Colonie de vacances
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Action ou Vérité
Dès le début, j'ai trouvé ça débile, le jeu Action ou Vérité. Ceux qui choisissaient Action se retrouvaient le plus souvent à devoir embrasser un autre ado du groupe devant tout le monde.Je finissais toujours par m'endormir sur un sofa, shootée au Malibu. Ma copine Céline me donnait un coup de coude de temps en temps : "P...., Judith, réveille-toi ! Y a Nicolas qui embrasse Mariam !" (Nicolas était très beau et Mariam, tout le monde l'appelait Smarties tellement elle avait des boutons d'acné...). Nul, je vous dis.Mais c'est sûrement là que j'ai commencé à inventer des histoires pour sauver ma peau : je choisissais toujours Vérité et je racontais n'importe quoi. N'importe quoi mais pas n'importe comment.Oui, c'est là que tout a commencé. -
Sur leur dos
Pendant qu'on suçote nos berlingots de lait concentré et que le mono à la guitare joue de la guitare, Géraldine Tomasi perce les boutons d’acné sur le dos de tous les jolis garçons de la colo. C'est la seule faveur qu'ils lui accordent depuis le début du séjour. Ils sont tous amoureux de Katia Bertin qui, elle, est amoureuse du mono à la guitare. Elle lui demande de rejouer La Bombe humaine. Sonia me glisse à l'oreille qu'elle les a vu s'embrasser après la veillée d'hier soir vers les toilettes des filles. Mais tout le monde dit que c'est une mytho.
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Dernier jour
On habite Lyon, Paris, Meudon, Avignon, Marseille, Amiens, le Havre
on se promet de s'écrire, de se revoir, de ne jamais se perdre de vue
On croit sincèrement que la tribu éphémère qu'on a inventée pendant 15 jours
va durer toutes nos vies
Les monos chantent Les retrouvailles de Graeme Allwright devant le car
et ça fait pleurer tout le monde, même le dirlo
Les filles amoureuses du mono à la guitare tendent leurs adresses griffonnées sur un morceau de papier
Les garçons amoureux de Katia Bertin lui offrent un bracelet rasta, un cheval qui change de couleur avec la météo, une broche en coquillage
je n'ai pas acheté de souvenirs on m'a volé mon argent poche le jour de mon arrivée
mais j'ai appris à me raser les jambes avec un bic orange
La veille il y a eu la boum de départ
le garçon qui n'a pas osé dire durant tout le séjour
a dit
On a dansé un slow
sur Hello de Lionel Richie
Il avait les mains moites j'étais parfumée au déo Impulse Vanilla
c'est malin on part demain.
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premier baiser
Le paquet de cigarettes, lancé en l'air, est retombé sur une tranche. C'est pas de pot. Jusqu'à présent, il avait chaque fois atterri sur l'une de ses faces. Le gage-baiser change selon la réception du paquet sur le sol plastifié de la tente.
Pile : une bise sur la joue.
Face : un simple baiser sur la bouche (le smack).
Sur une tranche : un french kiss.
Suivant la règle du jeu, à contrecœur, je ferme les yeux pour désigner à l'aveugle un garçon dans le groupe faisant face à celui des filles. J'entends un long murmure côté filles, des rires côté garçons. Olivier, le plus beau garçon de la colo (selon le classement des 12-14 ans de sexe féminin) s'avance. Je n'ai aucune envie d'embrasser le plus beau garçon de la colo devant une dizaine d'ados rigolards, avec mon acné, mes cheveux courts, mes pas de seins, mes pas de fesses, mes cuisses de sauterelles et mon appareil dentaire. Je suis prise d'une grande compassion pour Olivier qui attend l'air interrogatif. Je me soumets au gage, rouge, transpirante, consciente du grotesque de la scène.
Le lendemain, le bruit court dans toute la colo que je suis sortie avec Olivier, ce qui me confère une aura momentanée, rapidement piétinée par le verdict irréductible d'Olivier :
Elle sait pas embrasser, elle met pas la langue