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Portrait - Page 4

  • idée fixe

    Cette femme a tellement l'air heureuse et rassurée de penser que je suis une méchante fille arrogante et hautaine que je n'ose pas la détourner de son idée fixe et lui donne charitablement toutes les occasions de confirmer son impression. On ne peut faire montre de plus d'altruisme et d'attention désintéressée à l'autre, avouez.

  • Patriarcat blanc

    La petite est remontée comme un coucou. Elle a préparé son seau de colle, ses affiches et ses pinceaux pour faire connaitre aux murs croix-roussiens sa révolte contre le patriarcat blanc. Elle déborde d’énergie, toute pimpante dans son short en jean et son débardeur sans soutien-gorge. Sa maman, Cyrille, ressert du thé au jasmin à l’amie venue en visite tandis que son papa, Thomas, demande où est passé le fer à repasser qui n’est plus dans la buanderie. « Dans ton cul ! » répondent en chœur la mère et la fille. L’amie reprend, enjouée, une madeleine au chocolat : Thomas est vraiment le champion indétrônable de la pâtisserie maison.

  • Plat du jour

    Tchik… tchik… tchik. Le père à la terrasse du Clos Jouve paie une assiette à son fils de 12 ans. C’est tout ce qu’il fait, payer une assiette. Pour le reste, il scrolle son écran de I-Phone sans lever la tête - tu veux quoi ?- quand le serveur arrive, puis disparition dans le système binaire. Tchik… tchik… tchik... Le gamin, plante la pointe du couteau à viande en alternance entre chacune des phalanges de sa main gauche, d’abord lentement, avec précaution, puis, de plus en plus vite, tchik tchik tchik, d’abord, en ne quittant pas sa main des yeux puis en fixant son père, tchik tchik tchik, l’enfant fixe le front de son père dans le but d’atteindre l’endroit du cerveau susceptible d’être réceptif à sa présence, tchik tchik tchik.

    Cette histoire père-fils va mal finir.

  • Taille M

    Il avait été un bébé moyen, un enfant moyen, un adolescent moyen. Déjà, en classe de maternelle, les pastilles vertes du cahier de suivi des apprentissages - nommé plus tard « cahier de réussites - témoignaient d’une progressivité étonnamment régulière et constante sur le premier cycle. Il avait su lacer ses chaussures à l’âge moyen auquel tous les enfants savent le faire, il avait appris à lire dans le temps imparti à cette activité. Là où certains de ses petits camarades étaient diagnostiqués précoces - on dira plus tard « élève à haut potentiel - lui, avançait tranquillement, à son rythme, sans être non plus à la traîne. Il n’était ni gaucher, ni daltonien, ni myope ni rien d’autre qui aurait pu le distinguer de la masse des individus de sa classe d’âge. Sur ses bulletins scolaires les deux formules les plus utilisées par les professeurs furent « élève moyen » et « résultats moyens ». Plus tard, au collège, son physique moyen n’engendra ni admiration ni moquerie. Il était de taille moyenne, de poids moyen, les traits de son visage étaient parfaitement normés. Aucun signe particulier n’aurait permis de le décrire. Quand il manquait à l’appel, le groupe s’en rendait à peine compte. Son prénom rentrant dans la catégorie des prénoms masculins les plus donnés l’année de sa naissance, personne ne le retenait particulièrement. De l’enfance à l’âge adulte, aucune flamme artistique, sportive, quotidienne ou professionnelle ne l’anima. Ses patrons avaient toujours été satisfaits de ses services mais il n’accepta aucune promotion interne. La compétitivité et le challenge ne l’intéressaient pas. Les responsabilités encore moins ce qui le rendait sympathique auprès de ses collègues qui ne se sentaient pas menacés. Il entretenait des relations cordiales, dépourvues de passion, avec ses voisins, sa famille, ses amis. Il vécut une existence moyenne et tout à fait satisfaisante en compagnie d’une femme qui aimait sincèrement sa moyenneté et avec laquelle il fut heureux ne cherchant pas ailleurs plus de joliesse ou d’originalité.

    Son exceptionnelle dimension moyenne était une sagesse que peu de ses contemporains lui reconnurent trop occupés qu’ils étaient à épater la galerie par des gesticulations spectaculaires.

  • LIKE

    Adèle s’est fabriqué un petit algorithme personnel : grâce à lui, elle comptabilise les pouces levés et les cœurs figurant sous ses statuts Facebook et sait précisément qui a liké, à quelle heure et combien de fois dans la journée. A partir de ce savant décompte, elle statue sur l’autorisation qu’elle accorde à ses « amis virtuels » d’intervenir ou pas sur son mur. A moins de trois « likes » par semaine sous ses nouvelles parutions, elle proscrit tout commentaire étranger et renvoie les importuns à leur incivilité. D’ailleurs, elle s’applique cette règle à elle-même : elle a un taux de pouces à distribuer au prorata de l’intérêt personnel qui en découle. Quatre par semaine sous le statut de ce nouvel éditeur qui remarquera peut-être ses textes, trois sous celui de cette autrice un peu visible dans le champ littéraire de la blogosphère, deux autres sous les statuts de ce joli artiste au regard mélancolique qu’elle pourra peut-être sauver de lui-même.

  • COREP

    Le jeune homme de la COREP s’inquiète de l’aspect de mon manuscrit.

     

    - Vous avez ce qu’il faut pour le relier ?
    - Oui, j’ai des baguettes.
    - C’est tout ?
    - Oui. Ce n’est pas suffisant ?
    - Je pense que les éditeurs préfèrent qu’il y ait une fiche plastifiée devant.
    - Ah ?
    - Oui, ça rend mieux. C’est 40 centimes par fiche.
    - Bon d’accord, mettez-m’en 10.
    - Oui, mais, vous avez pensé au dos ?
    - Le dos ?
    - Oui, une feuille cartonnée en dernière page.
    - Ah non. Non plus.
    - Ah… Alors laissez tomber le plastique si vous n’avez pas de dos.
    - Ah bon. D’accord.
    - Oui…
    - Je vous sens désappointé… Vous trouvez qu’il fait un peu trop cheap comme ça, mon manuscrit ?
    - Un peu…
    - Vous savez, je pense que la plupart des éditeurs jettent un premier coup d’œil très rapide sur les manuscrits qu’ils reçoivent, lisent les premières pages, les dernières, quelques-unes au milieu et ne s’éternisent pas sur l’aspect esthétique de l’objet… 9 sur 10 finissent en quelques minutes sur un tas de feuillets non lus abandonnés dans un couloir ou un coin de salle. Mais je me trompe peut-être.
    - Quand même, le plastique, c’est plus attrayant.
    - Alors, disons que le côté baguette-papier correspond plus à ma personnalité : j’aime bien l’aspect brut des choses, je ne suis pas trop ruban doré sur les papiers cadeaux, plastique autour des fleurs.
    - Bon, moi, je disais ça, c’est pour vous…
    - Et c’est très gentil de votre part. D’ailleurs grâce à vous je pourrai me dire que si ce manuscrit ne reçoit que des réponses négatives, ce sera avant tout à cause de la faiblesse de l’emballage. Cette petite consolation me sera très précieuse.

  • publiable

    J’ai 15 ans et j’entreprends de sélectionner dans ma pochette de textes ceux qui seraient dignes d’être publiés dans des revues « littéraires ». J’écarte donc toutes mes nouvelles grinçantes et drôles, mes récits d’horreur, mes récits fantastiques ou ces fausses lettres que je m’amuse à écrire et qui constituent une galerie de portraits caustiques sur le genre humain, bref, tout ce qui me ressemble le plus ; rien de tout cela ne me semble être à la hauteur de ce que je pense être un texte « publiable ».

    En un mot, je rejette tout ce que je prends le plus de plaisir à écrire pour ne garder que les textes les plus lourds de mon classeur. Lourds en idées, lourds en forme. Mauvais. Et écrits avec peine. Parce que je pense alors que les textes que je dois envoyer pour être en phase avec l’idée que je me fais du monde poétique et littéraire sont forcément des textes « pénétrants » et « graves » qui révéleront aux lecteurs ma profondeur intrinsèque et ma riche intériorité. Me voilà en pleine posture et imposture. Et, bien sûr, personne pour me le dire. Mais j’ai 15 ans et ce n’est pas si grave.

     

    Heureusement, passé 30 ans, plus personne n’agit ainsi, plus personne ne prend des poses d’écrivain, plus personne ne se fait une fausse idée de ce qu'est la littérature, la poésie, plus personne n'essaie de séduire le lecteur quitte à y perdre sa vérité, plus personne n’essaie de coller à...

     

    Ce serait si grotesque et la supercherie serait si vite démasquée.

  • King Kong Skate

    Le jeune homme qui monte dans le bus C 18 tient dans la main droite un skate, dans la main gauche, le livre King Kong Theorie version poche. 

     

    L'alliance des deux objets ne me semble pas une sotte idée pour faire une apparition remarquée et raisonnée sur le territoire des adolescentes croix-roussiennes version Néo-Féministes-Warriors.

     

    Virginie Despentes servira de sésame.  Le skate, lui, permettra la fuite rapide en cas d'impair sexiste involontaire.

  • Deux tonnes, je pèse

    J’ai beau essayé de marcher à tâtons, je pèse deux tonnes.

     

    Deux tonnes de convictions, d’opinions et de pensées.

     

    Je participe au grand brouhaha informe.

     

    Deux tonnes, je pèse.

     

    Ajoutons-y une tonne d’images de moi pour prouver aux autres que j’existe.

     

    Une tonne qui comprend cinq cents kilos de mensonges à la louche que je ne décèle pas moi-même, trop occupée à les nourrir à mon insu.

     

    Lourde et lestée de tant de charges inutiles.

     

    Une montgolfière se contentant du sol : voilà ce que je suis.

     

     

     

     

     

     

    Illustration : https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=607193

  • Dans la vie

    Sur Facebook, il passait pour un homme attentif au monde, altruiste et généreux, défenseur des belles causes, protecteur de la nature, sensible au sort des femmes, sensible tout court, humaniste, "artiste" à ses heures, bon compagnon, dévoué, fraternel, charitable, philanthrope et désintéressé.
     
    Dans la vie réelle, il fallait bien l'avouer, il n'était qu'une grosse fiente.

  • Je suis un soir d'été 2017

    Répliques indépendantes d'un soir d'été. Croix-Rousse :

     

    - Je n'aime ni le reggae ni Bernard Lavilliers.

     

    - Gérard Lenorman, il me fout les jetons.
    - Ouais, la chanson du dauphin, c'est flippant.

     

    - William Sheller, j'ai toujours pensé qu'il était homo.
    - Oui, il aime les pianos.

     

    - Il reste des saucisses.

     

    - Mais si, on en a parlé sur fb, c'est Rodolphe Burger !

     

    - "J'aime la morue, le maquereau et la crevette" (chanté sur l'air du renard et la belette)

     

    - A l'école maternelle, j'avais un camarade qui s'appelait Krishna.

     

    - La dernière fois que je l'ai croisée au rayon yaourts, à l'Intermarché, je lui ai dit :  "Mais ton fils, il n'en a pas marre des yaourts à la grecque ?"

     

    - Je ne peux pas me coucher sans me doucher
    - Mais, je peux me doucher sans me coucher.

     

    - Ouais, vous vous moquez, mais aux prochaines vacances vous serez bien contents de venir en Crète.
    - Oui, on t'aime.

     

    - Elle m'a accueillie toute nue avec des collants chair. Elle était glabre.

     

    - Ça, c'est les pentes de la Cx-Rousse. Tu croises des artistes, ils te disent "J'ai un projet, mais je ne peux pas t'en parler encore". Tu les recroises un mois après : "Alors, ton projet ?" " Ca n'a pas marché mais je préfère ne pas en parler... Mais, j'ai un autre projet. Je ne t'en parle pas, hein, ça risque de me porter la poisse."

     

    - J'ai eu les jetons de Nicoletta quand je l'ai rencontrée. Elle chantait : "Sois naturelle, sois belle". Elle avait une grosse couche de fond de teint.

     

    - Nicoletta, elle m'a dragué toute une soirée quand j'avais 20 ans.

     

    - Angelo Branduardi, il me fout les jetons, aussi.

  • Denise Glaser

    Dans les années 60, Denise Glaser est assise aux pieds de ses invités à terre collée à la chaise du chanteur, de la chanteuse qu’elle interviewe, le cou tendu vers lui, vers elle, en toute proximité, ou chaise contre chaise, genou contre genou, presque front à front, son regard direct planté dans celui de l’autre. Elle pose des questions simples et intelligentes. Elle n’a pas peur des silences. Elle s’engage respectueusement dans l’intime et laisse au convive le temps de se dévoiler.

     

    Elle est au service.

     

    "Il", présentateur vedette des années 2020, narquois, goguenard et familier, tutoie, n’écoute que ses questions et, se tenant à distance sous les projecteurs, glorifie son égo adipeux avec la complicité d’un public qui rit et applaudit quand la petite lumière rouge clignote.

  • je suis un chameau hollandais

    Pour une fois que je gagne quelque chose à un jeu-concours, c’est la version numérique du Grand Robert « le dictionnaire le plus complet de la langue française ».


    J’ai besoin de vacances. J’aurais préféré gagner le séjour club-Auchan avec ukulélé, animations-plage et karaokés. Le pansu hollandais tout rouge fait perdre son équipe au jeu de l’équilibre sur matelas gonflable, il a un gage. Il court trois fois autour de la piscine en criant « Je suis un chameau hollandais » avant de faire une bombe dans l’eau pendant que sa femme flirte avec le G.O. à l’accent local et que sa fille de 14 ans s’entraine à défiler en maillot de bain et talons hauts pour le concours de Miss. La prof de S.V.T à la retraite suçote un cocktail alcoolisé dans une noix de coco sur une plage privée interdite aux autochtones.


    La première page numérique du Grand Robert s’ouvre sur le mot : GLYPHOSATE [glifozat] n.m. ETYM.1973 ; de gly(cine), phos(phonométhyl), et suff.chim.-ate. Chim. Composé chimique employé comme herbicide.
    « Polémique autour des risques cancérigènes du glyphosate ».

     

    J’ai besoin de vacances.

  • charlatanisme

    Mensonge ?

     

    Le plus grand charlatanisme n'a toujours eu lieu

    qu'entre moi et moi  

     

    coups d’esbroufe

    coups du lapin dans le chapeau

    élixirs magiques

    bon profil

    petite fille qui fait tourner sa robe à volants

    devant des miroirs lissants

     

    ô petite menteuse

    qui ne dupa qu’elle-même.

     

     

     

     

     

     

    Photographie : Cécilia Janaudy

  • Voir

     L’âge avançant, je vois de moins en moins clairement ce qui est sous mes yeux alors que mon regard semble affûté pour distinguer les choses lointaines.

     

    Bien que des lunettes m’offrent artificiellement la possibilité de voir nettement le monde de près ou de loin, ne pas Voir naturellement ce qui est immédiat m’apparaît cependant comme un vrai problème.

     

    C’est là, sous tes yeux. Tu ne le vois donc pas ?

     

    Non, je ne vois pas l’Essentiel. Et mon regard se laisse distraire par de rassurants paysages lointains…

  • Au pas

    Au lendemain du confinement, les parcs lyonnais se réveillent embroussaillés, ébouriffés, hirsutes et sauvages. Les mauvaises herbes – qui les a un jour déclarées « mauvaises » ? - s’épanouissent, les hautes herbes poussent de manière anarchique, les branches des arbres s’enlacent et les coquelicots font des tâches rouges ici et là.

     

    L’humain n’a pas encore repris les choses en main.

     

    Mais, c’est pour bientôt.

    Le retour à la norme.

    Bien sûr.

    C’est pour bientôt.

    Demain sera de nouveau tondu, poli, lissé, rasé, élagué.

    Rien ne dépassera.

     

    Au pas, au pas.

  • Frères de colère

    Qui aurait pu dire aujourd’hui, en les voyant marcher côte à côte, qu’ils étaient passés tous les deux par la même colère dix années auparavant ?

     

    L’un, à présent, était terne et gris tandis que l’autre rayonnait d’une lumière douce et chaude.

     

    Le premier avait nourri sa colère, jour après jour, année après année, si bien que prenant la forme d’un boa constricteur géant, elle avait fini par s’enrouler autour de son cœur et ses poumons jusqu’à les étouffer. Il ne respirait plus qu’avec peine et cette gêne permanente le rendait aigre et hargneux.

     

    Le deuxième avait, dans un premier temps, laissé se déployer sa colère puis avait sondé son caractère impermanent et l’avait regardée fondre comme flocon au soleil pour ne conserver en lui que ce rai bienfaiteur qui avait continué de réchauffer son cœur et tout son être. De cette énergie lumineuse pourtant née de l’ire avaient jailli des actions salutaires pour lui et les autres.

     

    L’un avait fait de sa colère un tombeau, l’autre, un paysage nouveau.

  • Le secret

    J’ai un secret. Je ne le dirai pas, puisque c’est un secret. Il n’a rien d’extraordinaire, il n’a rien d’inouï. Tu peux le trouver partout, sous les galets, dans l’eau et dans l’air si tu regardes bien. Il m’aide à vivre. Pas à survivre, pas à avancer de manière mécanique. Non, à Vivre, tout simplement. C’est étrange de vivre quand on n’y est pas habitué, ça fait bizarre la première fois. Mais après le choc, en se rend compte que c’était simple depuis le début et que ce qui est difficile, c’est de retrouver ce début. Et puis de comprendre, ensuite, qu’il n’y a ni début ni fin. Voilà. Je l’ai un peu partagé mon secret. Mais en dire plus ne servirait à rien. Il est là, à portée de main, et n'attend que d'être saisi.

  • Chino rouge et trottinette

     Le père-croix-roussien-de-53 ans-qui-a-refait-sa-vie porte aujourd’hui un chino rouge, un polo vert et une barbe de trois jours poivre et sel. Il fait très bien de la trottinette. Comme ça il peut traverser la place Jacquard à toute vitesse pour rejoindre une maman croix-roussienne trentenaire qui tient par la main sa petite Capucine et dans l’autre main son caddie orange à fleurs Antoine et Lili.

    Depuis qu’il a refait sa vie, le père croix-roussien quinqua a plein de copines de l’âge de sa deuxième femme, charmantes, joyeuses, créatives et socialement investies.

     

    - Papa, tu vas trop vite avec ta trottinette, je vais le dire à maman que tu m’attends pas ! râle le petit Lucien en lui balançant un gros coup de pied dans les tibias.

     

    - Hahaha ! répond le père-croix-roussien-de-53 ans-qui-a-refait-sa-vie.

     

    - Hahaha ! renchérit la maman de Capucine derrière son masque imprimé liberty cousu main.

  • Libre mes fesses

    Libre de rien

    de rien

    de rien du tout

    libre

    mes fesses

    libre de rien

    je me vautre

    dans un monde

    fabriqué à ma guise

    pour me complaire

    sans risque

    sans danger

    mon

    ma

    mes

    juste unie à qui je veux

    mais sinon

    séparée

    séparée

    du reste

    je crois

    séparée de l'autre gourde

    de l'autre con

    séparée je crois

    comme si c'était possible

    comme si j'avais pigé quelque chose

    à quoi que ce soit

    comme s'il suffisait d'acquiescer

    comme s'il suffisait de lire

    comme s'il suffisait de punaiser des images

    libre de que dalle

    bonne à rien

    tu peux rire

     

    je m'attaque aux barreaux de fer

    avec une lime à ongles

    je creuse le tunnel

    à l'aide d'une petite cuillère en plastique

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Moussa et Valentine

    Moussa avait croisé Valentine sur les réseaux sociaux quelques jours avant le début du confinement. Le premier rendez-vous qu'ils s'étaient fixé avait été contrarié par les règles de distanciation sociale et les gestes barrières. Alors, tous les soirs à 21 h, Moussa quittait le pavillon d'un cossu quartier résidentiel avec son luth pour jouer la sérénade sous les fenêtres de Valentine qui envoyait des baisers à son galant du haut du 3e étage de son H.L.M. de banlieue.

    Au fil des jours, c'était devenu un feuilleton attendu par tous les habitants de la barre C. Un soir que quatre agents de la police municipale vinrent interrompre l'aubade pour demander son attestation de déplacement dérogatoire à Moussa - certainement convoqués par quelque locataire jaloux de la barre B - ils repartirent sous les huées et les ordures ménagères des résidents farouchement défenseurs de ce spectacle quotidien de l'amour courtois sous leurs persiennes.

    A la fin du confinement, les habitants du quartier organisèrent un grand bal dans la salle polyvalente de la M.J.C pour célébrer le premier rendez-vous physique des amoureux. Moussa et Valentine, intimidés, attendirent d'être à l'abri des regards pour échanger leur premier baiser, sans masque, sans gel hydroalcoolique, sans attestation, sans contrôle policier. Puis, ils dansèrent jusqu'au petit matin avec leurs joyeux complices avant de se retirer pour aller enfin à la véritable rencontre l'un de l'autre, sans spectateurs ni témoins.

  • mugs et t-shirts

    J’adore la chanson Le Chiffon rouge, non vraiment, j’adore. Je la connais par cœur et je la chante encore avec autant d’enthousiasme qu’il y a 43 ans. Parce que ça me projette dans le joyeux monde du milieu des années 70 dans lequel je me voyais entourée d’adultes passionnées et chaleureux. J’ai même encore beaucoup de tendresse pour les paroles gentiment utopistes de Maurice Vidalin.

     

    Mais si les chansons post 68 me font encore vibrer, c’est au même titre que la vision d’une vieille 2 CV verte croisée au hasard des rues. Mes poils se dressent d’émotion et puis je passe mon chemin pour revenir au monde d’aujourd’hui. Hop, à pieds joints dans la réalité de 2020 qui se gondole bien à l’écoute des chansons du Big bazar et du Flower Power.

     

    Non, mais entendez-moi bien : moi aussi j’aime la paix, l’amour et les fleurs, moi aussi je voudrais encore chanter : Ne crains plus rien, le jour se lève, il fera bon vivre demain, avec tout le sérieux de mes 7 ans. Ce n’est pas la question. Mais ce n’est plus possible. Pas comme ça.

    Dès l'instant où des mugs et des t-shirts à l'effigie de Che Guevara ont été mis en vente dans les vitrines des centres commerciaux, on aurait dû flairer l'entourloupe et balancer des grenades. A la place, on a porté les t-shirts et on a bu notre café dans les mugs.

     

    Je suis sortie de l’adolescence (un peu tard), j’ai étreint une dernière fois mon idéalisme hanté d’idoles mortes avant de le regarder s’éloigner sans regret.

     

    Et je me dis, aujourd'hui, qu'il n’est peut-être pas trop tard pour inventer la nouvelle la B.O. de nos manifs.

  • Replay

    Ma fille me lâche la main

     

    Regarde maman les oiseaux de mai

     

    comme ils sont joyeux et replets !

     

    Une petite fille de trois ans ne dit pas « replet »

     

    mais c’est ma fille

     

    pourquoi s’interdirait-elle des mots 

     

    en ce jour de printemps 

     

    à quelques pas de mes cinquante ans ?

     

    Ce chiffre n’existe pas, 

     

    pas plus que n’existe celle

     

    à qui je tiens pourtant la main

     

    pour aller rejoindre son papa

     

    qui lui existe bien

     

    puisqu’il m’a fait un enfant

     

    une petite fille de trois ans

     

    qui dit « replet »

     

    et qui bat des mains

     

    en regardant s’envoler

     

    les oiseaux du printemps.

     

     

     

     

     

    Illustration : la petite fille et l'ours en peluche, Doisneau.

  • Suzie

    - Oui, Chloé ?

    - Alors, moi, je propose de couper les organes génitaux des hommes qui me regardent dans la rue et qui me sifflent comme si j’étais une chienne.

    - Chloé, tu es un peu excessive, nous en avons déjà parlé. On peut envisager quelques étapes avant l'émasculation, non ? 

    - Mouais...

    - Suzie ? Tu veux t’exprimer ?

    - Ce que je voudrais aussi, moi, c’est couper les organes génitaux des hommes qui ne me regardent pas dans la rue, ni ailleurs, parce qu’ils me trouvent moche. Depuis l’enfance. Pas un regard, pas un sourire, pas un compliment. C’est discriminant. Ils doivent payer.

    - Oui, mais là, Suzie, tu cautionnes le male gaze. Nous ce qu’on veut, c’est justement ne pas être regardées comme des objets sexuels.

    - Ah ?

    - Oui, Suzie. Tout le monde est d’accord ? Tout le monde a bien compris ce qu’on fait là ?

    - Oui, mais, alors, en quoi je suis concernée, moi ? J’ai jamais été regardée, ni draguée, ni harcelée en 30 ans.

    - Suzie, tu dois faire preuve de sororité.  Ne sois pas crispée sur ta petite personne, notre lutte n’avancera que si on est solidaires.

    - Ben, on est solidaires, non ? On a toutes envie de les émasculer.

    - Oui, Suzie, si tu veux, mais nous sommes là pour dénoncer le male gaze et la société patriarcale. Je recentre le débat. Si tu n’es pas regardée, c’est parce que les codes ancestraux régis par le male gaze consistent à limiter la femme à son apparence physique et que ce sont eux qui décident de ce qu’est un corps attirant ou pas. Dans un monde idéal, les hommes et les femmes se regarderaient avec neutralité. Personne ne serait plus « la bonne » ou « la moche ».

    - N’empêche… moi, je préfère aussi les beaux garçons aux moches.

    - Hein ?

    - Je dis que je préfère regarder les hommes beaux. Mais, ils s’en foutent de moi, ils regardent Chloé. Ce qui est nul, vu que Chloé ne veut pas être regardée, elle. Moi, juste un petit regard de rien du tout de temps en temps, ça m’irait. Je demande pas grand-chose.

    - Suzie, qu’est-ce que tu fais parmi nous ?

    - Je l’ai déjà dit. Je veux couper des organes génitaux masculins. Et dites ! Est-ce que c’est chez vous qu’on montre ses seins dans les manifs ?

    - Non, c’est chez les Femen…

    - Ah… Ah, bon, dommage… parce que y a que ça de joli chez moi, les seins…

     

     

     

     

  • Pourquoi j'écris des histoires

    A 11 ans, j’ai remporté le 1er prix d’un concours organisé par les Editions de l’Amitié et on m'a demandé de choisir entre 50 livres de littérature jeunesse ou une journée avec un écrivain à Paris - un écrivain valait donc 50 livres ? - j'ai choisi sans hésiter de rencontrer l’auteur. A Paris ou ailleurs.

     

    Nicole Vidal m’a baladée pendant 8 heures sur son scooter à travers la ville. On a mangé des glaces et des crêpes, on a discuté toute la journée comme de vieilles copines qui ne se seraient pas revues depuis longtemps. Elle m’a raconté ses voyages en Amérique du Sud, ses tours du monde à moto, son enfance en Indochine, ses petits boulots. Devant la cage des éléphants du zoo de Vincennes, je lui ai raconté les histoires que je gribouillais sur le bureau de ma chambre et elle m’a demandé de choisir le titre du roman qu’elle était en train d’écrire après m’en avoir fait un résumé.

     

    J’ai réfléchi, puis j’ai dit : La Nuit des Iroquois.

     

    Je l’ai reçu un an plus tard dans ma boite aux lettres, il m’était dédié. Un mot à l’encre bleu ciel était ajouté sur la première page : « A Judith (Juju pour les amis) avec l’espoir que ce livre la décidera à écrire les jolies histoires qu’elle m’a racontées. Affectueusement, Nicole Vidal ». Le sort était jeté.

     

    Nous ne sommes jamais revues mais nous avons correspondu pendant vingt ans, puis elle est morte. Je ne l'ai su que parce que les lettres se sont arrêtées un jour.

     

    Chaque mot jeté sur une feuille depuis cette rencontre est en partie dédié à ma fée baroudeuse.

     

     

     

     

     

  • Coton et dentelles

    Joe avait longtemps hésité entre une carrière de bassiste ou de poète ; chacune d'elles avait ses fans. Les groupies du bassiste étaient sans doute plus ostensiblement déchaînées et hurlantes mais les celles du poète sous des dehors plus sages étaient tout aussi ferventes et dévouées - il l'avait observé sur les réseaux sociaux.

    Finalement, il avait choisi la poésie et ne l'avait jamais regretté. L'honorable collection de petites culottes en coton, soie, dentelles et skaï qui ornait les murs de sa chambre depuis dix ans inspirait le plus grand respect à son ami Ben qui avait fait le choix de la musique. Il n'aurait jamais imaginé que le vers français ouvrait l'accès à une telle variété de lingerie fine.

  • Le tigre et la vie

    Je ne sais pas courir.

     

    Faux.

     

    Si un tigre me coursait, là maintenant, mes jambes exécuteraient le mouvement de la course sans attendre mon avis, sans me laisser le temps de penser, de tergiverser sur mon aptitude à. Elles ne s’occuperaient pas de mes états mentaux, de mon auto-dénigrement, de mes idées parasites sur moi et le monde. Je courrais, bon an mal an, mais je courrais. Et je serais peut-être surprise de ma capacité à le faire efficacement.

     

    Si je ne cours pas, ce n’est pas parce que je ne sais pas le faire. Si je ne cours pas, c’est parce ma vie n’est pas en jeu.

     

    Que je crois.

  • La blonde et le chat

    La femme blonde et sophistiquée dans cette publicité pour une marque d’alimentation de luxe pour félins feuillette un album photos qu’elle commente en caressant un chat racé sur ses genoux :

    « Tu vois, là, c’est le jour où tu as été stérilisé, mon chéri ».  

    Le chat ronronne, on ne l’entend pas, mais certainement il ronronne. Gros plan sur la tête levée vers sa maitresse, yeux mi-clos, air paisible et satisfait.

    Pas d’homme dans le cadre. Pas d’homme dans la maison de la blonde en tailleur. C’est sans doute mieux pour tout le monde.

  • Malheur solidaire

    A la sortie du confinement qui avait duré trois mois, elle replongea comme tout le monde dans la grande agitation générale. La situation économique du pays était déplorable. Bien sûr, les plus riches de la planète s'étaient enrichis mais les plus pauvres étaient encore plus miséreux. Les États comptaient sur l’esprit de solidarité des citoyens pour remplumer leurs caisses. L’avenir s’annonçait difficile pour une grande partie de la population mondiale. Il allait falloir se retrousser les manches. L’Autre Monde annoncé par les utopistes du web ne semblait pas près de s'épanouir.

     

    Elle se demanda alors, si elle n’aurait pas dû mettre à profit ces quatre-vingt-dix jours autrement qu’en se rongeant les sangs pour son télétravail et en maugréant contre les contingences. Quatre-vingt-dix jours, comme la vie, c’est court, c’est long. Bien assez, quoi qu’il en soit, pour faire autrement, essayer des choses, prendre du temps pour soi, repenser le sens, se plaire à s'ennuyer, regarder de nouveau les occupants de son espace domestique… Puis, elle chassa ces piteux regrets en se disant qu’elle aurait été bien égoïste alors de penser à elle alors que des gens mouraient tous les jours dehors, que d’autres vivaient à 10 dans 20 m2, que d’autres encore n’avaient pas de quoi manger. C’était la moindre des choses que de participer au malheur général et même d’en prendre une part active. Oui, elle avait eu raison de subir la situation - ça n’avait servi à rien, mais ça la rendait solidaire de la détresse universelle. Et sa conscience n’était pas maculée du sceau de l’égotisme. Quel soulagement.

     

    Le malheur pour tous, voilà qui était un vrai concept démocratique et égalitaire. (Le diable riait bien).

     

     

  • engagé

    N’ayant jamais pris le temps de sonder son être, d’explorer les facettes de sa personnalité, de déceler ses propres mensonges intérieurs, ne s’étant jamais posé de questions sur lui-même et ne sachant pas même pas ce qui était bon pour lui et ses proches, il prétendait pourtant savoir ce qui était bon pour les autres êtres humains, pour la cité, pour l’humanité toute entière et était engagé depuis vingt ans dans une carrière politique dont le relatif succès régional suffisait à satisfaire son ego.