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Portrait - Page 3

  • lutte

    Si la colère qui t'anime
    est plus destructrice que créatrice,
    si la lutte que tu mènes,
    aussi légitime soit-elle,
    exclut plus qu'elle ne rassemble,
    si la lutte que tu mènes
    dépose dans ton cœur
    plus d'aigreur que de joie,
    alors…

  • Les voeux de la Mare Rouge

    2021 :
     
    Soyez toujours prêt à être surpris.
     
    Swami Prajnanpad.
     
     
    LOVE

  • L'esprit pop


     

    Si tu ne tends pas l’oreille, tu passeras à côté de ce que dit l’esprit pop.

     

    Tu auras vite fait de le prendre pour un inconsistant au cœur léger et superficiel là où il a juste l’élégance de ne pas faire peser sa mélancolie sur le monde.

     

    L’esprit pop dissimule l’humeur down down down derrrière une ritournelle grisante, un gimmick joyeux et entêtant.

     

    Et ça marche. Tout le monde fredonne la mélodie mais personne n’entend les paroles.

     

    Hummm ouhhh yeah pop pop yeah

     

    Tout va bien. Chacun passe son chemin.

  • Amours clandestines

    Il fallait bien admettre un fait. Depuis le début du XXIe siècle, qui correspondait à la démocratisation et la banalisation de l'usage du smartphone, les amants modernes vivaient leurs amours clandestines et adultères - aussi romantiques et passionnées fussent-elles - en grande partie

     

    aux toilettes.

  • Les grandes personnes

    Quand j’étais enfant, j’ai rencontré combien d’adultes ? Je ne sais pas. Deux… trois peut-être. Les autres étaient de grandes personnes, c’est-à-dire qu’elles étaient plus grandes que moi en taille c’est certain (oui, moi aussi j’ai été petite un jour), mais pour le reste elles n’avaient pas l’air d’en mener plus large. Plutôt moins peut-être.
     
    Les plus perdues de ces créatures étaient cependant celles qui s’efforçaient à prouver au monde qu’elles avaient compris.
    Quoi ?
    Tout.
    Les gens, l’Art et la Littérature, la bourse, l’amour, la géopolitique, l’argent, les noms en -isme, la Vie, le Sens, le tour de main pour la mayonnaise. Tout.
    Elles parlaient fort et gesticulaient beaucoup.
     
    Les adultes, eux, se contentaient de m’écouter puis me regardaient dans les yeux et disaient :
     
    Qui sait ?
     
    Viens, on va regarder pousser un radis.

  • CLIC CLIC

    CLIC CLIC
     
    Nicolas Violant qui sera quelques années plus tard commissaire de police, mais il ne le sait pas encore - il n’a que 20 ans pour le moment et qui peut penser sans rire qu’un homme portant le nom de « Violant » puisse devenir commissaire - marche sur un trottoir du 6e arrondissement de Lyon en compagnie d’une jeune fille blonde qu’il rêve de conquérir.
    Il vient de s’acheter une paire de Richelieu marron foncé et a demandé à la vendeuse d’ajouter des fers à ses semelles pour les protéger mais surtout pour entendre résonner leur son métallique sur le bitume. Durant toute la promenade, Nicolas Violant fait claquer ses talons sur le pavé et à chaque pas, il se sent plus homme. Chaque pas le rapproche des cheveux de la fille, de sa bouche et de ses seins.
     
    Bénédicte qui deviendra sa femme en 1998 lui avouera six ans après ce premier rendez-vous que le cliquetis insupportable aurait pu avoir raison de leur idylle dès le premier quart d’heure. C’est au moment où il avait chaussé à contrecœur ses lunettes de myope qu’elle lui avait trouvé un air mignon et avait décidé de lui accorder une chance.

  • catcheuse

    Force d’Inertie, catcheuse aux épaules d’haltérophile et aux jambes de lanceuse de poids maintient à terre Volonté et Motivation comme s’il s’agissait de vulgaires ados prépubères sans poil au menton.
     
    -Nous y arriverons demain ! Nous agirons, nous ferons ! jurent en chœur Volonté et Motivation sous le puissant corps de l’athlète.
     
    - Demain, oui ! renchérit Force d’Inertie en riant aux éclats - Demain, c'est très bien, ça ! DEMAIN !

     
  • Mignardises

    Jacqueline et Nicole se réunissent tous les mardis pour parler des maladies et des malheurs qui affectent leurs connaissances communes. Gourmandes, elles grignotent des mignardises achetées chez Bouillet et dégustent du thé Earl Grey tandis qu’elles énumèrent leurs maux, du plus bénin au plus tragique : la varicelle du petit Barnabé, le durillon récidivant de Marie-Cécile, le troisième divorce de Jean-Nicolas et son remariage avec « une arabe », la chute de Simone dans les escaliers de la maison de retraite et sa fracture du col du fémur, l’agression sexuelle de la fille du voisin du cinquième étage par un chauffeur Uber, la démence dégénérative de Mme Rioux qui lui fait dire des mots orduriers et se déshabiller devant des gens, le cancer du sein de Mme Richard, le cancer du rein de M. Bonin, les métastases aux poumons et au cerveau de M. Langlois. Quand elles ont fait le tour des malades et des victimes, elles passent aux morts tout frais. Cette semaine, Ginette, la pauvre, a été retrouvée morte chez elle dans un état de décomposition avancée. Personne ne s’était inquiété de son absence car elle devait partir en voyage organisé. Il faut dire aussi qu’elle ne décrochait jamais le téléphone quand on l’appelait et qu’elle est un peu punie de son manque de civilité. Comment pouvaient-elles savoir ? Enfin, elles lisent les derniers titres de la revue Détective à laquelle Nicole est abonnée : Le couple qui enlève les enfants, Tuée en pleine nuit dans le lit conjugal, La mort au bout du rêve, Violée par l’amant de sa mère et feuillètent les numéros en commentant les images « c’est pas dieu possible, mourir si jeune » « on ne peut plus faire confiance à personne » « les hommes sont si cruels » « on n’est plus en sécurité nulle part ». Après leur petit goûter hebdomadaire, au moment de se quitter, elles médisent une dernière fois de leurs meilleures amies encore vivantes et se donnent rendez-vous à l’enterrement de Ginette pour voir la tête des descendants qui ne seront là que pour l’héritage « les gens sont sans cœur, c’est affreux ».

  • maline

    Et puis un jour, on ne peut plus se contenter de faire sa maline

     

    à coups de fesses

     

    à coups d’artifices

     

    oh la belle bleue

     

    oh la belle rouge

     

    et, ce jour-là

     

    il n’y a pas grand-chose à faire

     

    à part

     

    juste

     

    à part

     

    simplement

     

    arrêter de faire sa maline

     

    et Voir

     

    un peu

     

    ce que ça fait

     

    d’être Là.

  • cinquante ans

    A 15 ans, je suis éduquée par deux hommes : Brel et mon père.

    L’un me dit

    Mourir, cela n'est rien / Mourir, la belle affaire

    l’autre poursuit 

    Mais, vieillir, oh vieillir… 

    et ajoute

    Une capsule de cyanure est cachée dans l’armoire de la chambre. Je n’ai pas l’intention d’atteindre cinquante ans, non merci, très peu pour moi.

     

    Mais cinquante ans, c’est déjà très vieux, non ? est ma première pensée.

  • violence

    Elle me dit qu’elle n’a aucune violence en elle. Jamais. Que la violence lui est étrangère. Qu'elle l'a en horreur. Elle ne la fréquente pas, elle n’en veut pas dans sa vie, elle n’en veut pas dans son cœur.

    Et, tandis qu’elle dit ça, toute concentrée qu’elle est à tenter de me convaincre de l’absence totale et imprescriptible de toute violence en elle, je distingue une légère, ténue, microscopique crispation de sa lèvre supérieure et une petite fixité du regard qui me glacent le sang.

  • play-list

    Hier, dans le métro, j’écoutais une chanson dans mon casque, une chanson extraite de ma play-list « post journée de travail » et soudain, j’ai tout compris. Je veux dire, j’ai tout compris à la chanson que j’étais en train d’écouter. Tout compris comme s’il s’agissait d’une chanson en français alors qu’il s’agissait d’une chanson en anglais. Le texte m’est arrivé limpide, clair, comme en traduction simultanée, comme si mon cerveau faisait totale abstraction de l’obstacle de la langue. D’habitude, comme beaucoup de monde, je saisis deux-trois phrases, je comprends le refrain quand il est simple et la mélodie fait le reste. Mais là, tout était différent. Pendant quelques minutes, j’ai vraiment entendu la chanson pour la première fois. Elle n’avait rien d’exceptionnel, ses paroles étaient un peu bêtes comme le sont souvent les paroles des chansons pop mais je les voyais nettement défiler en synchrone dans mon cerveau. Comme quand on appuie sur la touche « traduction » sous un clip sur youtube, les erreurs grossières en moins. Trois minutes. Puis retour à la normale. Ma play-list, des chansons anglo-saxonnes et américaines qui se suivent et que j’appréhende approximativement. Comme avant.

     

    Woman I can hardly express My … emotions … After all, I'm forever in …

     

    Trois minutes d’éveil. Puis plus rien. Il parait que ça se passe souvent comme ça et que le plus dur, ensuite, est de ne rien attendre.

  • manège

    Je demande au vigile d'Auchan
    s'il n'a jamais rêvé de monter sur ce manège placé là à l'entrée de la galerie marchande
    quand il est à l'arrêt
    au moment de la dernière ronde de surveillance
    quand toutes les lumières de la grande surface s'éteignent les unes après les autres
    s'il aurait plutôt choisi le cheval la voiture le carrosse ou le lapin quand il était enfant
    et aujourd'hui serait-ce le Mickey rieur ou le Donald grognon
    mais il m'enjoint poliment de descendre de la moto
    et me dit qu'il est temps de rentrer chez moi
    car la nuit est tombée depuis longtemps

  • Enfant, il détestait les automates

    Enfant, il détestait les automates, ces petits personnages au regard fixe en proie à des gestes mécaniques grotesques quand sa mère les remontait à l’aide de la petite clé fixée dans leur dos. Elle applaudissait des deux mains tandis que les petits jouets se dandinaient stupidement devant lui avec un bruit métallique.

    Puis ils rencontraient toujours un obstacle qu’ils n’étaient même pas capables d’éviter et contre lequel ils venaient buter à plusieurs reprises jusqu’à l’arrêt complet du mécanisme. Bref, de petits engins stupides et froids qui provoquaient déjà en lui un malaise qui ne s'était jamais démenti.

     

    Plus tard, la plupart de ses contemporains ne lui semblaient pas plus vivants que ces joujoux d’antan. Comme eux, ils fonçaient inlassablement contre les mêmes murs mais les plaintes et les jérémiades qui accompagnaient cet état de stagnation les rendaient, à ses yeux, encore plus insupportables que les joujoux de son enfance.

  • Le masque et la mort

    La maitresse de cérémonie du centre funéraire en introduction de son discours écrit nous enjoint sèchement de garder une distance de sécurité, de conserver nos masques, de nous taire, de ne pas nous déplacer "car le Covid 19 est toujours là et qu'il est de notre devoir de nous protéger les uns les autres".
    Je pleure dans mon masque. Je ne sais pas quoi faire de ces humeurs qui coulent sans interruption de mes yeux et de mon nez. Je lève un coin de tissu pour me moucher mais c'est peine perdue.
    Je passe la cérémonie noyée dans ma morve et mes larmes.
    Je n'ai pas pensé à prendre un masque de rechange.
    Gaëlle et Catherine sont dans le même état que moi.
    Djassia aurait trouvé un truc drôle à dire pour nous faire sourire.

  • instagrammable

    A ma naissance, mon grand-père avait engueulé ma mère : Tu l’appelles Judith ? Mais tu es inconsciente ! Tu te rends compte s’IlS reviennent…

     

    Jusqu’à mes 5 ans, il m’appellera « la môme Juju », puis il mourra.

     

    Quand je vois aujourd’hui la photo de cette adolescente qui pose dos cambré, poitrine en avant, moue Instagram sur les rails qui mènent à l’entrée du camp d’Auschwitz, je pense à Marceau, à ses mots, à sa peur.

     

    Et ce qui m’effraie, moi, aujourd’hui, c’est cette image impossible de l’Abomination prenant la forme d’une jolie jeune fille souriante, pas plus méchante qu’une autre, répondant certainement à l’injonction d’une amie qui tient l’appareil - le smartphone qui permettra de balancer l’image dans la seconde sur sa page facebook :

     

    Cambre-toi un peu plus, oui, super, on voit bien l’entrée derrière toi, ne bouge plus !

     

    Clic.

     

    Même pas néo-nazie, même pas antisémite. Juste instagrammable.

  • la consolation

    Avant chaque cuillerée de glace au chocolat portée à sa bouche, l’un de ses parents insulte l’autre. C’est une mécanique bien huilée.  Une insulte, une cuillère. Comme une compensation immédiate à la douleur.

    La petite fille ralentit son geste, fixe la boule qui va bien finir par ne plus exister, qui ne ressemble déjà plus à une boule, qui déjà a presque disparu, avec cette question – que je peux lire sur son visage intranquille et grave – le dernier morceau de glace signera-t-il la fin de la dispute ou celle de la petite consolation ?

     

     

     

     

     

    Photographie : Tish Murtha

  • Chiens de paille

    Terrasse de Chauffailles

    beaucoup de guêpes cet été

    et des hommes inquiétants

     

    on a vite fait d’imaginer

    du désordre dans les granges

    pendant le bal

    et des filles bousculées

     

    sur ma table

    les deux guêpes

    prises dans le sirop rouge

    du piège en plastique

    s’agrippent l’une à l’autre

     

    et je ne peux rien pour elles

     

     

  • la note

    Il déposait des lettres anonymes dans les boites de ses voisins en variant les messages :

     

    • Rien ne s’oublie
    • Rien ne se perd
    • Ça s’appelle l’effet boomerang
    • Tu ne pensais pas t’en tirer comme ça ?
    • De nouveau réunis

     

    et guettait les réactions.

     

    Il était certain de son effet car, bien sûr, chacun de nous a quelque chose à se reprocher ou à se faire pardonner. Il ne faisait que précipiter la présentation de la note qui finit, quoi qu’il en soit, toujours par arriver.

  • miroir du dedans

    Chaque jour, devant la glace de la salle de bain, nous déplorons à grands cris intérieurs la dégradation fatale et cruelle des traits du visage et du corps visible.


    Pourtant, elle n’est pas grand-chose comparée à ce que nous découvririons si l’on nous tendait un miroir intérieur qui nous permettait de contempler dans le même temps la dégénérescence méthodique de nos cellules et de nos organes au quotidien.


    Nous aurions ainsi un tableau complet de la situation. Beaucoup plus tragique que nous l’imaginions au départ et cette fois vraiment digne de lamentations.

  • la dignité

    La première fois que j’ai croisé mon voisin du 6e étage devant l’immeuble, un très vieil homme, oui, très vieux, sans âge donc mais encore très distingué malgré le visage émacié, le teint malade, les membres chétifs dans un complet trop large, le corps débile prenant appui sur une canne, mon premier réflexe a été de le devancer pour lui ouvrir la porte.

     

    J’ai ce jour-là commis un impair. Il n’était pas concevable pour lui de ne pas tenir la porte à une dame quelque effort qu’il eût à fournir pour y parvenir. J’ai vu son lent mouvement vers la poignée trop tard et j’ai compris à son merci contrarié l’inconvenance de ma conduite. Je lui retirai peut-être l’une des dernières opportunités de rester à une certaine hauteur de dignité en société. De surcroît, en présence d’une femme.

     

    La deuxième fois, j’ai ralenti ma marche, je l’ai laissé saisir la clenche, pousser la porte avec difficulté car handicapé par sa canne, puis faire un geste courtois m’invitant à entrer. Je lui rendais ainsi ce que je lui avais volé lors de notre première rencontre. 

     

    Et peu importe le tendre jeu de dupes - je savais, vous saviez, cher frère humain - il a duré jusqu'à ce que mon voisin du 6e étage n'ait plus à ouvrir aucune porte...

     

     

     

     

     

    Photo – Florent Drillon

     

     

     

     

  • détail

    Regarde ce temps de chagrin ou d'amertume comme une séquence de ta vie.

    Prends du recul comme devant une peinture impressionniste,

    éloigne-toi de quelques pas,

    là encore,

    oui,

    jusqu’à voir le tableau tout entier et non plus le détail qui cause ta peine.

    Ah, ma vie n’est donc pas concentrée dans ce trait qui m'afflige.

    Non, ta vie est cette œuvre à contempler de loin et qui comprend en elle toutes les tristesses et toutes les joies passées et à venir.

     

    Ne fixe jamais le détail trop longtemps sous peine de finir par le prendre pour l’entière création.

     

     

     

     

     

     

     

    Claude Monet, Soleil d'hiver à Lavacourt (dét.), c. 1879-1880 — musée d'Art moderne du Havre, Normandie, décembre 2013

  • De l'aubergine

    Cette personne essaie de me convaincre depuis une heure que l’aubergine est un légume délicieux, m’explique pourquoi j’ai tort de ne pas l’apprécier à sa juste valeur, m’énumère tous ses mérites, me vante son goût savoureux, sa texture unique, son parfum subtil au travers d'un argumentaire précis et détaillé dans le but de me ranger à son avis mais je n’en aime pas plus l’aubergine à la fin de son exposé aussi achevé soit-il. Du moins pour le moment. Et cela semble la contrarier au plus haut point. Comme si mon absence d’adhésion faisait injure à son goût alors qu’elle met juste en lumière des appréhensions sensibles et sensitives différentes. Je n’essaie pas de la convaincre en retour de la prédominance de l’épinard sur l’aubergine puisque je sais qu’elle l’a en horreur.

    Il en va de même en matière de livres, peintures, sculptures, chansons, films, musique. Combien de discussions vaines quand il s’agit du goût des uns et des autres, combien de temps passé à des disputes inutiles. On se sent blessé là où s’expriment seulement des perceptions différentes du monde construites progressivement depuis l’enfance et plus ou moins affinées avec l’âge.

     

    Qui pour oser dire sans en rire : « Ta perception de l’aubergine est moins pertinente que la mienne » ?

  • vieillir

    Dans le meilleur des cas, le vieillissement physique rendu visible par le cheveu qui chute, la peau qui lâche, la paupière tombante et la fesse amollie, est largement compensé par une maturité affective et émotionnelle grandissante et par un état de quiétude tendant à refléter une harmonie exponentielle avec les êtres et le monde.


    Dans le meilleur des cas.

  • sur le son de l'orchestre

    Et toujours cette vieille folle, pas si vieille sans doute, pas si folle, dansant au son de l'orchestre un verre en plastique à la main rempli à ras bord de mauvais vin, tatouages délavés, jupe à volants et top moulant sur membres de junkie, partout la même, à Lisbonne, Sète, Rive-de-Gier ou Lyon-Croix-Rousse, rit, rit puis finit par tout le monde insulter.

  • fado

    Entre des séries de chansons qui font vibrer les ruelles de l’Alfama d’une saudade poignante et incarnée caressant la mélancolie lascive et disponible du touriste rêveur, la chanteuse de fado, lisboète altière et digne, cheveux tirés en arrière en un chignon austère, visage expressif et grave, port de tête majestueux et fier, profite de ses pauses régulières à l’ombre du citronnier de la cour pour battre son propre record au jeu Candy Crush.

  • Non capisco niente

    je regarde une série policière norvégienne sans sous-titres
    je lis les conversations facebookiennes d'une amie suédoise en suédois
    j'écoute des chansons en langue arabe
    je feuillette un livre sans images écrit en japonais

     

    pour ne rien comprendre à rien


    mais peut-être pas plus pas moins que d'habitude tout compte fait

  • Héros

    Tandis qu'il faisait un bouche à bouche et un massage cardiaque destinés à réanimer cette vieille dame qui gisait sur le trottoir après une chute spectaculaire, l'écrivain se demandait de quelle manière il pourrait bien retranscrire cette scène dans deux heures, quel point de vue il serait pertinent d'adopter et s'il ne serait pas intéressant de faire entrer en scène un personnage secondaire qui aurait un rôle à jouer plus tard dans le récit. En levant la tête, il vit cet homme penché au-dessus de lui avec son drôle de chapeau mou et sa moustache fine ; il le nomma Gauthier, le casa dans un coin de son cerveau puis l'admonesta :

    - Poussez-vous donc, monsieur. Ne voyez-vous pas que je suis en train de sauver une vie ?

  • coït

    Cette nuit la lune m’a réveillée. Sa lumière était brutale et pénétrante, sa rotondité, parfaite. Ses cratères, distincts, se détachaient comme des énigmes au pochoir. Pour lui plaire, le jardin s’était enveloppé de son parfum de cocotte au chèvrefeuille et seringat tandis que les oiseaux nocturnes lançaient des cris lascifs et implorants.   

    Il allait se passer quelque chose. J’ai senti que j’étais de trop. J’ai rabattu mon drap sur la tête pour ne pas être en position de voyeuse. Ce qui est bien naïf de ma part car chacun sait qu’aucun de nous n'a le pouvoir d'échapper au grand coït énergétique quand il a lieu.

  • Bonnes manières

    Où ai-je appris à dire « merci » ? Quand il m’offrait quelque chose et que je disais ce mot en retour, mon père m’engueulait : on ne dit pas merci à ceux qu’on aime, c’est normal de donner et de recevoir, pas la peine d’y ajouter toutes ces gnangnanseries. Il a fini par me convaincre. Déjà, parce que comme ça j’arrêtais de me faire engueuler, puis parce que je me suis persuadée en effet que le geste partagé suffisait, que les mots n’étaient que de gros lourdauds. Ce qu’il avait omis de me préciser, c’est qu’en dehors de notre cadre intime, les choses ne se passaient pas exactement comme ça. Je suis devenue la rustre qui déchire les papiers cadeaux sans se donner la peine de dire le mot magique à la fin, la malpolie pas finie. Je sentais bien que les gens attendaient un truc après le don, le compliment ou l’attention, mais je les regardais droit dans les yeux, pensant : ils savent comme moi que cet instant de communion se suffit à lui-même. Mes fesses.

     

    J’ai dû me rééduquer. Me rééduquer à ajouter la parole au sentiment de gratitude. Pour le plus grand bien de tout le monde. Ne t’en déplaise, papa.

     

    J'ai gardé de toi une chose, pourtant : une réelle aversion pour l'afféterie, la minauderie, le chichi et la simagrée qui participent au mensonge relationnel et déguisent l'hypocrisie sociale et l'entreprise de séduction en bonnes manières. Je crains qu'ici la rééducation ne prenne un peu plus de temps...