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La Mare Rouge - Page 2

  • Marcus

    Marcus, 53 ans, mâchouille sa pizza Hut et grattouille sa guitare. Sandrine a fini par le quitter au bout de trois ans. Un peu trop alcoolo, un peu trop borderline, un peu trop mangeur de restauration rapide à son goût.
    Il sympathiserait bien avec l'une de ses copines un peu bonne : Sonia. Elle est cool Sonia, elle aime bien ses chansons et elle rit à ses blagues, elle like ses copiés-collés Wikipedia sur Facebook et ses citations de philosophes piquées sur Babelio.
     
    A propos :
    ville actuelle : Lyon
    ville d'origine : Francheville
    Emploi : chargée des relations publiques
    Situation amoureuse : C'est compliqué
     
    Ça pourrait coller. Faut voir. Il va l'inviter à son prochain concert. Si ça arrive aux oreilles de Sandrine, ça lui fera les pieds. Ça fait quoi une chargée des relations publiques ? Il a le temps de se renseigner d'ici là. Le "compliqué" ça doit être le Franck avec qui elle est venue dîner il y a trois mois. Inoffensif. On s'en fout.
     
    En attendant, il va liker les deux chansons qu'elle vient de poster sur son mur (Neil Young et Manset), laisser un commentaire sous un selfie d'elle avec son chien ("Il ressemble au beagle de Bob Dylan") et rédiger un statut signé Daniel Darc ("Je suis un Kerouac immobile").

  • par amour de l'humanité

    Je suggère au poète qui abuse du mot "indicible " de se résoudre, par amour de l'humanité, à se taire définitivement.

  • indignation

    L'indignation. La chose la plus aisée et la plus répandue au monde.
    Beaucoup de bruit, beaucoup de rien.
     

  • alter ego

    Les coups de cœur de Marius sont tout aussi fulgurants que ses désaffections. Il s’emballe, s’énamoure, se passionne, mais sitôt qu'il s'aperçoit que l’autre n’est pas en tout point semblable à lui, qu’il ou elle a des aspirations différentes, des pensées divergentes, des préférences éloignées des siennes - c’est-à-dire souvent - il se sent trahi. Il s'emporte alors et rompt avec éclat, accusant cet autre de n’être qu’un falsificateur ou un imbécile.
    Subséquemment, Marius est flatté quand quelqu'un exprime les mêmes goûts que lui et il l'adoube en retour.
    Pourtant, n'est-il pas ridicule de se flatter d'être deux à aimer ou à ne pas aimer les brocolis ? Le brocoli en est-il meilleur ou pire ?
     
    Pris dans ses propres rets, Marius peste contre un monde médiocre peuplé d’êtres qui ont l’extrême mauvais goût de ne pas s'harmoniser à ses lois et principes et repart sans délai à la recherche d’un nouvel "alter ego" à la hauteur de son besoin de validation jamais comblé.

  • art-édredon

    Littérature-confort, art-édredon.
     
    Oui, un jour les films, les livres ne feront plus réagir personne, leurs propos seront édifiants et pédagogiques, les artistes seront des modèles de vertu (ou des militants, ce qui revient au même), et tout le monde s'ennuiera beaucoup.
     
    Pourquoi se donner tant de mal ? Pour ma part, je n’ai jamais eu besoin de personne pour bâiller. Ce matin, à peine levée, j’avais déjà envie de me recoucher.
     
     
     
     
     
    Illustration : F. Vallotton

  • Dilettante

    - Pourquoi tu restes assise avec les hommes à la fin du repas quand les femmes sont à la cuisine, Judith ? C'est un geste de militante ? Tu veux nous dire quelque chose ?
     
    - Ah non, pas du tout... C'est un geste de dilettante. Mon penchant naturel pour la farniente...
     
    - Ah...
     
    - ....
     
    - Tu veux un calvados ?
     
    - Je dis pas non... Juste avant la sieste.

  • barbares

    « Quel horrible ogre sexuel que ce Picasso ! Quel salaud machiste que cet affreux Beigbeder ! Pauvres femmes ! » s’indigne Chloé, 25 ans, en scrollant son smartphone. Mais elle s’est mise en retard et doit se dépêcher car elle a rendez-vous avec Marc, père de famille de 45 ans en instance de divorce, qui a abandonné femme et enfants (au nombre de 3) pour elle. Chloé doit annoncer à Marc qu’elle le quitte ce soir. Elle s’est trompée, elle n’est pas amoureuse, elle a mis trois mois pour s’en rendre compte (ça arrive à tout le monde).
    En fait, c’est Mathieu qu’elle aime vraiment. Chloé sait bien que Mathieu se remet tout juste de leur rupture - après un an de dépression et une tentative de suicide – et qu’il vient de rencontrer quelqu’un. Mais c’est elle la femme de sa vie. Il reviendra. Sinon, cela ne fera que confirmer ce qu’elle sait déjà : les hommes ne sont que de méprisables barbares.

  • une bien chouette génération

    Je nourris mon fils au Clos Jouve. Une bonne tranche de veau avec patates grenailles. La mère à la table voisine dit à sa fille qu’elle appartient à une chouette génération. La petite, pas si petite que ça (master 1 ou 2 ?) vient de lui raconter que quatre filles - quatre vigies - sont tombées à bras raccourcis sur Justin qui s’est permis de mettre ses mains sur les hanches de Chloé pendant une danse, le soir de la Saint Patrick.
     
    La jeune fille raconte, sous l’œil attendri de sa maman, que Justin était meurtri d’avoir posé ses mains sur les hanches de Chloé sans son autorisation. Il était dégoûté de lui-même, écœuré même. Il ne savait pas ce qui lui avait pris. Bien sûr, il a présenté dès le lendemain ses excuses à Chloé encore traumatisée du geste déplacé.
     
    Oui, une bien chouette génération.
     
    Mon fils, pendant ce temps, mange avec une joyeuse voracité son steak saignant.

  • crapulerie lyrique

    Oui, à partir des récits de naufrages, de tortures, de guerres, de viols, de persécutions, de souffrances, de violences en tout genre racontés depuis 20 ans par mes élèves migrants, j’aurais de quoi écrire un livre. Un petit recueil, bien dense, bien tragique, bien pathétique, bien émouvant. Oui, je pourrais les prendre en otage tous ces élèves de là-bas et verser dans la crapulerie lyrique, la débauche sensible, la larme à l’œil, dans les festivals poétiques « pour la paix ». Oui, ce serait facile de dorer mon blason en le lustrant à l’aide des guenilles de la misère. Peut-être même que je gagnerai un prix que je pourrai dédier à mes élèves et à tous les damnés de la terre.
     
    Je pourrais même finir par croire à ma probité morale.
     
    Oui, je pourrais.

  • Le retour

    Hier, au hasard d'une rue, j'ai revu le père-croix-roussien-de-50-ans-qui-a-refait-sa-vie. Je ne l’avais pas croisé depuis deux ans. Je l’ai trouvé plus âgé (de deux ans) et plus fatigué.
     
    Non. Plus las.
     
    L’enfant, lui de son côté avait grandi et, assis à ses pieds, hurlait de tous ses poumons son refus de quitter le bitume auquel il semblait soudé. Toute tentative de décollement s’accompagnait de cris stridents, toute tentative d’apaisement ne faisait que renforcer la plainte furieuse. A leur côté, un adolescent caché derrière un rideau de frange, consultait, blasé, son smartphone.
    Il s’est mis à pleuvoir. Le petit s’est égosillé de plus belle. Le grand a haussé les épaules. Le père a chassé d’un geste furtif des gouttes de pluie de ses joues. Ou était-ce des larmes ?
     
    Quoi qu’il en soit, tel Bill Murray, le père-croix-roussien-de-plus-de-50-ans-qui-a-refait-sa-vie semble encore et toujours condamné à revivre son Jour sans fin à lui, jusqu'à ce qu'il comprenne quelque chose.
     
    Mais quoi ?
     

  • banal

    Vouloir à tout prix être original avant même d'avoir le talent d’être tranquillement banal.

  • Bonté

    La bonté n’est pas de la niaiserie
    La niaiserie n’est pas la bonté
    La bonté est dégagée de toute attente
    Donc quasi inexistante
    Donc précieuse
     
    Les cyniques mêmes ne la moquent pas
     
    Le cynique crache sur
    la moralité blablateuse
    La bonté de pacotille
    La fausse abnégation
    La compassion mensongère
    La bienveillance devenue formule à slogan
     
    L’amour est rare
    Ses ersatz courent les rues
    La bonté est rare,
    Ses contrefaçons, prolifiques
    dans les
     
    livres de développement personnel
    affiches publicitaires
    magazines psy
    accessoires « spi »
    poésies édifiantes
     
    la bonté
    un business comme un autre

  • Polyamour

    Comme il ne parvenait pas à entretenir une relation avec un ou une autre, et encore moins avec lui-même, Joris en conclut que le polyamour était sans doute la solution idéale pour enfin vivre un lien durable. Passer du chiffre 2 au chiffre 3 ou 4 devait permettre de multiplier les chances de survie au sein de la liaison. C’est pourquoi, quand Magali, Brahim et Léa l'accueillirent dans leur petite communauté amoureuse, son enthousiasme était grand, sa détermination à donner le meilleur de lui-même solide.

    Après trois semaines de joies du corps et de l’esprit, de complicité et de jeux érotiques pansexuels, Magali s’enfuit avec le beau-père de Léa, Léa tenta d’assommer Brahim à coup de Gaffiot après son aventure d’un soir avec une Polonaise trilingue, Brahim accusa Joris de retour à des réflexes "petit-bourgeois" quand ce dernier tenta de créer une relation privilégiée avec Léa dont il était tombé raide amoureux. Léa quitta tout le monde le même jour.  

    Suite à cette expérience, Joris adopta une chatte siamoise agressive et exclusive avec laquelle il vit encore aujourd’hui un concubinage riche en péripéties sentimentales.

  • rien

    Et toi, t'en penses quoi ?
    Rien.
    Vraiment rien.
    Pourquoi faudrait-il toujours penser quelque chose ?
    Et pourquoi faudrait-il systématiquement commuer nos pensées en palabres ?
    Le monde est déjà assez assourdissant de paroles vaines et ennuyeuses.
    Un peu de compassion pour nos contemporains.
    Ou alors, en chantant.
    Oui, comme le dit le sage : "Le monde est plus marrant, c'est moins désespérant en chantant".

  • Parité

    Agissons dès maintenant afin que la lutte pour les droits des femmes nous permette de dénicher les dictatrices qui manquent à l'Histoire de l'Humanité. Nous ne parlons pas de compagnes ou d'épouses de dictateurs, aussi influentes soient-elles, non, nous aspirons à de la vraie dictatrice, toute-puissante, solitaire, omnipotente et cruelle. Vous criez à l'inégalité ? Le despotisme est essentiellement masculin ? Thatcher a manqué de poigne ? Les reines de l'Histoire vous ont déçu.e ? Il est temps de mettre fin à cette injustice qui prend ses racines dans nos sociétés patriarcales ancestrales. Qu'on donne enfin l'opportunité aux petites filles du monde entier de devenir les futures dévastatrices de l'univers !
     
     
     
    Signé : Le comité de lutte pour l'égalité des chances entre les filles et les garçons. #Parité forever.

  • invitations

    Bénédicte demandait en "amis" sur Facebook des gens qu'elle n'aimait pas dans la vie réelle afin de ne perdre aucune occasion de nourrir sa rancœur, sa jalousie ou sa détestation (selon).

     
     
     
  • Céline Dion

    Bénédicte vit le beau Marcus se diriger vers elle alors que Céline Dion était en train de vocaliser à fond "Pour que tu m'aimes encore" dans son casque JBL. Quand il se pencha pour lui demander ce qu'elle écoutait, elle répondit sans sourciller :
    du Daniel Darc.
    Il s'éloigna après avoir levé un pouce satisfait. Ouf. Encore une fois, elle l'avait échappé belle.

  • co-working

    A la fin de la soirée, Marcus proposa à Bénédicte de co-worker avec lui dans une coopérative éco-responsable auto-gérée. C’était donc tout ce qu’avait à lui proposer ce trentenaire dans la première force de son âge après trois Apérol Spritz. Même pas un petit appel du pied sous la table durant ce long apéro-dînatoire. Bénédicte se contenta de suçoter sa paille en inox en prenant garde de ne pas manifester de manière trop ostentatoire son ennui profond, ce qu’il interpréta comme une invitation à enchaîner sur un savant calcul de son empreinte carbone au quotidien.

  • Le Che

    Bénédicte avait rendez-vous avec un homme rencontré sur Toi&Moi=Nous mais quand elle arriva non loin du café où il l'attendait, elle vit que le type, qui venait d'avoir cinquante ans, portait un tee-shirt Che Guevara. Elle fit demi-tour et retourna se coucher.

  • totale panique

    Bénédicte était en totale panique. Alors qu’elle était le soir-même l’invitée référente d’une table ronde intitulée « Sois belle et tais-toi : la publicité, antre du sexisme ? », Stanislas, son coiffeur attitré, lui faisait faux bond et elle ne parvenait pas à remettre la main sur son petit chemisier en soie vert assorti à ses yeux qui mettait si bien en valeur sa svelte silhouette.

  • déceptions

    Bénédicte mit un peu de temps à se rendre compte que celui qu’elle avait pris pour un magnifique ténébreux romantique à l’âme torturée et passionnée n’était en réalité qu’un gros chieur narcissique et égocentrique.
    Marcus mit un peu de temps à se rendre compte que celle qu’il avait prise pour une sublime romantique fragile à l’âme complexe et passionnée était en réalité une grosse chieuse narcissique et égocentrique.

  • musique festive

    Bénédicte devait bien se rendre à l'évidence : les musiques "festives" françaises lui hérissaient de plus en plus le poil et l'action des films d'action avait un effet de plus en plus soporifique sur elle.
    Quand Marcus posa un disque des Fatals Picards sur sa platine et qu'il proposa d'enchaîner avec Mission impossible III, elle sut que la soirée serait de la plus haute pénibilité. Elle chercha un chat des yeux pour prétexter une allergie violente mais elle n'aperçut qu'un affreux aquarium gigantesque dans lequel évoluaient d'ennuyeux poissons multicolores.
    - Ah, tu t'intéresses aux poissons, Béné ? Regarde, là tu as deux combattants et ici un Barbu de Sumatra et là, encore...
    Bénédicte but trois gorgées de kir cassis, goba un apéricube parfum olive verte et poussa un profond soupir.

  • la mouche

    Bénédicte avait bien essayé, dans les premières minutes, d’écouter avec intérêt la logorrhée de cet homme qui essayait de la séduire en déployant un discours humaniste, progressiste, militant et engagé, mais elle se lassa vite en constatant qu’elle pouvait anticiper chaque mot qui sortirait de sa bouche seconde après seconde.
    Heureusement, la présence d’une mouche qui voletait dans la salle du café la divertit assez pour qu’elle semblât ne pas s’ennuyer. Elle prit garde de ne pas l’avaler au moment fatal où elle fut prise d'un irrépressible bâillement.

  • Artiste ?

    - Madame, à quoi on sait qu'on est artiste, en fait ?
     
    - Si tu te lèves tous les matins pour te mettre à l'ouvrage alors que personne ne t'a rien demandé et qu'a priori ça ne te rapportera rien matériellement avant un moment ? Peut-être jamais. Si tu fais de cette pratique une priorité dans ta vie quotidienne quand bien même tu serais payé pour faire autre chose par ailleurs ?
     
    - Ça sert à quoi, alors ?
     
    - Je ne sais pas. Mais l'artiste ne peut pas faire autrement. Et si ce qu'il fait finit par atteindre quelqu'un, c'est tant mieux.
     
    - Moi, j'écris un peu tous les jours.
     
    - Quelqu'un t'a demandé de le faire ?
     
    - Non.
     
    - Tu as demandé la permission à quelqu'un pour le faire ?
     
    - Non.
     
    - Quelqu'un te paie pour le faire ?
     
    - Non.
     
    - Si tu continues sur cette voie-là, j'ai bien peur que tu deviennes ce qu'on appelle dans la famille des artistes, un écrivain ou un poète, Idriss. Mais ne loupe pas ta récré, les artistes ont aussi besoin de pauses. Go !

  • Vous avez dit éco-anxiété ?

    La chroniqueuse de France Culture s’extasia sur la conscientisation politique et écologique de cette génération Z + qui se battait tous les jours pour l’avenir de la planète, mue par un syndrome d’éco-anxiété symptomatique des 15-20 ans. Et, la chroniqueuse de France Culture tout émue par ce combat altruiste, oublia de parler des jeunes de la même tranche d’âge mus, eux, par un syndrome d’anxiété tout court lié non pas au sort de la planète ou à une vision prospective des cinquante prochaines années mais à leurs conditions de vie présente et aux perspectives d’avenir qui leur étaient offertes par la société actuelle.
    Ce n’était pas que les jeunes de la deuxième catégorie n’en eussent rien à cirer du réchauffement climatique et de l’agonie de la terre et des hommes, mais tenter de sauver leur peau et ne pas sombrer dans la dépression chronique leur prenait déjà beaucoup de temps et d’énergie au quotidien.
    On leur répétait qu’ils avaient mangé leur pain blanc et qu’ils se devaient de devenir éco-responsable. Cool, le chauffage était coupé depuis longtemps. Mais de quel pain blanc pouvait-il s'agir ?

  • sobriété

    baissez le chauffage
    ne vous embrassez pas
    ne restez pas sous la douche
    si vous aimez vos proches, ne vous approchez pas
    éteignez la lumière
    ne circulez plus
    restez chez vous
     
    faites des économies
     
    vous n'arrivez déjà pas à finir le mois ?
    c'est con pour vous
     
    sortez vos acryliques
     
    c'est moche ?
    tant pis pour vous
     
    soyez sobres
    restez à distance
    restez masqués
     
    vous avez mangé votre pain blanc
     
    il était déjà rassis ?
    dommage pour vous
     
    je baisse, j’éteins, je me flingue ?
     
    comme vous y allez
     
    mais dans ce cas
    vous êtes prié de ne pas déprimer les autres
     
    souriez vous êtes filmé

     
  • fièvre

    Bénédicte n’irait pas jusqu’à dire que Marcus s’ennuierait ferme dans sa vie s’il n’avait pas un combat à mener, des pancartes à brandir, des indignations à scander. Non, elle n’irait pas jusqu’à penser que sans toutes ces injustices mondiales, la vie de Marcus n’aurait plus de sens. Cependant, force était de constater qu’elle n’avait jamais vu Marcus heureux que dans la fièvre du poing levé. La moindre accalmie le renvoyait à une torpeur plombée et le laissait là, désœuvré, aussi triste qu’une chanson de Christophe un jour de pluie. On avait alors envie de le secouer pour qu’il reprenne vie. Dieu merci, le monde offrait quotidiennement mille nouvelles raisons de s’enflammer pour lui, ce dont on ne pouvait que se réjouir pour Marcus quand on était son amie.

  • subversif subventionné

    Un jour, le mot « citoyen.ne » finit par complètement remplacer les mots « individu » et « personne » qu’on ne trouvait même plus dans les dictionnaires. L’homme qui ramassait un papier gras sur la plage ne se désignait plus comme « humain », « bipède », « mammifère » mais comme « citoyen responsable au service de la collectivité ». Les programmations des théâtres ne proposaient plus d’œuvres à visée artistique mais des objets idéologiques édifiants propres à éclairer le/la « citoyen.ne-républicain.e ». Les musées croulaient sous les expositions « pédagogiques » et les seuls livres vendus en librairie n’étaient plus que des essais sentencieux destinés à donner des clés pour accéder à un monde meilleur. Chacun agissait pour sa paroisse identitaire et communautaire et l'artiste se voyait peu à peu remplacé par le gentil animateur culturel. La subversion était subventionnée.
     
    Bref, tout cela avait bien commencé à complètement foirer à un moment de l’Histoire de l’humanité, mais quand précisément, Marcus n’était pas en mesure de répondre ; il était déjà né quand la poésie elle-même n’était devenue qu’un ramassis de textes conformes aux valeurs normatives de l’époque : érotisme poseur et blabla sociétal. Seule certitude : l’art et la littérature étaient morts depuis longtemps et tout le monde semblait très bien s'en porter.
     
     
     
     
     
     
     
     
     
    Illustration : « Minuit, l’heure blasonnée » (1961), de Toyen, huile sur toile.

     
     
     
  • Toxique

    Reconnaître une personne TOXIQUE, ce n'est pas très compliqué contrairement à ce que veulent nous faire croire les magazines psy de tata Jacqueline. Il suffit le plus souvent de se poser devant un miroir, et, oh miracle ! la personne TOXIQUE est là, devant nous, tout sourire, à tout faire pour nous pourrir la vie à l’échelle même d’une journée :
     
    Je suis nulle, je vieillis, je suis moche, j’ai mal fait, je ne vais pas y arriver, j’ai oublié mon rendez-vous, je vais encore me faire avoir, je n'ai le temps de rien, j’ai raté mon bus, les vacances sont trop courtes, j’ai trop de travail, j’ai un rhume, Machin a plus de chance que moi, j’ai fait une tache sur mon nouveau chemisier, j’ai un emploi du temps de merde, les diktats de la beauté empoisonnent ma vie, la société est pourrie, les gens sont méchants, les gens sont bêtes, je suis encore tombée sur le mauvais guignol, j’ai pas de chance, le sort s'acharne, je ne trouve plus de moutarde.
     
    Oui, la personne toxique, en plus, est bavarde.
     
    Et qui nous oblige à écouter ses jérémiades ? Sans rire.
     
    Qui ?