La femme-araignée (c'est ainsi que les élèves l'ont baptisée) fait la manche, ligne D. Ses genoux sont inversés.
Elle se déplace sur ses tibias, retournés à l'intérieur, formant un angle droit avec ses cuisses. Elle glisse sur des chaussons de fortune qu'elle a confectionnés avec des tissus amoncelés, pour ne pas sentir le frottement du sol contre sa peau. Elle se fraie un chemin dans le couloir du wagon en s'aidant des barres verticales.
Même à l'heure de pointe.
Elle oblige les gens à bouger.
Elle oblige les gens à la regarder.
Elle déstabilise les pensées du quotidien et ramène la foule à la vision de sa difformité, de sa monstruosité.
Elle s'arrête devant l'un, tend son gobelet de piécettes, et attend le regard. Elle reste là, quelques secondes, longues, quémande avec un accent Rom, penche la tête sur le côté comme le ferait un enfant pour attendrir.
Elle sait qu'elle n'est pas un enfant attendrissant.
Elle sait le dégoût, la répulsion, la honte qu'elle inspire.
Les mères et les pères tentent de tourner les poussettes dans la direction opposée quand elle arrive à leur hauteur. Ils appréhendent le mouvement bien avant qu'elle ne se campe devant eux. Mais les bébés tournent la tête, intrigués. Elle caresse leurs cheveux.
Elle est polie et téméraire.
Brave et fière.
Elle sourit.
Elle n'a pas d'âge.
Elle pose ses mains à terre, prend appui sur ses pieds baroques et descend à la station Sans-Souci.
Elle est l'héroïne superbe d'un film d'horreur de série B, la créature insolente du métro qui vient assidument ébranler nos univers indolents.
photographie : Ella Harper, femme-chameau et bête de foire (1886)