils se prénomment Dimitri, Paul et Benjamin.
    Elle use et abuse de smileys : celui qui sourit, celui qui s'esclaffe, celui qui fait un clin d’œil.
    Son prénom est Eva (un pseudo ?).
    Ses amants virtuels et potentiels ne peuvent pas voir que son collant Dim satin couleur chair est train de gentiment filer sur le bas de sa cuisse, à 17h38, station Grange-Blanche.

  • transports en commun

    - Dites, madame, est-ce qu'on a le droit de balancer par dessus bord la poésie quand elle laisse le monde endormi dans les rames à 7h du matin ? Peut-être que comme ça elle fera au moins un bruit intéressant au moment du broyage ? Peut-être même qu'on sursautera tous au même moment, ça nous fera un point de contact commun dans les transports en. Non ?
    - Oui, mon petit, tu en as le droit. Tu en as le devoir, même. Mais arrête tout de suite de faire des bulles avec ton chewing-gum, tu sais bien que ça m'énerve.

  • ordre du monde

    C'est un jour de grande courtoisie dans le métro. Chacun cède sa place à l'un de ses compagnons de voyage dans une chorégraphie subtile et minutieuse. L'adolescent se lève pour la jeune femme et son enfant, la jeune femme pour le vieil homme à casquette, le vieil homme pour la dame enceinte, la dame enceinte pour la jeune fille à béquilles, si bien que l'on se met à fantasmer une communauté aussi harmonieuse et ajustée au-delà de la troisième voiture de la ligne A. Heureusement, le coup d'épaule et la roue de valise qui vient écraser mon pied à la sortie du quai me ramènent à une juste appréhension de l'ordre du monde.

  • station Sans-Souci

    La femme-araignée (c'est ainsi que les élèves l'ont baptisée) fait la manche, ligne D. Ses genoux sont inversés.

    Elle se déplace sur ses tibias, retournés à l'intérieur, formant un angle droit avec ses cuisses.  Elle glisse sur des chaussons de fortune qu'elle a confectionnés avec des tissus amoncelés, pour ne pas sentir le frottement du sol contre sa peau. Elle se fraie un chemin dans le couloir du wagon en s'aidant  des barres verticales.

    Même à l'heure de pointe.

    Elle oblige les gens à bouger.

    Elle oblige les gens à la regarder.

    Elle déstabilise les pensées du quotidien et ramène la foule à la vision de sa difformité, de sa monstruosité.

    Elle s'arrête devant l'un, tend son gobelet de piécettes, et attend le regard. Elle reste là, quelques secondes, longues, quémande avec un accent Rom, penche la tête sur le côté comme le ferait un enfant pour attendrir.

    Elle sait qu'elle n'est pas un enfant attendrissant.

    Elle sait le dégoût, la répulsion, la honte qu'elle inspire.

    Les mères et les pères tentent de tourner les poussettes dans la direction opposée quand elle arrive à leur hauteur. Ils appréhendent le mouvement bien avant qu'elle ne se campe devant eux. Mais les bébés tournent la tête, intrigués. Elle caresse leurs cheveux.

    Elle est polie et téméraire.

    Brave et fière.

    Elle sourit.

    Elle n'a pas d'âge.

    Elle pose ses mains à terre, prend appui sur ses pieds baroques et descend à la station Sans-Souci.

    Elle est l'héroïne superbe d'un film d'horreur de série B, la créature insolente du métro qui vient assidument ébranler nos univers indolents.

     

     

     

     

     

     

    photographie : Ella Harper, femme-chameau et bête de foire (1886)

  • Dialogue ordinaire, métro Mermoz-Pinel, 12h47.

    - Excusez-moi, quelqu'un sait pourquoi y a un arrêt de circulation sur la ligne D ?

    - Y a eu un souci voyageur.

    - Non, pas un souci voyageur, un SUICIDE voyageur, monsieur.

    - Ah, oui, un suicide voyageur, je voulais dire.

    - ...

    - C'est vrai qu'entre le souci et le suicide, y a de la marge, hein ! Haha !

    - Oui, entre le souci et le suicide, y a le temps de se passer des trucs, c'est sûr...

    - Ouais...

    - Et ça s'est passé où ?

    - Station MONTPLAISIR.

    - Ah ouais, quand même...

    - Ouais...

     

     

     

     

    Photographie parue sur la page Kenga Rex sous le titre Rare Photographs Of The NYC Underground In The 80s 

  • Subway

    Elle trouvait étranges ces personnes qui se plaignaient que les gens fassent la tête dans le métro.
     
    - Tu ne trouves pas que les gens font la gueule dans le métro ?
     
    Qu'est-ce que les humains pouvaient bien faire dans le métro si ce n'est lire des trucs, jouer sur des téléphones, écouter de la musique dans des casques, regarder dans le flou avec des têtes de travail, de souci, de femmes en retard, d'ados blasés, de bébés enrhumés, d'étudiants ensommeillés ?
     
    Et quand bien même un de ces êtres aurait été particulièrement heureux, comment était-il censé le manifester ? En affichant un fixe sourire ravi ? En distribuant des accolades joviales en direction de ses compagnons de voyage ?  En confiant son bonheur et sa satisfaction de vivre à ses voisins de banquette ?
     
    Non, vraiment, elle ne voyait pas comment résoudre le problème des gueules dans le métro, la sienne contribuant généreusement, chaque matin, à l'ambiance frères Dardenne du trajet de 7h.
     

     
     
     
    Photo de Willy Spiller.
     
     

  • TCL

    Chaque fois qu'elle voyait une femme se maquiller longuement dans les transports en commun, la trousse posée sur ses genoux, elle avait l'impression d'assister à une scène impudique, très intime, qui n'aurait dû avoir sa place que devant la glace d'une salle de bain particulière.
    C'était comme si ces voisines de voyage remettaient leur culotte en public.

  • Ligne C3

    Je me demande encore pourquoi,

    hier, dans le bus C3,

    j'ai suggéré à ce jeune homme au regard fou

    qui demandait à son interlocuteur au téléphone

    si son site en ligne vendait bien des armes à feu et des balles de 9mm

    POUR TUER

    de s'adresser,

    peut-être, 

    à La Redoute.

  • 7h37

    Station Mermoz-Pinel

    7h37

    les minots boivent du coca à la canette

    et tirent une dernière fois sur le mégot shiteux

    avant le cours de français

    les témoins de Jéhovah promettent

    assidus

    que

    la délivrance est proche

    dans mon casque

    Gurdjieff- de Hartmann

    200 mètres

    avant

    la salle des profs.

     

     

     

  • Peanuts

    Il se réjouissait de faire partie d'une société dans laquelle on pouvait devenir héroïque à peu de frais. Déposer un ticket de transport en commun encore valide sur une borne de métro était devenu un geste hors-la-loi. On pouvait, aujourd'hui, entrer dans la résistance pour peanuts, ce qui l'arrangeait bien finalement. Il n'avait pas beaucoup de temps à consacrer à une quelconque révolution mondiale en ce moment.

  • Métro D

    Tous nos cernes bleus se sont donné rendez-vous dans le métro du matin.

    L'homme joue sur son portable, il a une tache de dentifrice sur la joue,

    la femme lit Temps glaciaires de Fred Vargas,

    l'adolescente se maquille sans jamais faire dépasser son mascara ou son rouge à lèvres,

    le bébé fixe le panneau indicateur des stations en serrant très fort son doudou,

    la maman se mouche et tousse, le menton enfoncé dans une écharpe qui peluche.

     

  • Johnny ligne 2

    Je n'ai que faire de Johnny, sa musique ne m'inspire pas la nostalgie d'une quelconque époque de ma vie, mais ce matin, dans le bus, quand l'une de ses chansons est passée à la radio (même pas une bonne), j'ai sensiblement perçu qu'un fil invisible reliait chacun des inconnus de la ligne 2 à l'écoute de cet air. Nos pensées matinales et éparses convergèrent quelques minutes vers une même appréhension du moment. Ce n'était pas un instant de rien.

  • C18

    - Quel âge as-tu ?

    - Combien de miroirs as-tu chez toi ?

    - Tu aimes la pluie ?

    Dans le bus C18, l'enfant de 8 ans questionne une jeune fille qui semble être sa baby-sitter. La maturité poétique de ses questions me surprend assez pour me sortir de ma lecture. Elle répond chaque fois avec grand sérieux.

    Je suis un peu déçue quand je me rends compte, un peu plus tard, qu'ils jouent à ni oui ni non.