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Tentative de rapprochement

La première fois qu’elle m’a demandé en classe de seconde à la piscine si je faisais de l’anorexie, j’ai pensé qu’elle était malveillante : j’étais complexée par ma maigreur, être en maillot de bain devant la classe était un cauchemar, je n’avais pas envie qu’on me questionne sur mon apparence physique et qu’on insiste sur ce que je percevais comme une difformité. Je lui ai répondu que je pouvais manger quatre poulets rôtis sans prendre un gramme, que c’était ma morphologie et que, par conséquent, je considérais sa question comme conne et non avenue. Elle est partie l’air franchement dubitatif et je l’ai sentie me scruter durant toute la séance, sur le bord du bassin et dans les vestiaires.

 

Puis, elle a insisté. A la récréation, en cours, elle me prenait à part et me demandait d’avouer : j’étais bien anorexique, je pouvais le lui confier, elle ne le dirait à personne, ce serait notre secret, allez.

 

J’ai fini par comprendre qu’elle cherchait une « copine d’anorexie » ou de manière plus générale, « une copine d’affliction » mais qu'elle n’avait pas encore décidé de la forme à travers laquelle s’exprimerait son tourment : anorexie, boulimie, anorexie doublée de boulimie, cisaillement de veines… Après tout, les moyens ne manquaient pas de manifester son inadaptation au monde. Je me suis presque sentie désolée de ne pas être à la hauteur de son fantasme morbide. Un peu plus et j’étais prête à m’excuser de ne pouvoir être la complice anorexique dont elle rêvait. J’étais mal dans ma peau, certes, mais sans envie suicidaire, sans désir d’automutilation, sans imaginaire auto-destructif… une bien piètre copine de désespoir existentiel.

 

Elle a fini par jeter son dévolu sur une « scarification à la pointe de compas », efficace et discrète. A la fin d’un cours de maths, dans les toilettes, elle a exhibé ses premières cicatrices encore toutes fraiches et sanguinolentes devant deux ou trois filles de la classe aussi révulsées que fascinées. Elle allait enfin pouvoir vivre pleinement son mal être, de façon romantique et exaltée.

 

Je trouvais qu’elle allait beaucoup mieux depuis qu’elle avait enfin arrêté son choix :  elle revivait.

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