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Croix-Rousse

  • une bien chouette génération

    Je nourris mon fils au Clos Jouve. Une bonne tranche de veau avec patates grenailles. La mère à la table voisine dit à sa fille qu’elle appartient à une chouette génération. La petite, pas si petite que ça (master 1 ou 2 ?) vient de lui raconter que quatre filles - quatre vigies - sont tombées à bras raccourcis sur Justin qui s’est permis de mettre ses mains sur les hanches de Chloé pendant une danse, le soir de la Saint Patrick.
     
    La jeune fille raconte, sous l’œil attendri de sa maman, que Justin était meurtri d’avoir posé ses mains sur les hanches de Chloé sans son autorisation. Il était dégoûté de lui-même, écœuré même. Il ne savait pas ce qui lui avait pris. Bien sûr, il a présenté dès le lendemain ses excuses à Chloé encore traumatisée du geste déplacé.
     
    Oui, une bien chouette génération.
     
    Mon fils, pendant ce temps, mange avec une joyeuse voracité son steak saignant.

  • Le retour

    Hier, au hasard d'une rue, j'ai revu le père-croix-roussien-de-50-ans-qui-a-refait-sa-vie. Je ne l’avais pas croisé depuis deux ans. Je l’ai trouvé plus âgé (de deux ans) et plus fatigué.
     
    Non. Plus las.
     
    L’enfant, lui de son côté avait grandi et, assis à ses pieds, hurlait de tous ses poumons son refus de quitter le bitume auquel il semblait soudé. Toute tentative de décollement s’accompagnait de cris stridents, toute tentative d’apaisement ne faisait que renforcer la plainte furieuse. A leur côté, un adolescent caché derrière un rideau de frange, consultait, blasé, son smartphone.
    Il s’est mis à pleuvoir. Le petit s’est égosillé de plus belle. Le grand a haussé les épaules. Le père a chassé d’un geste furtif des gouttes de pluie de ses joues. Ou était-ce des larmes ?
     
    Quoi qu’il en soit, tel Bill Murray, le père-croix-roussien-de-plus-de-50-ans-qui-a-refait-sa-vie semble encore et toujours condamné à revivre son Jour sans fin à lui, jusqu'à ce qu'il comprenne quelque chose.
     
    Mais quoi ?
     

  • Godard 2018

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    - Tu vois mes muffins à la praline dans la glace ?
     
    - Oui.
     
    - Tu les trouves jolis ?
     
    - Oui.
     
    - Et mon sauté de veau au chorizo, tu l'aimes ?
     
    - oui.
     
    - Tu l'aimes mon pain aux olives aussi ?
     
    - Oui. J'aime beaucoup ton pain.
     
    - Et ma tarte à la tomate-moutarde ?
     
    - Aussi.
     
    - Tu vois mon pot-au-feu dans la glace ?
     
    - Oui
     
    - Tu les trouves jolis mes plats à l'ancienne ?
     
    - Oui.
     
    - Et ma tarte au potimarron-châtaignes, tu l'aimes ?
     
    - Oui, énormément
     
    - Qu'est-ce que tu préfères ? La mie de mon pain ou la croûte de mon pain ?
     
    - J'sais pas. C'est pareil.
     
    - Et mes rillettes de thon, tu les aimes ?
     
    - Oui.
     
    - Moi, je trouve qu'elles ne sont pas assez citronnées.
     
    - Non...
     
    - Et mes crevettes au gingembre ?
     
    - Oui, je les aime.
     
    - Tu aimes tout ? Mes pâtisseries, mes ragoûts, mes tartes salées ?
     
    - Oui, tout.
     
    - Donc, tu m'aimes totalement ?
     
    - oui. Je t'aime totalement, tendrement, tragiquement.
     
    - Moi aussi.                    Tu me passes la Piccalilli ?

     

  • l'arbre sans vent


     
    Je regarde parfois cet arbre dont les feuilles dansent secouées par le vent devant ma fenêtre en imaginant quelques secondes que le vent n’existe pas.
     
    Le vent n’existe pas mais les feuilles bougent cependant.
     
    Cela ne va pas de soi.
     
    J’ai dû m’y reprendre plusieurs fois parce qu’au début j’avais du mal à me départir de l’idée du vent. Je savais qu’il était là.
     
    Et pourtant, le vent n’est perceptible - en dehors de sa musique quand il se frotte à la matière - que par l’agitation des éléments qu’il fait se mouvoir. Posez un double vitrage entre vous et lui ; plus aucun son ne vous parviendra et vous n'aurez accès qu'au le balancement des feuilles et des branches.
     
    Alors, au bout de quelques tentatives - trois, quatre, cinq - l’arbre finit par danser seul. Le vent n’existe plus.
     
    L’arbre devant la fenêtre crée sa propre chorégraphie dans l’espace, juste pour vous. C’est le moment où il faut l’applaudir pour le remercier de ce spectacle prodigieux et rare.
     
    Avant que l’appréhension du vent ne revienne. Parce qu’elle revient.
     
    Oui, je vous ai prévenus, c’est un exercice difficile.

  • Les villes des mois d'août

    Les villes des mois d’août sont comme vides de tout
    Et cependant emplies de pauvres et de fous.
    Celui-là, sur un banc, mange un gros bout de mou
    Tandis que sa voisine le regarde, debout.
     
    Toi, voyeuse cachée, bien planquée dans un coin
    Penses-tu ô naïve échapper au dessin ?
    Les mois d’août des villes font de tous les présents
    Des complices, des frères, sociétaires du moment.
     
     
     
     
     
     

  • Pivoine-polaroid

    Le polaroid est à l'appareil photographique ce que la pivoine est à la fleur. Lui seul permet une éclosion soudaine et déjà surannée de l'instant.

  • la dignité

    La première fois que j’ai croisé mon voisin du 6e étage devant l’immeuble, un très vieil homme, oui, très vieux, sans âge donc mais encore très distingué malgré le visage émacié, le teint malade, les membres chétifs dans un complet trop large, le corps débile prenant appui sur une canne, mon premier réflexe a été de le devancer pour lui ouvrir la porte.

     

    J’ai ce jour-là commis un impair. Il n’était pas concevable pour lui de ne pas tenir la porte à une dame quelque effort qu’il eût à fournir pour y parvenir. J’ai vu son lent mouvement vers la poignée trop tard et j’ai compris à son merci contrarié l’inconvenance de ma conduite. Je lui retirai peut-être l’une des dernières opportunités de rester à une certaine hauteur de dignité en société. De surcroît, en présence d’une femme.

     

    La deuxième fois, j’ai ralenti ma marche, je l’ai laissé saisir la clenche, pousser la porte avec difficulté car handicapé par sa canne, puis faire un geste courtois m’invitant à entrer. Je lui rendais ainsi ce que je lui avais volé lors de notre première rencontre. 

     

    Et peu importe le tendre jeu de dupes - je savais, vous saviez, cher frère humain - il a duré jusqu'à ce que mon voisin du 6e étage n'ait plus à ouvrir aucune porte...

     

     

     

     

     

    Photo – Florent Drillon

     

     

     

     

  • Patriarcat blanc

    La petite est remontée comme un coucou. Elle a préparé son seau de colle, ses affiches et ses pinceaux pour faire connaitre aux murs croix-roussiens sa révolte contre le patriarcat blanc. Elle déborde d’énergie, toute pimpante dans son short en jean et son débardeur sans soutien-gorge. Sa maman, Cyrille, ressert du thé au jasmin à l’amie venue en visite tandis que son papa, Thomas, demande où est passé le fer à repasser qui n’est plus dans la buanderie. « Dans ton cul ! » répondent en chœur la mère et la fille. L’amie reprend, enjouée, une madeleine au chocolat : Thomas est vraiment le champion indétrônable de la pâtisserie maison.

  • Plat du jour

    Tchik… tchik… tchik. Le père à la terrasse du Clos Jouve paie une assiette à son fils de 12 ans. C’est tout ce qu’il fait, payer une assiette. Pour le reste, il scrolle son écran de I-Phone sans lever la tête - tu veux quoi ?- quand le serveur arrive, puis disparition dans le système binaire. Tchik… tchik… tchik... Le gamin, plante la pointe du couteau à viande en alternance entre chacune des phalanges de sa main gauche, d’abord lentement, avec précaution, puis, de plus en plus vite, tchik tchik tchik, d’abord, en ne quittant pas sa main des yeux puis en fixant son père, tchik tchik tchik, l’enfant fixe le front de son père dans le but d’atteindre l’endroit du cerveau susceptible d’être réceptif à sa présence, tchik tchik tchik.

    Cette histoire père-fils va mal finir.

  • King Kong Skate

    Le jeune homme qui monte dans le bus C 18 tient dans la main droite un skate, dans la main gauche, le livre King Kong Theorie version poche. 

     

    L'alliance des deux objets ne me semble pas une sotte idée pour faire une apparition remarquée et raisonnée sur le territoire des adolescentes croix-roussiennes version Néo-Féministes-Warriors.

     

    Virginie Despentes servira de sésame.  Le skate, lui, permettra la fuite rapide en cas d'impair sexiste involontaire.

  • Je suis un soir d'été 2017

    Répliques indépendantes d'un soir d'été. Croix-Rousse :

     

    - Je n'aime ni le reggae ni Bernard Lavilliers.

     

    - Gérard Lenorman, il me fout les jetons.
    - Ouais, la chanson du dauphin, c'est flippant.

     

    - William Sheller, j'ai toujours pensé qu'il était homo.
    - Oui, il aime les pianos.

     

    - Il reste des saucisses.

     

    - Mais si, on en a parlé sur fb, c'est Rodolphe Burger !

     

    - "J'aime la morue, le maquereau et la crevette" (chanté sur l'air du renard et la belette)

     

    - A l'école maternelle, j'avais un camarade qui s'appelait Krishna.

     

    - La dernière fois que je l'ai croisée au rayon yaourts, à l'Intermarché, je lui ai dit :  "Mais ton fils, il n'en a pas marre des yaourts à la grecque ?"

     

    - Je ne peux pas me coucher sans me doucher
    - Mais, je peux me doucher sans me coucher.

     

    - Ouais, vous vous moquez, mais aux prochaines vacances vous serez bien contents de venir en Crète.
    - Oui, on t'aime.

     

    - Elle m'a accueillie toute nue avec des collants chair. Elle était glabre.

     

    - Ça, c'est les pentes de la Cx-Rousse. Tu croises des artistes, ils te disent "J'ai un projet, mais je ne peux pas t'en parler encore". Tu les recroises un mois après : "Alors, ton projet ?" " Ca n'a pas marché mais je préfère ne pas en parler... Mais, j'ai un autre projet. Je ne t'en parle pas, hein, ça risque de me porter la poisse."

     

    - J'ai eu les jetons de Nicoletta quand je l'ai rencontrée. Elle chantait : "Sois naturelle, sois belle". Elle avait une grosse couche de fond de teint.

     

    - Nicoletta, elle m'a dragué toute une soirée quand j'avais 20 ans.

     

    - Angelo Branduardi, il me fout les jetons, aussi.

  • voisin de quartier

    ne le dites pas à mon amoureux

    mais depuis que je vis

    sur mon balcon confinée

    un voisin de quartier

    en vis-à-vis

    en nez-à-nez

    me fait des signes

    sans parler

    des coucous

    des bisous de la main

    au moment du dîner

    il me tend des boudoirs

    que je ne peux toucher

    penche la tête à droite

    comme un mini Clooney

    il pose il rit il danse

    saute

    va se cacher

    juste avant que maman

    ne vienne le chercher

    disant :

    c’est l’heure du bain !

    ou bien de la tété

  • masque à gaz

    Laurent, mon ex-mari, me fait signe de loin dans l’une des files d’attente du Super U.  Il porte un masque à gaz qui couvre sa bouche et son nez et ne laisse apparaitre que ses yeux et son front. Je reconnais l'incarnation de ses cheveux.

     

    Il est mort depuis trois ans mais il est à dix pas de moi et me fait joyeusement signe, une brique de soupe à la main, un masque à gaz collé au visage. Comme une bonne blague.

     

    Ça m’étonne à peine. Les temps sont étranges. Pourquoi pas ça. Le retour des morts parmi les encore vivants. Le Super U momentanément transformé en une espèce de zombi land de quartier dans lequel se croiseraient les corps du passé et ceux du présent.

     

    Je mets plusieurs minutes à réaliser que le porteur de masque est le fils ainé de Laurent qui habite au bout de la rue et que je n’avais pas croisé depuis plusieurs mois.

     

    Non, le virus, quelles que soient ses vertus révélatrices, ne ressuscite pas encore les morts.

  • Soir autorisé

    Paul fixe longuement le verre de bière posé sur le zinc comme s’il recelait la solution à un problème dont il ne connait pas le nom. Pauline lui demande si c’est son "soir autorisé". La serveuse du Troc connaît tous les jours de résidence alternée, les tours de garde et de sortie des habitués du comptoir. Elle sait qu’elle ne verra jamais Julien les vendredis impairs car il récupère ses jumeaux à 16h30. En revanche, elle verra débarquer Sylvain avec ses deux pseudo-artistes de potes car c’est son "week-end free". Kacem sera attablé chaque mercredi soir pair avec des copines rigolotes et sexys devant une planche fromage-charcuterie et Francky viendra se consoler sur son épaule un samedi par mois car son ex n’aura pas respecté, une fois de plus, son droit de visite.
     
    Pour Paul, l’organisation est plus compliquée avec ses quatre enfants de deux premiers mariages et ceux de sa nouvelle compagne, plus jeunes que les siens et 24h/24 à la maison. Elle lui a donné le droit à un "soir autorisé" par quinzaine dont il peut faire ce qu’il veut. Le plus souvent, il se retrouve seul à 19 heures au comptoir du Troc devant une ambrée, l’air un peu absent. Il dodeline de la tête sur No more Heroes des Stranglers.
     
    Pauline ressert un bol d’olives mélange méditerranéen et ajoute, "parce qu’elle l’aime bien", un supplément "chips au vinaigre".

     

     

     

     

     

     

     

  • murs

    Pourquoi colore-t-on toutes les façades de la ville ? Des pastels arc-en-ciel ici et là, des escaliers peinturlurés alors qu’ils n’ont rien demandé à personne. Le street-art s’aseptise dans des commandes de municipalités. Bientôt plus un pan de mur vierge.

    C’est le grand lifting général.

    Aurait-on peur de l’aspect brut des choses ?

    Craindrait-on de voir le vrai visage de la cité ?

     

    J’aime ces murs décrépis, ces surfaces grises et ocres sur lesquelles les lézardes, les fissures, la mousse et la moisissure dessinent elles-mêmes leurs propres mandalas.

     

  • Villa Gillet

    Au parc de la Cerisaie, le couple de mariés debout sur le perron de la villa Gillet prend des poses devant la photographe d'événements qui s'impatiente :

     


    - Penchez la tête. Non, pas comme ça... la tête plus penchée, monsieur... non, ça ne va pas. AYEZ L'AIR amoureux !

     
     
     
     
  • Genèse

    Elle était tombée amoureuse de lui pour des raisons qu’il n’imaginait pas. On pense toujours que nos qualités physiques et conversationnelles l’emportent sur tout dans la genèse de l’histoire. Mais lors de leur premier rendez-vous dans un café de quartier, c’était la trace à peine visible du fil de l’étendoir à linge qui dessinait de petits zigzags sur son tee-shirt au niveau de la poitrine qui l’avait émue.

  • Saint V.

    A observer la composition des vitrines des boutiques de lingerie annonçant la Saint-Valentin on pouvait en déduire que toute femme amoureuse avait pour mission ce jour-là de se métamorphoser au mieux en gogo danseuse d’une boîte de semi-luxe au pire en actrice d'un porno cheap.

  • Paddy's Corner

    A 16h30, les nourrices croix-roussiennes agréées se donnent rendez-vous au Paddy’s Corner. Bébé 1 astique consciencieusement la table graisseuse à l'aide de son doudou-lapin tandis que bébé 2 remet à la bouche sa tétine tombée trois fois à terre dans une flaque de bière. Nounou 2 fait semblant de gronder.
    La nouvelle serveuse maladroite se laisse dragouiller par le prof de philo à gomina et catogan qui fait semblant de corriger ses copies. De vieux beaux désœuvrés font semblant de lire au bar - Michaux, Bukowski - et côtoient de joviales jouvencelles anglo-saxonnes qui ne font semblant de rien.

  • tapis roulant

    Pour la mère croix-roussienne, chaque situation de la vie quotidienne est prétexte à une démarche pédagogique contributrice au développement de l'enfant. L'usage du tapis roulant de la caisse du super U, par exemple.
    Elle tend à son fils de 2 ans assis dans le caddy tous les produits qu'il contient afin qu'il les dépose lui-même un par un sur le revêtement noir tandis qu'elle les nomme en articulant lentement :
     
    TO-MATES
    EN-DIVES
    YA-OURTS
    CE-RE-A-LES
    BIS-CUITS
    CON-FI-TU-RE
    CRE-PES
    BUTTER-NUT
    A-VO-CAT
    SHAM-POING SEC...
     
    Au bout de 10 minutes, je me demande si je ne devrais pas moi aussi contribuer à l'éducation du petit en lui glissant dans les mains mes deux seuls achats du jour :
     
    SER-VI-ETTES-HY-GIE-NI-QUES
     
    DE-BOU-CHEUR-DE-CA-NA-LI-SA-TION-A-LA-SOU-DE-CAUS-TI-QUE
     
    Mais le bambin en a marre avant moi et balance un sachet de Babybel à la tête de sa maman-pédagogue qui le gronde (sur le mode "éducation non violente") et le prive momentanément de tapis et, par là même, de sciences cognitives.

  • parc à chiens

    Ces deux-là baladent leurs chiens dans mon quartier, en fin d'après-midi, tous les jours vers 18h30.
    A chaque rencontre, les cabots systématiquement se reniflent le derrière avec enthousiasme tandis que les maîtres tirent sur la laisse, un peu gênés, mais quand même conscients que grâce ces triviaux instincts canins ils ont osé s'adresser la parole un soir d'été.
    Depuis, ils guettent avec fébrilité l'apparition de l'un et l'autre à l'angle de la rue Jacquard et les toutous jappent de joie et remuent la queue de loin.
    Les quatre se dirigent alors vers le parc à chiens Popy où ils vivent quotidiennement un chaleureux moment de vie d'humains et de bêtes.
    Et, ce n'est pas rien.

  • château hanté

    - Madame, on a trop peur, est-ce qu'on peut vous tenir la main ?

    Dans le noir presque complet du château hanté de la vogue de la Croix-Rousse deux minuscules mains s'accrochent aux miennes. Je n'ose pas dire aux deux fillettes que je suis aussi effrayée qu'elles depuis que j'ai été abandonnée par mon jeune fils qui court quelque part devant. Mais puisqu'elles me le demandent, je fais l'adulte et j'essaie de ne pas trop crier quand une momie nous frôle en murmurant des trucs bizarres et que des toiles d'araignée viennent s'accrocher à nos cheveux.

    On se découvre à la sortie du château, toutes les trois un peu aveuglées par la lumière du jour. Elles me remercient poliment et me lâchent la main pour continuer de vivre leur vie de petites filles sûres de la robustesse et de l'invulnérabilité des adultes.

    Elles ont bien le temps de savoir...

     

     

  • Cx-Rousse by night

    Le 19 octobre 2018 à minuit, sur de cossues terrasses croix-roussiennes, les fillettes de 13 ans boivent de la vodka au goulot et se roulent des pelles sur des airs de RnB français

    Esthétique sophiacoppolienne

    B.O signée Aya Nakamura

    J'm'en bats les reins, j'ai besoin d'un vrai Jo

    Mais tu veux la plus bonne-bonne-bonne de mes copines

    Tu veux tout bombarder, bom-bom, bombarder, hey
    Tu veux tout bombarder, bom-bom, bombarder ouais

    Tu veux la plus bonne
    Tu veux la plus fraîche
    Tu veux la plus bonne
    Tu veux la plus fraîche

  • Dorian Gray

    Mon dieu. La crasse accumulée derrière le réfrigérateur pendant 10 années. Faites qu'elle ne représente pas une espèce de symbolique à la Dorian Gray de ma vie. Le livreur du nouvel appareil électroménager m'a à peine rassurée en me certifiant : c'est la même chose chez tout le monde, vous savez.
    Justement. Pauvre humanité....

  • Des figues et du pain

    Je fais une dinette du dimanche avec la petite vieille dame du sixième étage. Au marché, j'ai acheté pour elle des figues, du fenouil, du fromage de brebis et des olives au citron. J'ai fait un pain. Elle mange très peu.

    Elle dit : Quand mon mari était là, on était bien.
    Elle dit : Mon médecin me regarde mourir.

    Je me demande combien d'années il me faudra attendre avant que mes voisins ne m'évoquent en parlant de "la petite vieille dame du 3e étage" (ce qui dans le cas de mon mètre 77 serait cocasse).
    Je me demande combien de temps il me faudra attendre avant que mon médecin ne me regarde mourir.

    Elle dit : Mon généraliste m'a donné un sirop pour une toux persistante. Quand je suis allée à l'hôpital, j'avais une pleurésie.
    Elle dit : Mon mari était un homme élégant et délicat. Nous ne nous sommes pas quittés plus de quelques jours durant nos 50 années de vie commune.

    Elle dit : A quoi ça sert tout ça, la vie, maintenant ?

    Je ne sais pas quoi répondre. Je me demande aussi à quoi ça servira, quand, si...
    Je lui ressers une cuillère de salade de fenouil et une figue. Il faut manger, quand même.

     

     

     

     

     

     

    image : http://mpcazaux.free.fr/galerie/displayimage.php?pos=-9

  • Le jour sans fin

    Le père croix-roussien de cinquante ans qui a "refait sa vie" pousse un landau sur le boulevard dominical, flanqué d'un ado-Vans et d'une trentenaire-Antoine et Lili.

     

    Je croise son regard hagard au moment où elle interroge, suspicieuse :

     

    - Tu as pensé aux couches lavables Bio Baby ?

     

    Tel Bill Murray, le père croix-roussien qui a "refait sa vie" semble condamné à revivre son Jour sans fin à lui, jusqu'à ce qu'il comprenne quelque chose.

     

    Mais quoi ?

     

     

     

     

     

     

     

    image extraite de Un jour sans fin réalisé par Harold Ramis (1993)

  • une folle, quoi

    Une vraie dingo.

    On a plaisanté, une fois, à la caisse du Super U du quartier à cause d'une histoire de file d'attente interminable et, depuis, son comportement avec moi est complètement irrationnel.
    Un jour, elle me salue chaleureusement, à la limite de la familiarité et me tend la joue pour que je l'embrasse, le lendemain, elle passe devant moi sans me voir et ne répond pas à mes "bonjour" surpris.
    Cela se répète 5 fois dans le mois. Je la vois passer par tous les stades de la cyclothymie : du tapotage d'épaule enjoué à l'arrêt du C 13, à l'indifférence radicale dans le rayon yaourts et produits frais du U alors que je lui souris clairement.

    Une folle, quoi.

    Si bien qu'irritée par la situation, je décide de ne plus la saluer du tout.

    Il me faudra deux mois pour comprendre que je croise une fois sur deux sa sœur jumelle.

    Évidemment, c'est moi qui deviens la dingue du quartier.

  • oxymore

    La mère croix-roussienne traîne son caddie branché comme un accessoire de dressing. Elle est accompagnée de Barnabé et Capucine, tous deux en trottinettes. Gros embouteillage. Pieds de vieux pris dans les roues, chute de béquille, coups de frein sur chevilles, étals inaccessibles.
    La mère croix-roussienne ne sourcille pas. Elle n'est pas de ce monde. La trivialité du quotidien ne l'atteint pas.
    Trottinette/marché: ces deux mots dans une même phrase ne provoquent chez elle aucune réaction hostile.

    Tes antithèses ne seront jamais celles de la mère croix-roussienne, mets-toi bien ça dans la tête une fois pour toute.

  • recette

    En pratiquant quotidiennement la préparation pour coloration capillaire de mes clientes, j'améliore la qualité de ma pâte à crêpes car, pour les deux types de mélanges, le secret est dans l'élimination absolue de toute trace de grumeau
    me confie la coiffeuse du salon
    le jour de mon anniversaire.

  • The Rubettes

    Dans la rue, je compte sur mes doigts le nombre de Sugar baby love dans la chanson des Rubettes. S'il y en a autant que je croise de pigeons avant d'atteindre l'arrêt du C18, IL m'aimera jusqu'à la fin de ma vie. J'en compte neuf mais je ne suis pas sûre. Je rewind sur mon ipod. Comme j'atteins trop tôt l'arrêt de bus pour rencontrer assez de pigeons, je triche et je rallonge ma marche jusqu'à l'arrêt du C13.

    Ça y est. Les comptes sont bons.

    Ma vie s'annonce  idéale.