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essais

  • détente

    Marcus aimait être anxieux. Il faisait partie de ces gens que l'idée même de détente n'intéressait pas. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il n’en faisait pas un objectif de vie. La crispation semblait faire son bonheur, quand bien même il donnait à entendre le contraire : "Trop de choses à faire" "Je suis en retard" "Je ne vais jamais m'en sortir" « Il n’y a pas assez d’heures dans une journée » "Ohlala ». Marcus se délectait de ce débordement et, bien sûr, cette frénésie constante épuisait tout le monde avant lui-même. Sa phrase préférée était : « Vous ne vous rendez pas compte », ce en quoi il avait tort ; chacun - ou presque - se rendait bien compte en le côtoyant qu'il avait tout à gagner à ne pas devenir un fatigant Zébulon de la vie.
     
    (carnet sept. 2023)

  • malentendu

    Je n’ai jamais su dire gravement les choses graves.
    Je n’ai jamais su dire légèrement les choses légères.
    Je ne prends pas au sérieux le trop de sérieux.
    Je mets du rire, là où je pleure intérieurement à fendre l'âme.
     
    Ce travers est source de bien des malentendus.
    Je m’accommode parfaitement des malentendus.

  • ...

    Il riait de tout sauf de lui.

  • création ?

    Le photographe Oliviaro Toscani déclare dans une interview qu’être créatif, c’est être « rebelle », « ne pas suivre les consignes qu’on nous impose », « faire le contraire de ce que les gens du marketing nous disent de faire ».
    Pourquoi pas.
    Ce que je sais, c’est qu’être rebelle d'abord à soi-même, se méfier de ses propres consignes, savoir parfois faire l’exact contraire de ce qu’on a l’habitude de faire est beaucoup plus exigeant, rigolo et excitant au quotidien. Surtout si l'on applique ce précepte, non seulement à l'art mais à nos gestes et actions les plus ordinaires.
    Appelons ça l'auto-rébellion créative.
     
     
     
    photographie : Récursion de Mola Kucher

     

  • ...

    Dieu que le cerveau est bête. Dire qu'on s'y fie à chaque instant..

  • répondre

    Comment serais-je en colère ou déçue si je n’espère rien ?
    Je fais ce que j’ai à faire ; les choses vont leur cours.
    Je laisse la vie être inventive. Notre seul talent est de savoir lui répondre
    en temps et en heure.

  • dodo

    Raoul aimait à donner son avis sur tout et n’importe quoi arguant du fait qu’il était un homme libre, honnête et franc. Blessait-il des gens ? Ils étaient tous des imbéciles. Lui demandait-on son opinion sur le monde ? Il se passait d’invitation. Son intelligence était supérieure, son goût sûr, sa vision essentielle. L’avantage avec Raoul, c’est qu’il n’avait besoin de personne pour deviser, il s’enjôlait lui-même (du genre à s'auto-liker sur Facebook), ce qui permettait à ses interlocuteurs de s’échapper sans mal ou de prendre un peu de temps pour eux. Bénédicte l’écouta quelques minutes pérorer sur la vie, la société, les femmes, les hommes, les conflits internationaux, le dernier essai littéraire à la mode consacré au délitement de la langue française et finit par s’endormir sur son épaule bercée par la douce logorrhée narcotique. Les coussins du divan étaient moelleux, elle soupira d’aise.

  • imposteurs

    le syndrome de l’imposteur ?
    tout le monde devrait l’avoir, non ?
    imposteurs de nous-mêmes bien sûr
    en premier lieu
    en unique lieu
    tous bidons devant la glace
    là est le délit
     
    pour le reste, pas si grave…
    le monde est fait d’imposteurs qui ne nous dupent que parce que nous le voulons bien.

  • aucune arrière-pensée

    Depuis que je sais tenir un stylo, j’observe le monde et les gens puis je les écris. Pourquoi ? Mystère. Aucune idée. Aucune arrière-pensée. A l’âge de 9 ans, j’écris parce que c’est ce qu’il y a de mieux à faire après lire des histoires, faire du vélo et jouer à l’élastique dans le lotissement avec mes copines. De temps en temps, je fais du porte-à-porte pour vendre des os de seiche ramassés sur la plage que personne n’achète. L’activité est vaine, aussi vaine que l’acte d’écrire et cela n’a aucune importance. J’apprends l’endurance tranquille.
    C’est bien plus tard que l’on me fait entendre qu’écrire est chose sérieuse, affaire d’initiés. J’acquiesce alors pour ne contrarier personne ; ceux qui disent cela ont l’air si attachés au caractère sacré de l’exercice ; je ne veux pas leur faire de la peine.
     
     
     
    Photo : Doisneau, 1961, "leçon de vélo"

  • hors jeu

    Confidence entre amies
     
    C'est cool de vieillir comme femme. On attire beaucoup moins de monde. C'est la sélection naturelle. Notre vieillissement met hors jeu au moins deux catégories d'hommes : les lourds et les esthètes (qui sont parfois les mêmes). Plus on avance en âge, plus c'est vrai. C'est très reposant.

  • toast-crevettes

    - Et, que pensez-vous de l’étude qui porte son attention sur la revendication d’une « écriture femme » à partir de laquelle des écrivaines ont pu jouer d’une certaine conjoncture sociale et historique dès les années 70 pour retourner le stigmate de l’appartenance sexuée en emblème d’une innovation esthétique, chère madame ?
     
    - Vous savez qu’on va tous mourir ?
     
    - Pardon ?
     
    - Non, rien. Vous ne voudriez pas aller me chercher une nouvelle coupe de champagne et un toast-crevettes, cher Raoul ? J’ai bien peur que le buffet ne commence à s’épuiser…

  • trivial pursuit

    - Madame, ça sert à quoi la "culture générale" ?
    - Je ne sais pas, Fares... A gagner au Trivial Pursuit ?
    - Ma prof de français l'année dernière, elle disait que c'était important d'avoir de la culture générale.
    - Oui : pour gagner au Trivial Pursuit. Elle a raison.
    - Je crois pas que c'est ce qu'elle voulait dire. Elle parlait de lire, aller au cinéma, au théâtre...
    - Aahhhh ! Vous voulez savoir à quoi servent l'art et la littérature ? Je comprends mieux. Ce n'est pas la même chose.
    - Ça sert à quoi alors ?
    - A rien. C'est juste cadeau pour les humains. A vous d'en faire ce que vous voulez.

     
     
     
  • Lire ?

    Lire, lire, lire… que de statuts angéliques sur les vertus de la lecture !
    Pourtant, dieu sait à quel point j’ai pu me polluer la tête de lectures si peu anodines pour l’esprit, et me complaire parfois dans des états limites par amour de la littérature (et d’une certaine image de moi).
    Œuvrer à sa propre mélancolie n’est-elle pas chose dangereuse ?
    Je me méfie de moi-même comme des tiques des bois et n’hésite pas à écouter La Compagnie Créole les jours où mon penchant naturel aurait tendance à rechercher sournoisement la compagnie d’auteurs cafardeux.
    Je retourne me frotter à eux avec plaisir quand je me sens bien ; ils perdent alors leur pouvoir de contamination et je ne les aime que mieux.

  • validation

    Le travers le plus répandu sur Facebook ? Le besoin constant de validation.
    Je gomme progressivement ce défaut : mon propre avis m'intéresse de moins en moins.

     
  • par amour de l'humanité

    Je suggère au poète qui abuse du mot "indicible " de se résoudre, par amour de l'humanité, à se taire définitivement.

  • indignation

    L'indignation. La chose la plus aisée et la plus répandue au monde.
    Beaucoup de bruit, beaucoup de rien.
     

  • art-édredon

    Littérature-confort, art-édredon.
     
    Oui, un jour les films, les livres ne feront plus réagir personne, leurs propos seront édifiants et pédagogiques, les artistes seront des modèles de vertu (ou des militants, ce qui revient au même), et tout le monde s'ennuiera beaucoup.
     
    Pourquoi se donner tant de mal ? Pour ma part, je n’ai jamais eu besoin de personne pour bâiller. Ce matin, à peine levée, j’avais déjà envie de me recoucher.
     
     
     
     
     
    Illustration : F. Vallotton

  • crapulerie lyrique

    Oui, à partir des récits de naufrages, de tortures, de guerres, de viols, de persécutions, de souffrances, de violences en tout genre racontés depuis 20 ans par mes élèves migrants, j’aurais de quoi écrire un livre. Un petit recueil, bien dense, bien tragique, bien pathétique, bien émouvant. Oui, je pourrais les prendre en otage tous ces élèves de là-bas et verser dans la crapulerie lyrique, la débauche sensible, la larme à l’œil, dans les festivals poétiques « pour la paix ». Oui, ce serait facile de dorer mon blason en le lustrant à l’aide des guenilles de la misère. Peut-être même que je gagnerai un prix que je pourrai dédier à mes élèves et à tous les damnés de la terre.
     
    Je pourrais même finir par croire à ma probité morale.
     
    Oui, je pourrais.

  • banal

    Vouloir à tout prix être original avant même d'avoir le talent d’être tranquillement banal.

  • Bonté

    La bonté n’est pas de la niaiserie
    La niaiserie n’est pas la bonté
    La bonté est dégagée de toute attente
    Donc quasi inexistante
    Donc précieuse
     
    Les cyniques mêmes ne la moquent pas
     
    Le cynique crache sur
    la moralité blablateuse
    La bonté de pacotille
    La fausse abnégation
    La compassion mensongère
    La bienveillance devenue formule à slogan
     
    L’amour est rare
    Ses ersatz courent les rues
    La bonté est rare,
    Ses contrefaçons, prolifiques
    dans les
     
    livres de développement personnel
    affiches publicitaires
    magazines psy
    accessoires « spi »
    poésies édifiantes
     
    la bonté
    un business comme un autre