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Chacun de nous se désennuie comme il peut. Lui en collectionnant des boutons de manchette, elle en rédigeant une thèse sur les éléments linguistiques de la cohérence textuelle, lui en photographiant des graines germées, elle en écrivant des poèmes sur la mort. Les hommes et les femmes préhistoriques eux-mêmes, une fois accomplis les gestes vitaux, s’adonnaient à des pratiques diverses pour chasser le cafard : art pariétal, fabrication de percussions, chant et flute, collection d’os et de griffes de smilodon. L’ennui n’est donc pas un problème en soi. Le hic, depuis les origines, vient du côté de ceux qui pour se désennuyer cherchent querelle à leur voisin. Ils sont nombreux. Mais pires encore sont ceux qui nous assomment de leurs fats discours.
A ceux-là, nous avons envie de dire, avec la Marquise du Deffand : Mes chers, « contentez-vous de vous ennuyer, abstenez-vous d'ennuyer les autres ». L’une des paroles les plus sages jamais prononcées sur cette terre et que feraient bien de méditer nombre de nos contemporains.
L’homme se dévisse la tête pour regarder la fille assise derrière sa femme, son cou s’allonge comme le corps de Zébulon dans le manège enchanté, penche en alternance à droite à gauche, pour voir la fille dans le dos de sa femme. L’homme se fout de ce que la femme raconte et elle se fout de ne pas être écoutée, elle continue de produire une logorrhée sans fin, les mots accrochés les uns aux autres, sans pause, sans attente de réponse ou d’assentiment. Le cou de l’homme s’étire tant et si bien qu’il va finir par s’enrouler autour du corps des clients du café qui passent à côté de la table, la femme continue de parler, l’homme continue de ne pas écouter, une absence mutuelle à l’autre vécue sans drame, une habitude de vie commune solitaire, deux corps juxtaposés comme deux phrases sans lien logique.
La fille quitte le bar, le cou de l’homme reprend une forme normale, il est surpris de se retrouver devant sa femme qu’il avait oubliée :
- Tu m’as posé une question ?
- Non.
Photo d'une oeuvre de Céline Cléron
- Chérie ! Qu’est-ce que c’est que cette horreur ?
- Quelle horreur ?
- Ça !
- Ah, ça ! Un être humain empaillé. Foxine Renard en a acheté un la semaine dernière. Je l’ai vu lors de notre réunion des Carnassières Libertaires. Un superbe ouvrage. Elle a choisi une femelle européenne. Pour l’anniversaire de son aîné.
- Tu parles d’un cadeau… Et nous, on a quoi là ?
- Un mâle asiatique. J’ai longtemps hésité, mais j’ai pensé que celui-là irait bien à côté de la cheminée. Tu vois, à côté de la griffe de ton grand-père.
- Mais, ça va faire peur aux enfants !
- Tu rigoles ? Au contraire, les enfants vont A-DO-RER. D’ailleurs, je pensais organiser une sortie pédagogique chez un taxidermiste pour les petits quadrupèdes de la forêt.
- Hein ?
- Ils verront toutes les étapes, de la conservation à l’empaillage. Et c’est en lien direct avec le cours de Cycle 3 sur Les domaines naturels & Les domaines techniques.
- C’est encore une idée de la folle Renard, ça ?
- Et voilà ! Tu détestes mes copines !
- La semaine dernière, c’était quoi ? De la peau d’humain en guise de descente de lit !
- C’est distingué.
- Tu parles ! C’est moche, c’est lisse, ça glisse et c’est froid. Y a même pas de poils !
- C’est pas de leur faute, aux humains…
- Mais, eux, quand ils achètent notre fourrure, c’est parce que c’est doux et chaud et beau ! Tu comprends le concept ?
- Pfff, ce que tu es vieux jeu… Les concepts, c’est fait pour être bousculé !
- Je te jure que si tu me ramènes une tête décorative pour noël, je demande le divorce.
- Justement, je voulais te…
- JE M’EN VAIS !
- Nounours... Reviens ! NOUNOURS !!
Photo : Elise Mansot
Un ridicule qui traverse les âges : la posture (l'imposture) de la profondeur. Dans les domaines de l’art, de la poésie, de la littérature ou de la spiritualité.
Le choix de la posture de la superficialité m’est toujours apparue plus noble et surtout moins décevante quand finit par se révéler la supercherie.
Clémentine, assistante d’éducation (terminologie qui a pris le relai de « pionne » dans les années 2000) a créé un atelier d’ « éducation au féminisme et à la sexualité » dans un lycée professionnel du bâtiment et des TP de la banlieue lyonnaise.
12h30, salle du foyer. Des élèves autour de plusieurs tables en U : Cynthia, Marion et trois autres adolescentes.
Cynthia
Hé ! Clémentine, ça va ça, comme slogan ?
ME TOUCHE PAS PELO OU JE TE DEFONCE LE CERVO
Clémentine
Oui, c’est bien Cynthia, pas mal… Peut-être un peu agressif…
Cynthia
Quoi agressif ? T’as dit que les mecs y z’ont pas le droit de nous toucher sans qu’on soit d’accord, le message il est clair là, non ? Le premier qui me touche, je lui dézingue sa mère.
Les trois filles en chœur
Ouais, les Cailleras ! JEAN-JO en force !
Clémentine
Oui, bon, les filles, calmez-vous. Il faut qu’on avance. Vous n’avez fait que deux affiches, ça fait deux semaines qu’on est dessus, il faut qu’on soit prêtes pour le 8 mars… Marion, tu me laisses lire ta proposition ? … (Marion tend sa feuille Canson, Clémentine lit) « Les garçons et les filles, main dans la main à Jean Jaurès »…
Cynthia
« main dans la main » ? T’es dingue toi ? T’as entendu ce qu’on a dit la dernière fois à l’atelier ? On fait des slogans pour que les gars ils comprennent que notre corps y z’y ont pas accès, c’est NON ; et toi, tu veux qu’ils nous tiennent la main ? T’es à la ramasse comme d’habitude !
Clémentine
Cynthia, Marion a le droit de s’exprimer. Son message est une invitation à la pacification des relations entre garçons et filles. C’est ça, Marion ?
Marion
Oui, c’est ça… Dis, Clem, Je peux te dire quelque chose ? Ça me gêne des fois ce qui se dit dans l’atelier, ce qui s’y passe…
Clémentine
Tu veux dire que parler de sexualité te gêne, c’est ça ? Tu penses que ce qui a trait à la sexualité est tabou… sale ?
Cynthia
Ouais, c’est dég le sexe, grave !
Clémentine
Cynthia, c’est pas à toi que je m’adresse.
Marion
Non, non ; c’est pas du tout ça. A la maison on parle de tout ça, j’ai pas de problème avec ça, au contraire, je participe à cet atelier parce que je sais que tout le monde n’a pas cette ouverture et que c’est la source de beaucoup de malentendus entre garçons et filles justement. C’est bien que cette action ait lieu dans un lycée du bâtiment où les filles sont minoritaires.
Cynthia
Allez, vas-y, elle refait son intelligente et blablablabla… C’est bon, dégage avec tes grands mots…
Clémentine
Tu n’es pas choquée alors ?
Marion
Non, pas du tout. Je voulais te parler de l’action que tu as proposée la semaine dernière… que tu as appelée : « Commando Banane ».
Cynthia
C’est quoi ça ? J’étais pas là, Clémentine ! Clémentine-Banane, haha, la vie de ma mère, morte de rire les gars ! (rire des trois filles)
Clémentine
Alors, oui, pour les absentes, je rappelle : des filles m’ont rapporté que quand elles mangent des bananes à la cantine, des garçons font des gestes déplacés. Du coup, elles n’osent plus en manger.
Cynthia
Quels gestes ?
Clémentine
Ben, vous savez, des gestes avec une banane dans la bouche… comme ça…
Cynthia
Des gestes de grosses pipes, quoi !
Clémentine
Oui, voilà des gestes mimant une fellation.
Cynthia
Sales chiens ! Le mec qui me fait ça, je le défonce à coup de plateau cantine.
Clémentine
Oui, donc… je proposais que le 8 mars, lors de notre journée de sensibilisation au respect des filles et des femmes dans la société, les filles prennent toutes des bananes à la cantine et les mangent bien en évidence devant les garçons en disant : humm, c’est bon les bananes, j’aime manger des bananes en prenant le temps de les déguster longuement devant eux. Comme un message, vous comprenez, une réappropriation du fruit et du plaisir qu’une fille peut avoir à le manger sans arrière-pensée. Quelque chose te gêne là-dedans, Marion ?
Marion
Tu ne trouves pas que c’est une provocation un peu… puérile ?
Cynthia
Putain, mais dis des mots qu’on comprend !
Clémentine
Puérile… Que veux-tu dire par là, Marion ?
Cynthia
Tu vois, même Clem, elle comprend pas quand tu parles.
Marion
Je veux dire que ça n’aura pour effet que de rendre les garçons plus agressifs, non ? Ils vont se sentir mal et vont réagir violemment. Et puis, tous les garçons à la cantine ne se conduisent pas comme ça, on met tout le monde dans le même panier, ça risque de gêner ceux qui n’y sont pour rien… Enfin, je sais pas, je trouve que c’est pas une bonne idée…
Clémentine
Décidément, Marion, aucune de mes idées ne te plait, c’est comme ça depuis le début. Tu rechignes à tout. Tu penses qu’on peut faire évoluer les mentalités avec des slogans tout mous comme les tiens ? « main dans la main ». Cynthia a raison, ça manque de… poigne !
Cynthia
Ça manque de couilles ! Clem, passe-moi une banane, je vais lui montrer comment on fait sa chaude … hummmm ouiiii… BANANAAAAA !
(rire des trois filles)
Marion
C’est comme les badges…
Clémentine
Quoi ? Les badges maintenant. Ils ne te plaisent pas non plus ?
Marion
Je ne me vois pas porter un badge sur lequel est inscrit en gros JE SUIS UNE PUTE.
Clémentine
Et pourquoi donc ?
Marion
Je comprends bien que tu veux reprendre les phrases que les filles entendent de la bouche des garçons, jouer sur l’effet miroir, mais je pense que ce sera contre-productif au lycée.
Clémentine
Tu prends les autres pour des imbéciles en fait, Marion ? Tu penses que toi seule es apte à comprendre l’ironie, le second degré, l’humour mais que les autres sont des truffes, c’est ça ?
Marion
Je crois que je vais quitter le projet, en fait, Clémentine. C’est pas contre toi, hein, tu fais ce que tu peux mais…
Clémentine
Je fais ce que je peux ?! Non, mais tu t’entends petite sainte nitouche ? Je suis en master de sociologie, je suis en train de rédiger un mémoire sur les discriminations genrées dans les sociétés occidentales et tu viens me donner des leçons de pédagogie ?!
Marion
Non, pas du tout… je…
Clémentine
Très bien, vas-y, la porte est grande ouverte.
Cynthia
Ouais, dégage, l’intello ! Va sucer les CAP maçons !
Clémentine
CYNTIA ! SHUT UP !
Bérénice lut le titre de l’article : Au collège de Vermenton, interdiction de porter des shorts, ou jupes et bermudas au-dessus du genou, puis la légende de la photo : « Pour certains enseignants, ce sont les filles qui sont stigmatisées, AU LIEU D’APPRENDRE AUX GARÇONS A BIEN SE TENIR ». Elle était tout à fait d’accord avec cette assertion qui cependant n’allait pas assez loin dans son projet pédagogique.
Elle se demandait depuis un moment déjà s’il n’était pas temps de créer des centres de rééducation en vue de désexualiser tous ces petits obsédés qui passaient leur temps à vouloir violer les filles dans les cours de récréation dès l’âge de 10 ans (cela commençait par des nattes tirées mais on savait comment cela se terminait quelques années plus tard). Si on les prenait bien assez jeunes, il était certainement possible d’obtenir des résultats probants. Pour cela, on pourrait s’inspirer du dispositif de conversion proposé dans le film Orange Mécanique. Faire défiler pendant des heures des images de filles en mini-jupes, shorts moulants et décolletés tout en injectant dans les veines des ados mâles un sérum toxique qui les rendrait physiquement malades au point d’être pris de nausée plus tard à la vue de la moindre jeune fille qui se présenterait à eux, lui semblait une idée pertinente. Ainsi, les jeunes filles pourraient poursuivre leurs études en toute quiétude - en bikini même si elles le désiraient - sans être inquiétées ou agressées par leurs petits camarades. Il faudrait juste prévoir dans chaque classe un agent de service délégué au seau et à la serpillère afin de prévenir les éventuelles glissades sur les inévitables traces de vomi qui parsèmeraient les salles de cours. Du moins, dans les premiers temps de l’expérience, puisqu’ensuite les élèves seraient naturellement amenés à se concentrer sur le professeur et le tableau blanc pour ne plus avoir à subir les affreuses crises de haut-le-cœur. Boucle, bouclée. Petits pervers bien attrapés.
Le polaroid est à l'appareil photographique ce que la pivoine est à la fleur. Lui seul permet une éclosion soudaine et déjà surannée de l'instant.
Je n’avais pas de credo, je n’étais pas militante, je n’étais pas convaincue, je n’aimais pas les débats d'idées, je n’avais rien à vendre, je n’étais pas particulièrement maligne, ne pas comprendre m’apparaissait plus intéressant que le contraire, je n'avais pas envie de rédiger une thèse, je n’aimais pas beaucoup parler - ni à table ni au téléphone - je faisais des courses au trésor que je ne trouvais jamais, je n’avais pas de réponse, je n’avais aucune imagination, il ne me restait plus qu’une chose à faire : écrire.
Angle mort
malin qui le verra
probable que l’angle mort
est moins mort que toi
bien actif
sur le qui vive
tandis que tu t’assoupis doucement
sur tes certitudes
et que tu butes
bam
contre le même mur
bam
bam
depuis des siècles
petite clé dans ton dos
remontée à ton insu
Casquette, percing, baggy, elle rappelle à l’amie qui est à sa table qu’elle vient d’avoir 40 ans et qu’à son âge on se connait assez pour savoir ce qu’on veut. Elle dit que son ex était vraiment une conne qui voulait restreindre sa liberté d’aller et venir : si j’ai envie de sortir toutes les nuits, personne n’a le droit de m’en empêcher, tu vois c’que j’veux dire ? Elle n’a pas attendu 40 ans pour s’entendre dire ce qu’elle doit faire. Elle est adulte maintenant, elle ne va pas se laisser marcher sur les pieds. Si elle a envie de sortir TOUS LES SOIRS, elle le fait. POINT BARRE.
Une feuille de laitue, un verre de vin rouge.
C’est quoi ces gens qui veulent régir ta vie ? J’ai 40 ans, non ? Si j’ai envie de trainer les bars jusqu’à la fin de ma vie, c’est mon problème. Je suis adulte, oui ou non ?
La copine acquiesce et lui ressert un verre. Ce n’est pas le moment de lui dire qu’elle a un bout de salade coincé entre les incisives.
Car enfin, tout ce qu’ils veulent, c’est en être, tu n’as toujours pas compris ? En être.
Et le faire savoir.
Quant à être, qui s'en soucie ?
Être ?
Pour
Quoi
Valériane ancienne victime devenue bourreau prend très à cœur son nouveau statut et, comme tous ses amis victimes, développe des trésors d’inventivité pour se venger durablement de ses anciens tortionnaires qui, de leur côté, investissent consciencieusement leur nouveau rôle de victimes et en savourent les pleins et les déliés en attendant que leurs petits enfants renversent de nouveau la vapeur et continuent de perpétuer la lancinante danse macabre du bourreau et de la victime fusionnels et complices jusqu’à la nuit des temps.
Réseaux
brouhaha, bavardage, ricanements
je clape l'ordinateur
je jure qu’on ne m’y reprendra plus
je crache trois fois à terre
croix de bois
de fer
etc.
me dédis
deux heures après
etc.
Pendant quelques minutes, je suis le chihuahua de la cagole du Paris-Nice de 17h12. Je cale ma petite tête contre le cou de ma maîtresse, je glisse mon museau dans sa chevelure blond-cendré parfumée au Shalimar et je m’endors en poussant de petits gémissements d’aise.
Bientôt, je fais des rêves de chihuahua. Ma maîtresse s’est assoupie, elle aussi.
Nous ne nous réveillons pas quand le monsieur SNCF chargé de récupérer les ordures du wagon passe devant notre siège.
Ce matin à Mèze, j'ai pensé à toi, Céline. Des adolescentes s'étaient extraites de leurs lits à l'aube pour faire des photos devant la colline de Sète et le soleil levant. Elles avaient préparé différentes tenues et en changeaient pour accompagner les teintes fluctuantes de l'étang de Thau et du ciel. Plus tard, à côté de leurs vélos sur la plage, elles ont étendu une petite nappe, y ont posé du pain, un thermos de café et des tasses puis elles ont contemplé l'horizon sans rien dire. Ou peut-être que si, elles se sont raconté des histoires de garçons et des secrets avec goutte de sang.
Il y a des personnes qui ont l’air très gentilles mais qui sont méchantes. Très méchantes. Oui, méchantes. Grimaçantes derrière le masque affable.
Tandis que des êtres à l’aspect bourru sont parfois très gentils, vraiment. Oui, ils sont gentils, aimables derrière la couche rugueuse.
Certaines gens paraissent très profondes. Profondes vraiment ; et puis, quand on se penche pour sonder la profondeur, oh ! c’est un trompe-l’œil ! On peut toucher la surface du bout des doigts. De profondeur nenni. Un vernis.
D’autres individus semblent si superficiels, juste au niveau zéro des choses. Mais à bien y regarder, leur légèreté est un voile à soulever pour voir le paysage entier. Un vaste et beau paysage aux multiples contrastes.
Et puis quelquefois, pour nous faciliter la tâche, les gens ont juste l’air de ce qu’ils sont.
Quand je dis que je suis née et que j’ai vécu au Havre, on me répond souvent : la ville la plus moche de France ?
Déjà enfant, je ne comprenais pas ce qu’il y avait derrière le mot « moche ».
C’était « ma » ville. Elle n’était donc ni moche ni belle. La question ne pouvait pas se poser en ces termes.
Le béton, laid ? Non.
Le gris des murs ? Non.
Les grandes avenues rectilignes à la new-yorkaise ? Non.
Les places à l’allure soviétique ? Non.
L’architecture de Perret ? Non.
Le « pot de yaourt » d’Oscar Niemeyer ? Non.
Ou peut-être que si, tout compte fait.
Comment j’aime cette ville ? Je ne sais pas. Ni par chauvinisme ni par régionalisme. J’y ai des souvenirs agréables, des souvenirs bof.
Je ne sais pas ce que cela me ferait de la découvrir pour la première fois aujourd’hui, quels adjectifs j’y associerais.
Je ne sais pas si elle est « belle » ou si elle est « laide ». C’est trop tard. Elle est dedans moi. Je suis sa sœur jumelle, elle est mon ADN.
En suis-je moi-même plus laide ? Plus belle ?
Le Havre, « la ville la plus moche du monde ». Oui.
Disons du monde, même.
And so what ?
C'est vrai, ici, il y a eu cet enfant de dix ans tué devant la boulangerie du quartier à coup de fusil pendant un règlement de compte,
c'est vrai, ici, il y a eu cette femme défenestrée du quatrième étage par son mari sous les yeux de nos élèves,
c'est vrai, ici, chaque jour on nous dit le racket, les menaces, le shit,
mais ce matin, quand même, à la sortie de la bouche de métro Mermoz-Pinel, les branches nues des arbres du boulevard sont une délicate dentelle sur un fond d'aube mauve et bleue.