Enfance & adolescence
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Barbie
Quand j'avais 6 ans je maltraitais mes Barbie. Ce n'était pas par méchanceté mais parce que leurs membres étaient raides, ne pliaient pas au moment où j'essayais de les habiller ou les déshabiller ; c'était très énervant. Comme je n'étais pas patiente, elles finissaient toujours avec un bras en moins. Ou une jambe. Et comme je ne savais pas quoi faire d'une Barbie unijambiste, je parfaisais mon œuvre en lui coupant les cheveux puis la tête. C'est sûr qu'après ça la mini jupe faisait beaucoup moins stylée...Je finissais par enterrer les morceaux dans mon jardin en priant très fort pour leur âme en plastique.Lien permanent Catégories : Characters, Elles, Enfance & adolescence, Le Havre, Portrait 0 commentaire -
aucune arrière-pensée
Depuis que je sais tenir un stylo, j’observe le monde et les gens puis je les écris. Pourquoi ? Mystère. Aucune idée. Aucune arrière-pensée. A l’âge de 9 ans, j’écris parce que c’est ce qu’il y a de mieux à faire après lire des histoires, faire du vélo et jouer à l’élastique dans le lotissement avec mes copines. De temps en temps, je fais du porte-à-porte pour vendre des os de seiche ramassés sur la plage que personne n’achète. L’activité est vaine, aussi vaine que l’acte d’écrire et cela n’a aucune importance. J’apprends l’endurance tranquille.C’est bien plus tard que l’on me fait entendre qu’écrire est chose sérieuse, affaire d’initiés. J’acquiesce alors pour ne contrarier personne ; ceux qui disent cela ont l’air si attachés au caractère sacré de l’exercice ; je ne veux pas leur faire de la peine.Photo : Doisneau, 1961, "leçon de vélo" -
trivial pursuit
- Madame, ça sert à quoi la "culture générale" ?- Je ne sais pas, Fares... A gagner au Trivial Pursuit ?- Ma prof de français l'année dernière, elle disait que c'était important d'avoir de la culture générale.- Oui : pour gagner au Trivial Pursuit. Elle a raison.- Je crois pas que c'est ce qu'elle voulait dire. Elle parlait de lire, aller au cinéma, au théâtre...- Aahhhh ! Vous voulez savoir à quoi servent l'art et la littérature ? Je comprends mieux. Ce n'est pas la même chose.- Ça sert à quoi alors ?- A rien. C'est juste cadeau pour les humains. A vous d'en faire ce que vous voulez.Lien permanent Catégories : Characters, Ecole, Enfance & adolescence, essais, Humeurs, Portrait 0 commentaire -
une bien chouette génération
Je nourris mon fils au Clos Jouve. Une bonne tranche de veau avec patates grenailles. La mère à la table voisine dit à sa fille qu’elle appartient à une chouette génération. La petite, pas si petite que ça (master 1 ou 2 ?) vient de lui raconter que quatre filles - quatre vigies - sont tombées à bras raccourcis sur Justin qui s’est permis de mettre ses mains sur les hanches de Chloé pendant une danse, le soir de la Saint Patrick.La jeune fille raconte, sous l’œil attendri de sa maman, que Justin était meurtri d’avoir posé ses mains sur les hanches de Chloé sans son autorisation. Il était dégoûté de lui-même, écœuré même. Il ne savait pas ce qui lui avait pris. Bien sûr, il a présenté dès le lendemain ses excuses à Chloé encore traumatisée du geste déplacé.Oui, une bien chouette génération.Mon fils, pendant ce temps, mange avec une joyeuse voracité son steak saignant. -
Artiste ?
- Madame, à quoi on sait qu'on est artiste, en fait ?- Si tu te lèves tous les matins pour te mettre à l'ouvrage alors que personne ne t'a rien demandé et qu'a priori ça ne te rapportera rien matériellement avant un moment ? Peut-être jamais. Si tu fais de cette pratique une priorité dans ta vie quotidienne quand bien même tu serais payé pour faire autre chose par ailleurs ?- Ça sert à quoi, alors ?- Je ne sais pas. Mais l'artiste ne peut pas faire autrement. Et si ce qu'il fait finit par atteindre quelqu'un, c'est tant mieux.- Moi, j'écris un peu tous les jours.- Quelqu'un t'a demandé de le faire ?- Non.- Tu as demandé la permission à quelqu'un pour le faire ?- Non.- Quelqu'un te paie pour le faire ?- Non.- Si tu continues sur cette voie-là, j'ai bien peur que tu deviennes ce qu'on appelle dans la famille des artistes, un écrivain ou un poète, Idriss. Mais ne loupe pas ta récré, les artistes ont aussi besoin de pauses. Go ! -
Vous avez dit éco-anxiété ?
La chroniqueuse de France Culture s’extasia sur la conscientisation politique et écologique de cette génération Z + qui se battait tous les jours pour l’avenir de la planète, mue par un syndrome d’éco-anxiété symptomatique des 15-20 ans. Et, la chroniqueuse de France Culture tout émue par ce combat altruiste, oublia de parler des jeunes de la même tranche d’âge mus, eux, par un syndrome d’anxiété tout court lié non pas au sort de la planète ou à une vision prospective des cinquante prochaines années mais à leurs conditions de vie présente et aux perspectives d’avenir qui leur étaient offertes par la société actuelle.Ce n’était pas que les jeunes de la deuxième catégorie n’en eussent rien à cirer du réchauffement climatique et de l’agonie de la terre et des hommes, mais tenter de sauver leur peau et ne pas sombrer dans la dépression chronique leur prenait déjà beaucoup de temps et d’énergie au quotidien.On leur répétait qu’ils avaient mangé leur pain blanc et qu’ils se devaient de devenir éco-responsable. Cool, le chauffage était coupé depuis longtemps. Mais de quel pain blanc pouvait-il s'agir ?Lien permanent Catégories : Characters, Ecole, Enfance & adolescence, Humeurs, Portrait, Réseau social 0 commentaire -
Action ou Vérité
Dès le début, j'ai trouvé ça débile, le jeu Action ou Vérité. Ceux qui choisissaient Action se retrouvaient le plus souvent à devoir embrasser un autre ado du groupe devant tout le monde.Je finissais toujours par m'endormir sur un sofa, shootée au Malibu. Ma copine Céline me donnait un coup de coude de temps en temps : "P...., Judith, réveille-toi ! Y a Nicolas qui embrasse Mariam !" (Nicolas était très beau et Mariam, tout le monde l'appelait Smarties tellement elle avait des boutons d'acné...). Nul, je vous dis.Mais c'est sûrement là que j'ai commencé à inventer des histoires pour sauver ma peau : je choisissais toujours Vérité et je racontais n'importe quoi. N'importe quoi mais pas n'importe comment.Oui, c'est là que tout a commencé. -
Les âges
Nous essaierons de voir nos enfants dans tous les âges de leur vie.En l’adolescent rebelle, le vieillard déjà là, avec son beau visage fané et ses cheveux blancs.Dans le jeune adulte un peu perdu, le bébé qu’il a été, couché contre notre sein au moment de la sieste commune.Ainsi, nous le verrons aujourd’hui comme il était hier, fragile petite créature, et comme nous l’imaginons demain, avec ou sans nous à ses côtés, en homme, en femme, arrivés au bout d’une vie qui ne se limite pas aux peurs et aux éclats du jour. -
Le prince trisomique
François est un adolescent roux, trapu et trisomique. Il a deux ou trois ans de plus que moi. Chaque fois que j’arrive chez lui accompagnée de ma tante Denise et de mon oncle Jean qui sont les voisins de ferme de ses parents, sa mère crie au seuil de la porte : François, ta petite fiancée est là ! et tous les adultes rient. Il arrive en courant et en battant des mains et se précipite sur moi pour embrasser mes deux joues en maintenant fermement mes épaules. Comme il passe son temps à sucer des friandises, ses baisers sont humides et collants. Sa mère lui plante sans répit sucettes, sucres d’orge et bonbons dans la bouche comme si l’arrêt du gavage pouvait lui être fatal. Même quand je frotte ma peau avec ma main, ça ne part pas. Même dans la salle de bain avec de l’eau et du savon, ça reste. Je suis tatouée au sucre jusqu’au coucher. Un jour, il m’embrasse sur la bouche et tout le monde s’en amuse. Du coup, il recommence en me saisissant les épaules avec son enthousiasme brutal. Il applique sa grosse bouche molle couverte de salive sucrée sur mes lèvres. Je n’ose rien dire parce qu’il est « mongolien » et « qu’il n’est pas méchant ». Après, on reste à table pendant une heure, c’est l’heure du goûter. A François et à moi, on sert du sirop de menthe dans de l’eau. Beaucoup de sirop, peu d’eau. Les adultes boivent des liqueurs d’eau de vie ou du calvados. Je n’aime pas la menthe à l’eau mais je n’ose rien dire « parce qu’on est invités ». La mélodie du Big Ben annonce chaque nouveau quart d’heure, la boite en métal avec la photographie du Mont Saint-Michel sur laquelle est inscrite « Galettes bretonnes » est toujours la même et semble sans fond, la table cirée à carreaux rouges et blancs colle sous mes mains. Dans cette maison tout suinte. J’ai l’impression qu’au moment du départ mes fesses vont rester attachées à la chaise, retenues par des filaments de sucre. Les poignées de porte, la chasse d’eau, les murs, les rideaux, chaque objet est un piège sucré comme celui qui tombe en spirale au-dessus de la table et sur lequel viennent agoniser les mouches. C’est une maison Hansel et Gretel. Je m’imagine séquestrée dans la grange familiale par la Reine du Sucre m’obligeant à ingurgiter à toutes les heures du jour et de la nuit, gâteaux, sorbets et morceaux de sucre Candy. Le Prince trisomique essaie de me délivrer par toutes sortes de stratagèmes mais sa mère finit par l’enchaîner à la grande poutre centrale et le badigeonne de sirop de menthe que de grosses mouches noires viennent lécher de leurs trompes. Pendant ce temps-là, les grands parlent des bêtes, du foin, des gens du hameaux et du temps qu’il fait. Il y a toujours un moment où François insiste pour me montrer sa chambre mais je refuse en prétextant que je n’ai pas fini mes biscuits et ma menthe à l’eau. « Il ne va pas te manger » dit sa mère. Elle a presque l’air fâchée.
Un jour, j’arrête d’aller chez les Morlin car je déménage à Lyon et que je ne vais plus en vacances chez ma tante Denise. Lors de notre dernière visite, je ne peux pas dire au revoir à François car il est puni dans sa chambre pour avoir mis le feu à la grange familiale. J’embrasse mon Prince trisomique de loin.
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N.T.M. à l'éventail
- Vous écoutez du rap, madame ?
- Oh, vous savez, moi je suis de la génération N.T.M...
- Je connais !
- Ça veut dire quoi N.T.M, madame ?
- NIQUE TA MÈRE, Malik.
- Ouahahaha ! Elle t'a dit "Nique ta mère" !
- Je savais c'était quoi. C'était pour vous l'entendre dire.
- Et quel est l'effet sur l'auditeur, Malik ?
- Bizarre. Ça va pas trop avec votre éventail... -
Clémentine et Banane
Clémentine, assistante d’éducation (terminologie qui a pris le relai de « pionne » dans les années 2000) a créé un atelier d’ « éducation au féminisme et à la sexualité » dans un lycée professionnel du bâtiment et des TP de la banlieue lyonnaise.
12h30, salle du foyer. Des élèves autour de plusieurs tables en U : Cynthia, Marion et trois autres adolescentes.
Cynthia
Hé ! Clémentine, ça va ça, comme slogan ?
ME TOUCHE PAS PELO OU JE TE DEFONCE LE CERVO
Clémentine
Oui, c’est bien Cynthia, pas mal… Peut-être un peu agressif…
Cynthia
Quoi agressif ? T’as dit que les mecs y z’ont pas le droit de nous toucher sans qu’on soit d’accord, le message il est clair là, non ? Le premier qui me touche, je lui dézingue sa mère.
Les trois filles en chœur
Ouais, les Cailleras ! JEAN-JO en force !
Clémentine
Oui, bon, les filles, calmez-vous. Il faut qu’on avance. Vous n’avez fait que deux affiches, ça fait deux semaines qu’on est dessus, il faut qu’on soit prêtes pour le 8 mars… Marion, tu me laisses lire ta proposition ? … (Marion tend sa feuille Canson, Clémentine lit) « Les garçons et les filles, main dans la main à Jean Jaurès »…
Cynthia
« main dans la main » ? T’es dingue toi ? T’as entendu ce qu’on a dit la dernière fois à l’atelier ? On fait des slogans pour que les gars ils comprennent que notre corps y z’y ont pas accès, c’est NON ; et toi, tu veux qu’ils nous tiennent la main ? T’es à la ramasse comme d’habitude !
Clémentine
Cynthia, Marion a le droit de s’exprimer. Son message est une invitation à la pacification des relations entre garçons et filles. C’est ça, Marion ?
Marion
Oui, c’est ça… Dis, Clem, Je peux te dire quelque chose ? Ça me gêne des fois ce qui se dit dans l’atelier, ce qui s’y passe…
Clémentine
Tu veux dire que parler de sexualité te gêne, c’est ça ? Tu penses que ce qui a trait à la sexualité est tabou… sale ?
Cynthia
Ouais, c’est dég le sexe, grave !
Clémentine
Cynthia, c’est pas à toi que je m’adresse.
Marion
Non, non ; c’est pas du tout ça. A la maison on parle de tout ça, j’ai pas de problème avec ça, au contraire, je participe à cet atelier parce que je sais que tout le monde n’a pas cette ouverture et que c’est la source de beaucoup de malentendus entre garçons et filles justement. C’est bien que cette action ait lieu dans un lycée du bâtiment où les filles sont minoritaires.
Cynthia
Allez, vas-y, elle refait son intelligente et blablablabla… C’est bon, dégage avec tes grands mots…
Clémentine
Tu n’es pas choquée alors ?
Marion
Non, pas du tout. Je voulais te parler de l’action que tu as proposée la semaine dernière… que tu as appelée : « Commando Banane ».
Cynthia
C’est quoi ça ? J’étais pas là, Clémentine ! Clémentine-Banane, haha, la vie de ma mère, morte de rire les gars ! (rire des trois filles)
Clémentine
Alors, oui, pour les absentes, je rappelle : des filles m’ont rapporté que quand elles mangent des bananes à la cantine, des garçons font des gestes déplacés. Du coup, elles n’osent plus en manger.
Cynthia
Quels gestes ?
Clémentine
Ben, vous savez, des gestes avec une banane dans la bouche… comme ça…
Cynthia
Des gestes de grosses pipes, quoi !
Clémentine
Oui, voilà des gestes mimant une fellation.
Cynthia
Sales chiens ! Le mec qui me fait ça, je le défonce à coup de plateau cantine.
Clémentine
Oui, donc… je proposais que le 8 mars, lors de notre journée de sensibilisation au respect des filles et des femmes dans la société, les filles prennent toutes des bananes à la cantine et les mangent bien en évidence devant les garçons en disant : humm, c’est bon les bananes, j’aime manger des bananes en prenant le temps de les déguster longuement devant eux. Comme un message, vous comprenez, une réappropriation du fruit et du plaisir qu’une fille peut avoir à le manger sans arrière-pensée. Quelque chose te gêne là-dedans, Marion ?
Marion
Tu ne trouves pas que c’est une provocation un peu… puérile ?
Cynthia
Putain, mais dis des mots qu’on comprend !
Clémentine
Puérile… Que veux-tu dire par là, Marion ?
Cynthia
Tu vois, même Clem, elle comprend pas quand tu parles.
Marion
Je veux dire que ça n’aura pour effet que de rendre les garçons plus agressifs, non ? Ils vont se sentir mal et vont réagir violemment. Et puis, tous les garçons à la cantine ne se conduisent pas comme ça, on met tout le monde dans le même panier, ça risque de gêner ceux qui n’y sont pour rien… Enfin, je sais pas, je trouve que c’est pas une bonne idée…
Clémentine
Décidément, Marion, aucune de mes idées ne te plait, c’est comme ça depuis le début. Tu rechignes à tout. Tu penses qu’on peut faire évoluer les mentalités avec des slogans tout mous comme les tiens ? « main dans la main ». Cynthia a raison, ça manque de… poigne !
Cynthia
Ça manque de couilles ! Clem, passe-moi une banane, je vais lui montrer comment on fait sa chaude … hummmm ouiiii… BANANAAAAA !
(rire des trois filles)
Marion
C’est comme les badges…
Clémentine
Quoi ? Les badges maintenant. Ils ne te plaisent pas non plus ?
Marion
Je ne me vois pas porter un badge sur lequel est inscrit en gros JE SUIS UNE PUTE.
Clémentine
Et pourquoi donc ?
Marion
Je comprends bien que tu veux reprendre les phrases que les filles entendent de la bouche des garçons, jouer sur l’effet miroir, mais je pense que ce sera contre-productif au lycée.
Clémentine
Tu prends les autres pour des imbéciles en fait, Marion ? Tu penses que toi seule es apte à comprendre l’ironie, le second degré, l’humour mais que les autres sont des truffes, c’est ça ?
Marion
Je crois que je vais quitter le projet, en fait, Clémentine. C’est pas contre toi, hein, tu fais ce que tu peux mais…
Clémentine
Je fais ce que je peux ?! Non, mais tu t’entends petite sainte nitouche ? Je suis en master de sociologie, je suis en train de rédiger un mémoire sur les discriminations genrées dans les sociétés occidentales et tu viens me donner des leçons de pédagogie ?!
Marion
Non, pas du tout… je…
Clémentine
Très bien, vas-y, la porte est grande ouverte.
Cynthia
Ouais, dégage, l’intello ! Va sucer les CAP maçons !
Clémentine
CYNTIA ! SHUT UP !
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Du Bien et du Mal
Arrête avec ce pain tu vas faire mourir les canardsdit la maman à l’enfant qui apprend à six ansqu’on peut faire mal en pensant faire bienet se demande dans l’instantsi du coup on peut aussifaire bien en pensant faire malpensées en ricochet sur l'eau du lac. -
APPRENDRE AUX GARCONS A BIEN SE TENIR
Bérénice lut le titre de l’article : Au collège de Vermenton, interdiction de porter des shorts, ou jupes et bermudas au-dessus du genou, puis la légende de la photo : « Pour certains enseignants, ce sont les filles qui sont stigmatisées, AU LIEU D’APPRENDRE AUX GARÇONS A BIEN SE TENIR ». Elle était tout à fait d’accord avec cette assertion qui cependant n’allait pas assez loin dans son projet pédagogique.
Elle se demandait depuis un moment déjà s’il n’était pas temps de créer des centres de rééducation en vue de désexualiser tous ces petits obsédés qui passaient leur temps à vouloir violer les filles dans les cours de récréation dès l’âge de 10 ans (cela commençait par des nattes tirées mais on savait comment cela se terminait quelques années plus tard). Si on les prenait bien assez jeunes, il était certainement possible d’obtenir des résultats probants. Pour cela, on pourrait s’inspirer du dispositif de conversion proposé dans le film Orange Mécanique. Faire défiler pendant des heures des images de filles en mini-jupes, shorts moulants et décolletés tout en injectant dans les veines des ados mâles un sérum toxique qui les rendrait physiquement malades au point d’être pris de nausée plus tard à la vue de la moindre jeune fille qui se présenterait à eux, lui semblait une idée pertinente. Ainsi, les jeunes filles pourraient poursuivre leurs études en toute quiétude - en bikini même si elles le désiraient - sans être inquiétées ou agressées par leurs petits camarades. Il faudrait juste prévoir dans chaque classe un agent de service délégué au seau et à la serpillère afin de prévenir les éventuelles glissades sur les inévitables traces de vomi qui parsèmeraient les salles de cours. Du moins, dans les premiers temps de l’expérience, puisqu’ensuite les élèves seraient naturellement amenés à se concentrer sur le professeur et le tableau blanc pour ne plus avoir à subir les affreuses crises de haut-le-cœur. Boucle, bouclée. Petits pervers bien attrapés.
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défonce
La mère donne une fessée à la petite fille pour lui apprendre à ne pas courir vers les voitures.- La prochaine fois que tu vas sur la route, je te défonce.Au cas où elle n’aurait pas compris.Combien d’années avant que la petite fille ait envie de défoncer sa mère ?Combien d’année avant qu’elle ait envie de se défoncer toute seule ? -
adolescence
Ce matin à Mèze, j'ai pensé à toi, Céline. Des adolescentes s'étaient extraites de leurs lits à l'aube pour faire des photos devant la colline de Sète et le soleil levant. Elles avaient préparé différentes tenues et en changeaient pour accompagner les teintes fluctuantes de l'étang de Thau et du ciel. Plus tard, à côté de leurs vélos sur la plage, elles ont étendu une petite nappe, y ont posé du pain, un thermos de café et des tasses puis elles ont contemplé l'horizon sans rien dire. Ou peut-être que si, elles se sont raconté des histoires de garçons et des secrets avec goutte de sang.
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La maman étanche
7h10, ligne A, bébé dans sa poussette lève les yeux vers maman, son bonnet, ses écouteurs, son smartphone, son écharpe, son masque. C’est bon, il reste encore les yeux.Ah non, ils sont fermés. -
les garçons
Les garçons aussi ont besoin de nousles garçons ont besoin de nousau même titre que les fillesles garçons ont besoinvraiment besoinils ne sont pas plus fortsils ne sont pas plus sûrsils ne sont pas plus solidesnonpas plus robustesl’élève écrit« à chaque fois que je la voisje recule d’un paselle sourit quand elle me voitpourtant j'ai peur d’elleje recule d’un pas, vite »les garçons ont peurde ne pas être à la hauteurles garçons disent des bêtisessur les fillesparce qu’ils n’y comprennentpas grand-chosesouvent rienles garçons ont besoin de nousils ne sont pas moins fragilesils ne sont pas moins vulnérablesles garçons aussiont besoind’être pris dans nos brasconsolésprotégésd’eux-mêmes parfoissi on veut éviter la catastrophela grande catastrophedutrop tardLien permanent Catégories : Characters, Ecole, Enfance & adolescence, Portrait, Réseau social 0 commentaire -
Les grandes personnes
Quand j’étais enfant, j’ai rencontré combien d’adultes ? Je ne sais pas. Deux… trois peut-être. Les autres étaient de grandes personnes, c’est-à-dire qu’elles étaient plus grandes que moi en taille c’est certain (oui, moi aussi j’ai été petite un jour), mais pour le reste elles n’avaient pas l’air d’en mener plus large. Plutôt moins peut-être.Les plus perdues de ces créatures étaient cependant celles qui s’efforçaient à prouver au monde qu’elles avaient compris.Quoi ?Tout.Les gens, l’Art et la Littérature, la bourse, l’amour, la géopolitique, l’argent, les noms en -isme, la Vie, le Sens, le tour de main pour la mayonnaise. Tout.Elles parlaient fort et gesticulaient beaucoup.Les adultes, eux, se contentaient de m’écouter puis me regardaient dans les yeux et disaient :Qui sait ?Viens, on va regarder pousser un radis. -
manège
Je demande au vigile d'Auchan
s'il n'a jamais rêvé de monter sur ce manège placé là à l'entrée de la galerie marchande
quand il est à l'arrêt
au moment de la dernière ronde de surveillance
quand toutes les lumières de la grande surface s'éteignent les unes après les autres
s'il aurait plutôt choisi le cheval la voiture le carrosse ou le lapin quand il était enfant
et aujourd'hui serait-ce le Mickey rieur ou le Donald grognon
mais il m'enjoint poliment de descendre de la moto
et me dit qu'il est temps de rentrer chez moi
car la nuit est tombée depuis longtemps -
Enfant, il détestait les automates
Enfant, il détestait les automates, ces petits personnages au regard fixe en proie à des gestes mécaniques grotesques quand sa mère les remontait à l’aide de la petite clé fixée dans leur dos. Elle applaudissait des deux mains tandis que les petits jouets se dandinaient stupidement devant lui avec un bruit métallique.
Puis ils rencontraient toujours un obstacle qu’ils n’étaient même pas capables d’éviter et contre lequel ils venaient buter à plusieurs reprises jusqu’à l’arrêt complet du mécanisme. Bref, de petits engins stupides et froids qui provoquaient déjà en lui un malaise qui ne s'était jamais démenti.
Plus tard, la plupart de ses contemporains ne lui semblaient pas plus vivants que ces joujoux d’antan. Comme eux, ils fonçaient inlassablement contre les mêmes murs mais les plaintes et les jérémiades qui accompagnaient cet état de stagnation les rendaient, à ses yeux, encore plus insupportables que les joujoux de son enfance.
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rentrée masquée
Jour de pré-rentrée, les élèves voient défiler des visages masqués qui se présentent à eux.
Quels vont être leurs nouveaux repères pour reconnaitre leurs professeurs les premiers jours de lycée ? La couleur des yeux, la monture des lunettes, la coupe de cheveux, la taille, la carrure, la démarche, la forme des fesses ?France 3 vient coller sa caméra sur ma joue gauche au moment où je souhaite bon courage et bonne rentrée à une assemblée silencieuse de trognes cachées sous des tissus.
Les masques n'empêchent cependant pas les adolescents de replacer leur mèche et de jouer du mascara dans la vitre de la ligne D du métro. Les gestes essentiels sont toujours là. L'humanité ne touche pas encore complètement à sa fin.
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la consolation
Avant chaque cuillerée de glace au chocolat portée à sa bouche, l’un de ses parents insulte l’autre. C’est une mécanique bien huilée. Une insulte, une cuillère. Comme une compensation immédiate à la douleur.
La petite fille ralentit son geste, fixe la boule qui va bien finir par ne plus exister, qui ne ressemble déjà plus à une boule, qui déjà a presque disparu, avec cette question – que je peux lire sur son visage intranquille et grave – le dernier morceau de glace signera-t-il la fin de la dispute ou celle de la petite consolation ?
Photographie : Tish Murtha
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Patriarcat blanc
La petite est remontée comme un coucou. Elle a préparé son seau de colle, ses affiches et ses pinceaux pour faire connaitre aux murs croix-roussiens sa révolte contre le patriarcat blanc. Elle déborde d’énergie, toute pimpante dans son short en jean et son débardeur sans soutien-gorge. Sa maman, Cyrille, ressert du thé au jasmin à l’amie venue en visite tandis que son papa, Thomas, demande où est passé le fer à repasser qui n’est plus dans la buanderie. « Dans ton cul ! » répondent en chœur la mère et la fille. L’amie reprend, enjouée, une madeleine au chocolat : Thomas est vraiment le champion indétrônable de la pâtisserie maison.
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Jambon et 4 L
J’ai toujours connu Maurice Crampon dans sa salopette en jean, la même que celle de Coluche ; il était petit, râblé, menuisier et communiste et quand il nous gardait après l’école, c’est devant la charcuterie qu’il garait la voiture à l’heure du goûter. Bougez pas les filles, je reviens ! Stéphanie et moi mangions les tranches de jambon géantes avec les doigts à même le papier gras, enfoncées dans les coussins arrière de la 4 L.
Maurice sur la route qui nous conduisait à la Mare Rouge chantait à tue-tête des chants révolutionnaires, Gitane sans filtre au bec, toutes fenêtres ouvertes. Son grand jeu pour nous faire rire était de tourner rapidement le volant de gauche à droite pour faire des secousses qui nous envoyaient valdinguer d’un bout à l’autre des sièges parce qu’on n’avait pas de ceinture de sécurité. On essuyait nos mains grasses sur nos vêtements et sur le tissu de la banquette arrière en braillant le refrain du Chiffon rouge, la fumée de cigarette finissait par former un épais brouillard dans l’habitacle. Souvent à l’arrivée je vomissais, juste avant de m'élancer vers le plus grand toboggan du monde.
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Quentin
Quentin, 16 ans, sait bien que les règles sont rouges et non bleues comme dans la pub, mais il est quand même un peu troublé de les découvrir sur la serviette périodique de son amoureuse lors du premier rapport sexuel. Il sait aussi que le clitoris est un organe essentiel du plaisir féminin (il a observé des schémas en coupe très détaillés), il se concentre donc pour l’atteindre et l’exciter avec application car il a conscience des ramifications nerveuses internes qui sont censées amener son amie à l’orgasme. Il s’applique à une caresse buccale car il sait que la variété des stimuli contribue à la montée du plaisir mais prend également soin de laisser sa partenaire prendre des initiatives car il veut que l’acte d’amour se déroule sur un plan d’égalité : les femmes ne sont pas des objets sexuels à manipuler comme des pantins dociles.
Malgré toute sa bonne volonté et les heures passées à écouter des émissions de radio féministes consacrées au plaisir féminin, Quentin se fait engueuler par Coralie car « il n’est pas à ce qu’il fait » et que « c’était mieux avec Joris qui, sait, lui, ce que c’est, une femme ».
Quentin passe sa langue sur le coin de sa bouche qui a le goût métallique du sang menstruel.Tableau : Marie Vinouse
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Le baobab merveilleux
A sept ans, je rencontre pour la première fois ma grand-tante Lydia, sœur de ma grand-mère Iole que je n’ai pas connue puisqu’elle morte de la tuberculose quand ma mère avait douze ans. Comme je lui dis que je suis en CE1, elle m’explique qu’elle ne sait pas lire, qu’elle n’a jamais pu apprendre parce qu’elle n’est pas allée à l’école et qu’elle a dû travailler tôt. Les adultes présents acquiescent. Je me sens prise d’une grande compassion pour le sort de cette femme qui, voyant mon désarroi, me demande si je serais d’accord pour lui apprendre à lire. Le cercle familial s’exclame que c’est une bonne idée. Me voilà investie d’une mission qui m’enthousiasme autant qu’elle m’inquiète. Comment vais-je m’y prendre pour apprendre à lire à une adulte ? Je suis moi-même en cours d’apprentissage et même si je me saisis avec empressement de tous les livres qui me tombent sous la main à la maison, je n’ai jamais songé à ce que pouvait être la transmission de ce savoir-faire. Je dois imaginer une stratégie didactique pour être à la hauteur du défi qui m’est offert. J’élabore rapidement un plan de leçon et choisis un support textuel que je connais bien puisqu’il s’agit de l’album que je suis en train de lire et dont je ne me sépare pas, un conte africain intitulé Le baobab merveilleux.« Tout le monde est surpris. Tout le monde est ébahi : les femmes et les enfants, les parents et les petits-enfants, les frères et les sœurs, les oncles et les tantes, les beaux-frères et les belles-sœurs, les nièces et les neveux, les cousins et les cousines. Enfin toute la famille. Et même un arrière-arrière-petit-cousin.Petit lièvre distribue toute la nourriture : les viandes, les sauces, les légumes, les desserts, les boissons.Il distribue tout. »Je suis du doigt les lignes du livre, je m’arrête sur les mots que je syllabise comme j’ai vu faire la maîtresse. Mon élève est très attentive et plutôt douée. Elle apprend vite. Quand elle bute sur un mot, je l’aide sans la brusquer. Je mets toute mon énergie à la guider patiemment, je l’encourage, je prends le relai quand c’est trop difficile en lui disant que ce n’est pas grave et qu’on verra ça plus tard.Je passe ainsi une heure à apprendre à lire à Lydia sous le regard amusé de la tribu familiale. Elle me remercie chaleureusement à la fin de la leçon. Je suis aussi fière de ses progrès rapides que de moi-même.Oui, je suis très fière d’avoir été capable de relever cette gageure et d’avoir permis à cette femme d’avoir accès au plaisir de découvrir des histoires, de s’allonger sur son lit avec un livre et de laisser ses rêves se peupler des personnages rencontrés dans les pages parcourues à la veillée. Cette victoire sur moi-même me permet aussi de m’approprier une noble place au sein du clan familial.Je ne sais plus comment et par qui j’apprends le jour-même que Lydia est en fait institutrice depuis plus de trente ans.La nouvelle de la mystification concertée agit comme un séisme intérieur, un ébranlement de toutes mes fondations. Les rires m'arrivent de très loin. Je suis pénétrée de honte.Puis, chacun retourne à ses occupations.Ce soir-là, « Toute la famille mange bien et s’endort le ventre plein. Même l’arrière-arrière-petit-cousin. » -
happy family
La mère porte un casque relié à un smartphone qu'elle regarde sans lever la tête. L'enfant fouette le téléphone de sa mère avec sa lanière de sac à dos. La mère ne lève pas la tête. Elle fait défiler des images. Sur une vidéo, une femme échevelée hurle dans un manège à sensations. La mère rit et repasse plusieurs fois le film. Le garçon continue de fouetter le téléphone avec sa lanière de sac à dos. Elle ne lève pas le visage vers lui, elle fait défiler les images, elle rit avec les images, elle envoie un texto avec des émoticônes et les lettres MDR. Elle ne quitte pas l'écran des yeux. Il flagelle encore et encore le téléphone dans un rythme régulier sans jamais croiser son regard jusqu'à ce qu'elle lève enfin la tête vers lui :
- T'es vraiment chiant.
-
Chab le renard
Chab le renard !
s'exclame l'élève
en cours d'E.P.S.
au parc de Parilly
en voyant
grimper
le long d'un tronc
d'arbre
(est-ce un chêne ?
est-ce un platane ?)
un joli
écureuil. -
Dans le smartphone
L'enfant de quinze mois pleure
la mère le prend en photo
l'enfant pleure
sur une plage d’Hyères
la mère le prend en photo
devant la mer
clic
il pleure
clic
il pleure
clic
il pleure
il tend les bras
clic
il appelle maman
clic
clic
j'écris clic
mais les smartphones ne font pas de bruit
ils ne prennent pas non plus les enfants dans les bras
ils prennent des photos
d'enfants qui pleurent devant la mer
parce que la mer verte
les cheveux blonds
et le ciel pastel
c'est joli en photo
dans le smartphone
l’enfant est sans doute heureux aussi
quelque part
dans le smartphone
il mange sa première glace
il regarde un pigeon
il applaudit
il rit
dans le smartphone
de sa mère.Lien permanent Catégories : Characters, Enfance & adolescence, Portrait, Réseau social 0 commentaire -
Pickled egg
Juillet 1989, pour Hervé, a un goût d’œuf au vinaigre. Il couche pour la première fois avec une fille. Elle ressemble à la chanteuse des Bangles. Elle s’appelle Rosemary. C’est l’année de Eternal Flame. Il avait imaginé ça autrement. Le lendemain au pub elle ne lui adresse pas la parole, elle rit avec ses copines - qui ressemblent aux autres Bangles - et elle passe la soirée à jouer aux fléchettes avec un allemand à la tête rouge qui porte un t-shirt Gun’s and Roses.
La veille, sur une plage de Broadstairs, ils ont mangé des pickled eggs et du fish & chips à même le papier graisseux avec les doigts. Rosemary lui a fait lécher ses phalanges qui ont un goût de poisson pané et de vernis à ongle. Puis, plus tard, l’amour sur une couverture impression cachemire sous des posters de stars du hit-parade. Elle le guide, un peu énervée, comme quelqu’un qui apprendrait à conduire à un novice en lui indiquant sans patience les panneaux de direction et les sens interdits. Elle l’engueule quand il loupe un embranchement, elle rit au moment où il réussit une manœuvre. A la fin, il ne sait plus s’il fait bien ou mal. Sa maitrise de l’anglais n’est pas encore très fluide. Il ne sait pas non plus si elle a joui. Elle se rhabille prestement en disant que ses parents vont rentrer, du moins, c’est ce qu’il comprend. De dos, devant la fenêtre tandis qu’elle rattache à la va-vite son soutien-gorge, elle lui paraît si petite, si frêle... Une fée Clochette sous speed.