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Un ridicule qui traverse les âges : la posture (l'imposture) de la profondeur. Dans les domaines de l’art, de la poésie, de la littérature ou de la spiritualité.
Le choix de la posture de la superficialité m’est toujours apparue plus noble et surtout moins décevante quand finit par se révéler la supercherie.
Après avoir diffusé pendant deux ans des vidéos de propagande anti-épilation, prôné la liberté de s’émanciper du joug des diktats qui pèsent sur le corps féminin et exhibé ses poils d’aisselles avec une assiduité militante, la Youtubeuse annonce aujourd’hui à ses 125 K abonné.e.s d’un air grave et solennel sa décision mûrement réfléchie de se raser de nouveau et déroule pendant quinze minutes un argumentaire visant à expliciter les raisons qui ont conduit à ce revirement qui ressemble à un dédit.
Quinze minutes d'un mea culpa argumenté et étayé à l'attention des regards du monde entier tournés vers ses poils et ses dessous de bras puisque, sans doute, de l’existence ou de l’absence de ces poils d’aisselles dépend l’évolution des conflits mondiaux, des luttes armées, des suicides planétaires, des famines, de l’esclavage moderne, du chiffre d’affaire d’Amazon, de la faille de San Andreas, de l’équilibre du système cosmique.
Elle se lève pour saluer ses fans en joignant ses deux mains en signe de contrition. La dernière image de la capsule s'éternise quelques secondes sur un joli nombril percé.
Je n’avais pas de credo, je n’étais pas militante, je n’étais pas convaincue, je n’aimais pas les débats d'idées, je n’avais rien à vendre, je n’étais pas particulièrement maligne, ne pas comprendre m’apparaissait plus intéressant que le contraire, je n'avais pas envie de rédiger une thèse, je n’aimais pas beaucoup parler - ni à table ni au téléphone - je faisais des courses au trésor que je ne trouvais jamais, je n’avais pas de réponse, je n’avais aucune imagination, il ne me restait plus qu’une chose à faire : écrire.
Valériane ancienne victime devenue bourreau prend très à cœur son nouveau statut et, comme tous ses amis victimes, développe des trésors d’inventivité pour se venger durablement de ses anciens tortionnaires qui, de leur côté, investissent consciencieusement leur nouveau rôle de victimes et en savourent les pleins et les déliés en attendant que leurs petits enfants renversent de nouveau la vapeur et continuent de perpétuer la lancinante danse macabre du bourreau et de la victime fusionnels et complices jusqu’à la nuit des temps.
Pendant quelques minutes, je suis le chihuahua de la cagole du Paris-Nice de 17h12. Je cale ma petite tête contre le cou de ma maîtresse, je glisse mon museau dans sa chevelure blond-cendré parfumée au Shalimar et je m’endors en poussant de petits gémissements d’aise.
Bientôt, je fais des rêves de chihuahua. Ma maîtresse s’est assoupie, elle aussi.
Nous ne nous réveillons pas quand le monsieur SNCF chargé de récupérer les ordures du wagon passe devant notre siège.
Il y a des personnes qui ont l’air très gentilles mais qui sont méchantes. Très méchantes. Oui, méchantes. Grimaçantes derrière le masque affable.
Tandis que des êtres à l’aspect bourru sont parfois très gentils, vraiment. Oui, ils sont gentils, aimables derrière la couche rugueuse.
Certaines gens paraissent très profondes. Profondes vraiment ; et puis, quand on se penche pour sonder la profondeur, oh ! c’est un trompe-l’œil ! On peut toucher la surface du bout des doigts. De profondeur nenni. Un vernis.
D’autres individus semblent si superficiels, juste au niveau zéro des choses. Mais à bien y regarder, leur légèreté est un voile à soulever pour voir le paysage entier. Un vaste et beau paysage aux multiples contrastes.
Et puis quelquefois, pour nous faciliter la tâche, les gens ont juste l’air de ce qu’ils sont.
- Driss, je vais vous dire un secret mais vous me jurez de ne le répéter à personne.
- Huumm...
- L'inspiration n'existe pas.
- Hein ?
- L'inspiration n'existe pas. On nous a menti durant toutes ces années.
- Pourquoi on nous a menti ?
- Je ne sais pas. Peut-être pour nous intimider. Peut-être pour faire croire que seules certaines personnes étaient investies de ce pouvoir venu "d'en haut".
- Oh.
- Alors qu'il faut regarder en bas.
- Où en bas ?
- Partout autour de vous. Là, sur cette table par exemple. Ces murs. Vos camarades.
- J'ai pas d'imagination.
- Moi non plus. Aucune. Ça tombe bien tout est déjà là.
- J'ai pas d'idées.
- On n'écrit pas avec des idées. Ecrire n'est pas une activité intellectuelle.
- Quand même...
- On écrit avec ce qui existe à portée de main, de vue, d'expérience. Mais attention, pour ça, comme tout artisan, vous avez besoin de bons outils. Exactement comme ceux qui sont dans l'atelier d'à côté : truelle, malaxeur, platoir, taloche, équerre, barre à débuller, burin.
- Y a une boîte à outils pour l'écriture ?
- Oui, et vous devez découvrir ces outils dans un premier temps et apprendre à les utiliser. Même chose avec les matériaux dont vous avez besoin : ciment, gravier, sable, eau…
- Comme un maçon ?
- Exactement. Un écrivain est un maçon. Je n’aurais pas mieux dit, Driss. On le monte ce mur ?
Bénédicte était en totale panique. Alors qu’elle était le soir-même l’invitée référente d’une table ronde intitulée « Sois belle et tais-toi : la publicité, antre du sexisme ? », Stanislas, son coiffeur attitré, lui faisait faux bond et elle ne parvenait pas à remettre la main sur son petit chemisier en soie vert assorti à ses yeux qui mettait si bien en valeur sa svelte silhouette.
7h10, ligne A, bébé dans sa poussette lève les yeux vers maman, son bonnet, ses écouteurs, son smartphone, son écharpe, son masque. C’est bon, il reste encore les yeux.
L’ami nous dit qu’il aime janvier car le printemps y est en germe, les oiseaux commencent leur migration, les éléments agissent en catimini mais préparent le grand chambardement visible, l’invisible déploie ses forces vitales à notre insu.
Impermanence et retour. Processus cyclique mais festival de nouveautés. Le bourgeon sur la branche n’est jamais le même.
Sur la route, l’ami ornithologue fait apparaitre des oiseaux dans les champs, les arbres et le ciel.
Je n'essaie pas de deviner le tour de passe-passe. Je me contente de Voir.
Si tu ne tends pas l’oreille, tu passeras à côté de ce que dit l’esprit pop.
Tu auras vite fait de le prendre pour un inconsistant au cœur léger et superficiel là où il a juste l’élégance de ne pas faire peser sa mélancolie sur le monde.
L’esprit pop dissimule l’humeur down down down derrrière une ritournelle grisante, un gimmick joyeux et entêtant.
Et ça marche. Tout le monde fredonne la mélodie mais personne n’entend les paroles.
Il fallait bien admettre un fait. Depuis le début du XXIe siècle, qui correspondait à la démocratisation et la banalisation de l'usage du smartphone, les amants modernes vivaient leurs amours clandestines et adultères - aussi romantiques et passionnées fussent-elles - en grande partie
Quand j’étais enfant, j’ai rencontré combien d’adultes ? Je ne sais pas. Deux… trois peut-être. Les autres étaient de grandes personnes, c’est-à-dire qu’elles étaient plus grandes que moi en taille c’est certain (oui, moi aussi j’ai été petite un jour), mais pour le reste elles n’avaient pas l’air d’en mener plus large. Plutôt moins peut-être.
Les plus perdues de ces créatures étaient cependant celles qui s’efforçaient à prouver au monde qu’elles avaient compris.
Quoi ?
Tout.
Les gens, l’Art et la Littérature, la bourse, l’amour, la géopolitique, l’argent, les noms en -isme, la Vie, le Sens, le tour de main pour la mayonnaise. Tout.
Elles parlaient fort et gesticulaient beaucoup.
Les adultes, eux, se contentaient de m’écouter puis me regardaient dans les yeux et disaient :
Nicolas Violant qui sera quelques années plus tard commissaire de police, mais il ne le sait pas encore - il n’a que 20 ans pour le moment et qui peut penser sans rire qu’un homme portant le nom de « Violant » puisse devenir commissaire - marche sur un trottoir du 6e arrondissement de Lyon en compagnie d’une jeune fille blonde qu’il rêve de conquérir.
Il vient de s’acheter une paire de Richelieu marron foncé et a demandé à la vendeuse d’ajouter des fers à ses semelles pour les protéger mais surtout pour entendre résonner leur son métallique sur le bitume. Durant toute la promenade, Nicolas Violant fait claquer ses talons sur le pavé et à chaque pas, il se sent plus homme. Chaque pas le rapproche des cheveux de la fille, de sa bouche et de ses seins.
Bénédicte qui deviendra sa femme en 1998 lui avouera six ans après ce premier rendez-vous que le cliquetis insupportable aurait pu avoir raison de leur idylle dès le premier quart d’heure. C’est au moment où il avait chaussé à contrecœur ses lunettes de myope qu’elle lui avait trouvé un air mignon et avait décidé de lui accorder une chance.
Force d’Inertie, catcheuse aux épaules d’haltérophile et aux jambes de lanceuse de poids maintient à terre Volonté et Motivation comme s’il s’agissait de vulgaires ados prépubères sans poil au menton.
-Nous y arriverons demain ! Nous agirons, nous ferons ! jurent en chœur Volonté et Motivation sous le puissant corps de l’athlète.
- Demain, oui ! renchérit Force d’Inertie en riant aux éclats - Demain, c'est très bien, ça ! DEMAIN !
Jacqueline et Nicole se réunissent tous les mardis pour parler des maladies et des malheurs qui affectent leurs connaissances communes. Gourmandes, elles grignotent des mignardises achetées chez Bouillet et dégustent du thé Earl Grey tandis qu’elles énumèrent leurs maux, du plus bénin au plus tragique : la varicelle du petit Barnabé, le durillon récidivant de Marie-Cécile, le troisième divorce de Jean-Nicolas et son remariage avec « une arabe », la chute de Simone dans les escaliers de la maison de retraite et sa fracture du col du fémur, l’agression sexuelle de la fille du voisin du cinquième étage par un chauffeur Uber, la démence dégénérative de Mme Rioux qui lui fait dire des mots orduriers et se déshabiller devant des gens, le cancer du sein de Mme Richard, le cancer du rein de M. Bonin, les métastases aux poumons et au cerveau de M. Langlois. Quand elles ont fait le tour des malades et des victimes, elles passent aux morts tout frais. Cette semaine, Ginette, la pauvre, a été retrouvée morte chez elle dans un état de décomposition avancée. Personne ne s’était inquiété de son absence car elle devait partir en voyage organisé. Il faut dire aussi qu’elle ne décrochait jamais le téléphone quand on l’appelait et qu’elle est un peu punie de son manque de civilité. Comment pouvaient-elles savoir ? Enfin, elles lisent les derniers titres de la revue Détective à laquelle Nicole est abonnée : Le couple qui enlève les enfants, Tuée en pleine nuit dans le lit conjugal, La mort au bout du rêve, Violée par l’amant de sa mère et feuillètent les numéros en commentant les images « c’est pas dieu possible, mourir si jeune » « on ne peut plus faire confiance à personne » « les hommes sont si cruels » « on n’est plus en sécurité nulle part ». Après leur petit goûter hebdomadaire, au moment de se quitter, elles médisent une dernière fois de leurs meilleures amies encore vivantes et se donnent rendez-vous à l’enterrement de Ginette pour voir la tête des descendants qui ne seront là que pour l’héritage « les gens sont sans cœur, c’est affreux ».
Elle me dit qu’elle n’a aucune violence en elle. Jamais. Que la violence lui est étrangère. Qu'elle l'a en horreur. Elle ne la fréquente pas, elle n’en veut pas dans sa vie, elle n’en veut pas dans son cœur.
Et, tandis qu’elle dit ça, toute concentrée qu’elle est à tenter de me convaincre de l’absence totale et imprescriptible de toute violence en elle, je distingue une légère, ténue, microscopique crispation de sa lèvre supérieure et une petite fixité du regard qui me glacent le sang.
Hier, dans le métro, j’écoutais une chanson dans mon casque, une chanson extraite de ma play-list « post journée de travail » et soudain, j’ai tout compris. Je veux dire, j’ai tout compris à la chanson que j’étais en train d’écouter. Tout compris comme s’il s’agissait d’une chanson en français alors qu’il s’agissait d’une chanson en anglais. Le texte m’est arrivé limpide, clair, comme en traduction simultanée, comme si mon cerveau faisait totale abstraction de l’obstacle de la langue. D’habitude, comme beaucoup de monde, je saisis deux-trois phrases, je comprends le refrain quand il est simple et la mélodie fait le reste. Mais là, tout était différent. Pendant quelques minutes, j’ai vraiment entendu la chanson pour la première fois. Elle n’avait rien d’exceptionnel, ses paroles étaient un peu bêtes comme le sont souvent les paroles des chansons pop mais je les voyais nettement défiler en synchrone dans mon cerveau. Comme quand on appuie sur la touche « traduction » sous un clip sur youtube, les erreurs grossières en moins. Trois minutes. Puis retour à la normale. Ma play-list, des chansons anglo-saxonnes et américaines qui se suivent et que j’appréhende approximativement. Comme avant.
Woman I can hardly express My … emotions … After all, I'm forever in …
Trois minutes d’éveil. Puis plus rien. Il parait que ça se passe souvent comme ça et que le plus dur, ensuite, est de ne rien attendre.