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Deux - Page 2

  • En l'attendant

    Françoise Hardy roule la pâte à tarte sous ses doigts. Elle aime le contact de la texture molle et farineuse. Elle ne se saisit du rouleau qu'après avoir longtemps malaxé la préparation. Au préalable, elle ajoute toujours un peu de jus de citron dans l'eau afin de ralentir le développement du gluten et pour que la pâte soit bien moelleuse et plus digeste. C'est le petit secret que lui a confié sa copine Jane B. En échange, Françoise lui a montré comment éviter que le fond de tarte ne soit gorgé de l'eau des fruits ou des légumes : il suffit de le badigeonner d'un blanc d’œuf non battu et d'enfourner la tarte cinq minutes avant de poser la garniture.

    Jacques devrait déjà être là, il doit encore traîner avec Serge... Il faudra qu'elle en parle à Jane car ses retards répétés commencent à l'inquiéter. Et puis, il tourne en ce moment avec Romy S... Il a beau répéter qu'il ne sera jamais attiré par une femme qui fume trois paquets de cigarettes par jour, elle sait l'ambiance érotique qui règne sur les tournages. Jane et Serge ont assez évoqué cet aspect du métier devant elle.

    Elle ne doit pas penser à cela, elle doit se concentrer sur la pâte et ne pas oublier de graisser le plat. Jacques sera heureux de sentir l'odeur de la tarte au potimarron en rentrant.
    Elle lui servira un verre de Côte-Rôtie, il allumera un cigare et elle ne posera aucune question sur sa journée.

  • Besoin de rien, envie de toi

    En 1985, l'année du tube Besoin de rien, envie de toi classé n°1 au top 50 et classé neuf semaines en tête des ventes, je croisai Peter et Sloane à la gare de la Part-Dieu. Ils se disputaient comme du poisson pourri devant des badauds accablés.

     

     

     

  • Fugue

    Un matin au réveil, il prit ses jambes à son cou et courut droit devant lui sans s’arrêter. Il traversa la ville si vite que ni les chiens ni les humains ne le virent passer. Il slaloma entre les arbres d’une forêt noire et verte puis continua sa fuite dans les vallons et les plaines sans halte. Parvenu à un grand lac couleur glauque, il poursuivit son échappée en bondissant sur l’eau. En vingt-quatre enjambées il se retrouva devant une montagne colossale qu’il gravit d’un pas alerte et régulier de la base au sommet. Arrivé au point culminant, il interrompit sa course, regarda autour de lui, la main en guise de visière, et tenta de se rappeler pourquoi il était parti si loin de chez lui. Il n’en avait plus aucune idée et se demanda même s’il l’avait jamais su car, du premier pas de la fugue au dernier pas à la cime, aucune pensée agréable ou désagréable n’était venue faire obstacle à son élan.

    Il entreprit alors quiètement le chemin inverse.

    Au retour, il trouva sa femme assoupie devant un dîner froid et des chandelles consumées. Il la porta jusque dans leur lit, la coucha et s’allongea contre elle, paisible et bienheureux.

  • tarte tatin

    Il y a trente-huit ans, quand je dansais le Sampa et que j’étais amoureuse de Charles Ingalls, j’écrivais dans mon journal intime :

    "Un jour, dans très longtemp, un homme deviendra mon mari. Où est-il ? Que fait-il ? C’est drôle de pensé que ce garçon vit une vie paralèle à la mienne en ce moment sur Terre et qu’un jour, ce sera le moment de le rencontrer. Mais pas avant."

    Je ne suis plus amoureuse de Charles Ingalls et je ne sais plus danser le Sampa.

    Il est dans la cuisine et je n’ai pas le droit de rentrer car il prépare une tarte tatin endives-fromage de chèvre dont lui seul à le secret.

  • Lui ou moi

    Six mois sans elle, déjà... Il avait pourtant fait preuve d'une ténacité et d'une patience hors norme envers son abominable chat, une bête disgracieuse et hostile qui s'évertuait à pisser dans ses chaussures par longs jets acides, avec une application régulière. Quatre paires de Manfield bousillées en un an. Il avait fini par sommer : c'est lui ou moi.
    Elle aimait beaucoup son chat.

  • toast

    J'ai couché, dès le premier soir, avec nos vanités et nos insuffisances.
    J'ai chéri tous les âges de ta vie. Ceux qui ne m'ont pas connue, ceux que tu ne connais pas encore.
    J'ai enlacé nos ères de félicité, de ravissement et de désillusion.
    J'ai porté un toast à notre sauvage tendresse et à nos déceptions, à nos futures étreintes, nos futures désertions.

  • Apéricube

    Lors d'une soirée chez des amis, je l'ai surpris buvant une bière au goulot (chose qu'il ne faisait jamais, il jugeait cela vulgaire) et déclarant à une jeune femme aux faux airs de Béatrice Dalle au temps de 37°2 le matin :

    "Moi, je suis un rebelle."

    Je l'ai quitté sur le champ. Enfin, mon cerveau l'a fait, puis moi, tout entière, plus tard. Pas à cause de Béatrice Dalle. A cause du sentiment de honte qu'a engendré instantanément en moi cette phrase prononcée par un homme de son âge.
    Plus jamais je n'aurais pu le regarder sans penser à cette assertion grotesque.

    J'ai dansé sur Gone daddy Gone des Violent femmes, j'ai avalé un dernier Apéricube saveur oignon fondant et je suis partie.

  • 48 minutes

    Elle s'était retrouvée dans la rue, le téléphone à la main, à 22h15. Elle attendait que son portable se mette à vibrer en anticipant le message qu'elle y lirait :  Tu es où ?  Ce qu'elle ne savait pas, c’est le temps qu'il mettrait à apparaitre sur l'écran. Elle se demanda s’il lui fallait rester dans le coin à attendre ou rentrer chez elle. Ce qu'elle savait, c’est que le temps qu’il lui faudrait patienter serait un signe à prendre en compte. Elle décida d’errer un peu dans le quartier espérant que l'instant la séparant du SMS ne serait pas si long. Au bout de quinze minutes, elle entra dans un bistrot encore ouvert, où s'entassaient des étudiants joviaux et bruyants et s'installa au bar où elle commanda un Baileys. Elle ne se souvenait pas du goût de cet alcool. Elle avait dû en boire une fois dans sa vie. Bouteille piquée dans le bar des parents d'une copine de lycée un soir d'anniversaire. Elle se concentra à chaque gorgée sur le goût de la crème de whisky dans la gorge pour éviter de penser au message. Un alcool pour vieux, finalement, à la saveur aussi obsolète que les vieilles tapisseries orange et marron des années 70. 

    T’es passée où ?

    Elle ne répondit pas et rentra chez elle. La dernière image de la soirée, c'était lui, assis sur un canapé, en face d’une jeune femme brune à frange courte qu'elle ne connaissait pas. Le buste penché vers elle, il faisait de larges gestes pour expliquer quelque chose qui la faisait rire. Elle avait observé leur posture et leur langage corporel un moment puis était allée chercher son manteau et son sac. Dans le hall d'entrée, Isabelle lui avait demandé pourquoi elle partait si tôt. Un lever aux aurores et un travail à rendre, avait-elle prétexté.

    Il lui avait fallu 48 minutes pour se rendre compte de son absence et s’en inquiéter.

    Elle s'endormit avec le goût suranné du Baileys dans la bouche.

     

     

     

     

    illustration : AUTOMAT, de Edward Hopper

     

     

  • The Rubettes

    Dans la rue, je compte sur mes doigts le nombre de Sugar baby love dans la chanson des Rubettes. S'il y en a autant que je croise de pigeons avant d'atteindre l'arrêt du C18, IL m'aimera jusqu'à la fin de ma vie. J'en compte neuf mais je ne suis pas sûre. Je rewind sur mon ipod. Comme j'atteins trop tôt l'arrêt de bus pour rencontrer assez de pigeons, je triche et je rallonge ma marche jusqu'à l'arrêt du C13.

    Ça y est. Les comptes sont bons.

    Ma vie s'annonce  idéale.


     

  • relation libre

    - Et alors là, hier soir, il me propose une " relation libre ". Il me dit comme ça : " Qu'est-ce que tu penserais d'une relation libre ? "
    - Qu'est-ce que t'as répondu ?
    - Qu'est-ce tu veux que je réponde ? Moi, je suis du genre à passer les menottes et à avaler la clé !
    - Tu l'as quitté ?
    - Non. Je lui ai dit que j'allais réfléchir. L'amour est fait de compromis, tu sais bien.
    - Je sais pas pourquoi mais je la sens pas très bien cette nouvelle histoire...
    - Judith, tu fais rien qu'à me saper le moral, comme à chaque fois. Laisse-moi gagner ma résilience comme je veux. Jalouse, va.

     

     

     

     

     

     

     

     

  • absence

    J'ai attendu 47 ans pour savoir que les pivoines étaient mes élues parmi toutes les fleurs. C'est à présent une telle évidence que je ne sais pas comment j'ai pu vivre si longtemps sans même l'idée d'elles.
    La seule pensée des pivoines me suffit, parfois. Si elles ne sont pas près de moi, dans mon appartement, je sais qu'elles existent quelque part sur un marché, dans une serre, un jardin, et c'est assez.
    La semaine qui me sépare du prochain bouquet est saturée du mirage de leur fragrance et les savoir au monde est une consolation à toutes mes mélancolies à venir.

  • Rhinopharyngite

    J'ai senti, toute la nuit, les microbes de ta rhinopharyngite pratiquer l'invasion sauvage de ma sphère ORL intime dans un élan aussi fiévreux que licencieux.
    J'ai, bien sûr, laissé mon corps développer une réponse immunitaire adaptée mais, en secret, j'étais un peu du côté des agents infectieux de ta salive. Le tréfonds de toi pénétrait fougueusement mes organes, en ébranlait les fondements, en torpillait les barricades.
     
    Au matin, mucus nasal clair, augmentation du volume des amygdales, fièvre de plus de 38 degré Celsius.
     
    Tes micro-organismes enlaçaient enfin les miens. Je les caressais du bout des doigts en pensée.
    La tendre guerre ne faisait que commencer.
     
     
     
     
     
     

  • Chacun cherche

    - Mais, quand même, t'es sûre que tout le monde finit par trouver son chat ?


    - Oui. Seulement, parfois, il faut attendre la moitié du film ou la presque fin pour que ça arrive. Tu vois ? Ton chat, il se pointe pas forcément au début. Des fois, oui, mais des fois, non. Faut être patient. Et même, ça arrive que tu penses avoir trouvé ton chat et puis, en fait, non, c'en est un autre mais c'est pas ton chat, et ça retarde tout. Mais quand TON chat est là, devant toi, tu le sais.... Fichtre, OUI, tu le sais.


    - Il te reste de la colle, Jud ?

  • Cernes d'hiver

    Sur l'instant, je ne trouvai rien de plus émouvant, de plus juste et de plus harmonieux que la vision de tes cernes d'hiver sur la sonate en A major de Schubert.

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  • Projet conjugal

    - Non, chéri, je n'ai jamais dit que je n'avais pas confiance en ton talent et ta dextérité. Mais je crois, après avoir tout bien pesé, que je préférais ton projet de vente de chouchous sur la plage du Havre...
    - ...
    - Tu peux juste un peu desserrer les liens ? Ça me scie les chevilles ton truc.

     

     

     

     

    illustration : Annie Leibovitz, The Whites stripes.

  • Jeux interdits

    On joue à chat perché

    dans tous les coins de l'appartement 

    le jeu est de grimper le plus haut possible

    parfois on fait tomber des meubles

    et on casse des bibelots

    (on n'est pas très matérialistes)

     

    On joue à cache-cache

    un jour il ne m'a pas trouvée pendant très longtemps

    je me suis endormie

    à mon réveil il cherchait des poux dans ma tignasse

    ça a mal fini

    (façon de parler)

     

    On joue à loup où es-tu m'entends-tu

    je me laisse dévorer exprès

    pour l'amadouer je lèche son crâne lisse

    mais il plante ses dents dans ma nuque

    je ne peux plus bouger

    c'est le jeu de la proie domptée

    (ou presque)

     

    On joue à Colin-maillard

    je lui bande les yeux

    je l’étourdis en le faisant tourner

    je l’agace avec mon boa mauve pour le guider

    la dernière fois, toutes les plumes ont volé

    du boa, il n’est rien resté

    (Le bandeau a fini à mes poignets)

     

    On joue à 1, 2, 3 soleil !

    je deviens une statue de sel

    mais il change la règle en cours de jeu

    je ne dois pas bouger

    même quand il vient me chatouiller

    je ris je pleure je me tortille

    (le gage n'est jamais le même)

     

    On joue à la marelle

    à cloche-pieds main dans la main

    on jette le caillou

    on avance sans se lâcher

    on tombe sur la case "enfer"

    (et alors ?)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Gérald Bloncourt | enfants jouant à la marelle dans la rue, Paris, 1960

     

  • Le Havre 80

    Le temps est encore un peu gris, ici. Notre cabane de plage est cependant déjà bien plaisante en cette saison quand un rayon de soleil parvient à ramper jusqu'à elle (Oui, au Havre, le soleil rampe, tu le sais).
    Je relis souvent ta lettre et, le reste du temps, je m'ennuie avec passion. J'ai déplié ta chaise pour me faire croire que tu es parti ramasser des coquillages et que tu vas revenir bientôt.
     
    Je me languis toute et t'embrasse.
     
     
    Ta mouette.
     
     
    PS : J'ai bien retrouvé ton épuisette qui était (je le savais) cachée derrière le petit meuble blanc.
     
     
    Le Havre.
     
     
     
     
     
     
     
    (Photo extraite de la page facebook Le Havre inédit)

  • ARMAGUEDON STRIP : AUJOURD'HUI EN LIBRAIRIE.

    - Il parait que Black Lips a écrit ce titre après avoir lu Armaguédon strip de Frédérick Houdaer.
    - C'est pas possible, il sort aujourd'hui en librairie.
    - Ah ? Ben, c'est une sorte d'Annonciation, alors.


  • Don

    - Quel don n'aimerais-tu pas avoir ?
    - Lire dans les pensées des gens.
    - Même dans les miennes ?

     

  • 5 janvier

    Tu crois que ça peut arriver une fille rohmerienne qui s'éprendrait d'une leg press dans une salle de sport ?

     

  • La chatte d'Istanbul

    Je ne suis pas celle qui attend. Je ne me cache pas dans les bois en patientant mon tour.

    Je ne me fais pas discrète.

    Je suis l'intranquille aux aguets, mon impatience est sauvage.

    Je tire droit, je tire de travers, trop vite, trop tôt. C'est fait.

    Est-ce que je m'en mords les doigts ?

    Je ne laisse pas l'inconnu approcher. Je le flaire à distance. Je le prospecte.

    Je passe mon chemin.

    Je suis la chatte d'Istanbul.

    Je sprinte entre les engins des rues pour te retrouver.

    En fin de course, je me jette dans toi tête baissée, mon quartier intime, mon clan. 

     

     

    Image tirée du film Kedi - Des chats et des hommes, Ceyda Torun

     

  • Mes bouquets d'Asphodèles


  • Love like blood

    Je lui ai donné mon cœur. Et puis, après, je ne sais pas. Ça a dégénéré.

     

    Aurora consurgens, St. Gallen 15th century (Zürich, Zentralbibliothek, Ms. Rhenoviensis 172, fol. 19v)

  • 2017

    - Tu as vu ce qu'on lui a mis à l'année 2017, finalement ?

    - Oui. Et, on ne peut pas dire que c'était du tout cuit dès le départ.

    - Give me five, my love.

  • Judith & Holopherne


    Speculum humanae salvationis, France 1470-1480 (Marseille, Bibliothèque municipale, ms. 89, fol. 30v)

     
  • Mon Lion.

    Guillaume de Machaut, Le Dit du Lion, Paris ca. 1390 (BnF, Français 22545, fol. 66v)

  • Lyon/Paris

    Il était à Paris. Elle lui souhaitait, de Lyon, une assez bonne soirée, car elle avait du mal à se faire à l'idée qu'il pouvait passer une excellente soirée loin d'elle (bien sûr, elle se sentait immédiatement coupable de cette pensée peu généreuse). 

     

  • juin

    Je ne crois pas à l'amitié entre les hommes et les femmes.

    Sait-il qu'à l'instant où il prononce cette phrase, il se condamne dans le même temps à ne pouvoir jamais m'annoncer, dans notre futur, une amitié féminine naissante sans que je ne le renvoie à cette idée proférée un jour de juin ?

    Je ne peux m'empêcher d'imaginer sa parade pour échapper à son incohésion.

  • poings

    J'ai dans l'un de mes poings un dé,

    dans l'autre une amulette

    que je serre tous deux très fort pour conjurer le sort.

  • quand

    Quand la première égratignure ?