Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Enfance & adolescence - Page 2

  • Jambon et 4 L

    J’ai toujours connu Maurice Crampon dans sa salopette en jean, la même que celle de Coluche ; il était petit, râblé, menuisier et communiste et quand il nous gardait après l’école, c’est devant la charcuterie qu’il garait la voiture à l’heure du goûter. Bougez pas les filles, je reviens ! Stéphanie et moi mangions les tranches de jambon géantes avec les doigts à même le papier gras, enfoncées dans les coussins arrière de la 4 L.

    Maurice sur la route qui nous conduisait à la Mare Rouge chantait à tue-tête des chants révolutionnaires, Gitane sans filtre au bec, toutes fenêtres ouvertes. Son grand jeu pour nous faire rire était de tourner rapidement le volant de gauche à droite pour faire des secousses qui nous envoyaient valdinguer d’un bout à l’autre des sièges parce qu’on n’avait pas de ceinture de sécurité. On essuyait nos mains grasses sur nos vêtements et sur le tissu de la banquette arrière en braillant le refrain du Chiffon rouge, la fumée de cigarette finissait par former un épais brouillard dans l’habitacle. Souvent à l’arrivée je vomissais, juste avant de m'élancer vers le plus grand toboggan du monde.

     

     

  • Quentin

    Quentin, 16 ans, sait bien que les règles sont rouges et non bleues comme dans la pub, mais il est quand même un peu troublé de les découvrir sur la serviette périodique de son amoureuse lors du premier rapport sexuel. Il sait aussi que le clitoris est un organe essentiel du plaisir féminin (il a observé des schémas en coupe très détaillés), il se concentre donc pour l’atteindre et l’exciter avec application car il a conscience des ramifications nerveuses internes qui sont censées amener son amie à l’orgasme. Il s’applique à une caresse buccale car il sait que la variété des stimuli contribue à la montée du plaisir mais prend également soin de laisser sa partenaire prendre des initiatives car il veut que l’acte d’amour se déroule sur un plan d’égalité : les femmes ne sont pas des objets sexuels à manipuler comme des pantins dociles.


    Malgré toute sa bonne volonté et les heures passées à écouter des émissions de radio féministes consacrées au plaisir féminin, Quentin se fait engueuler par Coralie car « il n’est pas à ce qu’il fait » et que « c’était mieux avec Joris qui, sait, lui, ce que c’est, une femme ».
    Quentin passe sa langue sur le coin de sa bouche qui a le goût métallique du sang menstruel.

     

     

     

     

    Tableau : Marie Vinouse

  • L'élève et la feuille

    Ma première vision de rentrée au lycée ce matin est celle d’un élève qui parle à une feuille.
    Il est penché sur elle et la traite de tous les noms de sa mère.
    Ce n’est pas une feuille de papier, ce n’est pas une feuille de cours, c’est une belle grande feuille d’arbre séchée, rousse, tombée tardivement d’un platane.

    Pourquoi le destin a-t-il fait se rencontrer, ce matin de janvier, cet élève et cette feuille dans le long couloir d’un lycée professionnel du bâtiment et des travaux publics ?
    Pourquoi l’histoire a-t-elle si mal commencé ?

    Nique ta mère, la feuille.

    Elle fait très bien la feuille morte.

    Je te défonce, toi et toute ta famille, la feuille.

    Elle ne perd pas sa dignité de feuille. Elle laisse l’orage passer.

    Elle en a vu d’autres.

  • Grosse fatigue

    - Peut-être pourriez-vous sortir un stylo ?

    - J'en n'ai pas

    - Vous venez en cours sans stylo ?

    - J'en avais un, mais je l'ai fait tomber par terre en perm et j'ai eu la flemme de le ramasser.

  • Le baobab merveilleux

    A sept ans, je rencontre pour la première fois ma grand-tante Lydia, sœur de ma grand-mère Iole que je n’ai pas connue puisqu’elle morte de la tuberculose quand ma mère avait douze ans. Comme je lui dis que je suis en CE1, elle m’explique qu’elle ne sait pas lire, qu’elle n’a jamais pu apprendre parce qu’elle n’est pas allée à l’école et qu’elle a dû travailler tôt. Les adultes présents acquiescent. Je me sens prise d’une grande compassion pour le sort de cette femme qui, voyant mon désarroi, me demande si je serais d’accord pour lui apprendre à lire. Le cercle familial s’exclame que c’est une bonne idée. Me voilà investie d’une mission qui m’enthousiasme autant qu’elle m’inquiète. Comment vais-je m’y prendre pour apprendre à lire à une adulte ? Je suis moi-même en cours d’apprentissage et même si je me saisis avec empressement de tous les livres qui me tombent sous la main à la maison, je n’ai jamais songé à ce que pouvait être la transmission de ce savoir-faire. Je dois imaginer une stratégie didactique pour être à la hauteur du défi qui m’est offert. J’élabore rapidement un plan de leçon et choisis un support textuel que je connais bien puisqu’il s’agit de l’album que je suis en train de lire et dont je ne me sépare pas, un conte africain intitulé Le baobab merveilleux.
     
     « Tout le monde est surpris. Tout le monde est ébahi : les femmes et les enfants, les parents et les petits-enfants, les frères et les sœurs, les oncles et les tantes, les beaux-frères et les belles-sœurs, les nièces et les neveux, les cousins et les cousines. Enfin toute la famille. Et même un arrière-arrière-petit-cousin.
     
    Petit lièvre distribue toute la nourriture : les viandes, les sauces, les légumes, les desserts, les boissons.
     
    Il distribue tout. »
     
    Je suis du doigt les lignes du livre, je m’arrête sur les mots que je syllabise comme j’ai vu faire la maîtresse. Mon élève est très attentive et plutôt douée. Elle apprend vite. Quand elle bute sur un mot, je l’aide sans la brusquer. Je mets toute mon énergie à la guider patiemment, je l’encourage, je prends le relai quand c’est trop difficile en lui disant que ce n’est pas grave et qu’on verra ça plus tard.
     
    Je passe ainsi une heure à apprendre à lire à Lydia sous le regard amusé de la tribu familiale. Elle me remercie chaleureusement à la fin de la leçon. Je suis aussi fière de ses progrès rapides que de moi-même.
     
    Oui, je suis très fière d’avoir été capable de relever cette gageure et d’avoir permis à cette femme d’avoir accès au plaisir de découvrir des histoires, de s’allonger sur son lit avec un livre et de laisser ses rêves se peupler des personnages rencontrés dans les pages parcourues à la veillée. Cette victoire sur moi-même me permet aussi de m’approprier une noble place au sein du clan familial.
     
    Je ne sais plus comment et par qui j’apprends le jour-même que Lydia est en fait institutrice depuis plus de trente ans.
     
    La nouvelle de la mystification concertée agit comme un séisme intérieur, un ébranlement de toutes mes fondations. Les rires m'arrivent de très loin. Je suis pénétrée de honte.
     
    Puis, chacun retourne à ses occupations.
     
    Ce soir-là, « Toute la famille mange bien et s’endort le ventre plein. Même l’arrière-arrière-petit-cousin. »

  • happy family

    La mère porte un casque relié à un smartphone qu'elle regarde sans lever la tête. L'enfant fouette le téléphone de sa mère avec sa lanière de sac à dos. La mère ne lève pas la tête. Elle fait défiler des images. Sur une vidéo, une femme échevelée hurle dans un manège à sensations. La mère rit et repasse plusieurs fois le film. Le garçon continue de fouetter le téléphone avec sa lanière de sac à dos. Elle ne lève pas le visage vers lui, elle fait défiler les images, elle rit avec les images, elle envoie un texto avec des émoticônes et les lettres MDR. Elle ne quitte pas l'écran des yeux. Il flagelle encore et encore le téléphone dans un rythme régulier sans jamais croiser son regard jusqu'à ce qu'elle lève enfin la tête vers lui :

     

    - T'es vraiment chiant.

  • Chab le renard

    Chab le renard !
    s'exclame l'élève
    en cours d'E.P.S.
    au parc de Parilly
    en voyant
    grimper
    le long d'un tronc
    d'arbre
    (est-ce un chêne ?
    est-ce un platane ?)
    un joli
    écureuil.

  • Dans le smartphone de maman

    L'enfant de quinze mois pleure
    la mère le prend en photo
    l'enfant pleure
    sur une plage d’Hyères
    la mère le prend en photo
    devant la mer
    clic
    il pleure
    clic
    il pleure
    clic
    il pleure
    il tend les bras
    clic
    il appelle maman
    clic
    clic
    j'écris clic
    mais les smartphones ne font pas de bruit
    ils ne prennent pas non plus les enfants dans les bras
    ils prennent des photos
    d'enfants qui pleurent devant la mer
    parce que la mer verte
    les cheveux blonds
    et le ciel pastel
    c'est joli en photo
    dans le smartphone
    l’enfant est sans doute heureux aussi
    quelque part
    dans le smartphone
    il mange sa première glace
    il regarde un pigeon
    il applaudit
    il rit
    dans le smartphone
    de sa mère.

  • Pickled egg

    Juillet 1989, pour Hervé, a un goût d’œuf au vinaigre. Il couche pour la première fois avec une fille. Elle ressemble à la chanteuse des Bangles. Elle s’appelle Rosemary. C’est l’année de Eternal Flame. Il avait imaginé ça autrement. Le lendemain au pub elle ne lui adresse pas la parole, elle rit avec ses copines - qui ressemblent aux autres Bangles - et elle passe la soirée à jouer aux fléchettes avec un allemand à la tête rouge qui porte un t-shirt Gun’s and Roses.

    La veille, sur une plage de Broadstairs, ils avaient mangé des pickled eggs et du fish & chips à même le papier graisseux avec les doigts. Rosemary lui avait fait lécher ses phalanges qui avaient un goût de poisson pané et de vernis à ongle. Puis, plus tard, l’amour sur une couverture impression cachemire sous des posters de stars du hit-parade. Elle l’avait guidé de manière très directive un peu énervée comme quelqu’un qui apprendrait à conduire à un novice en lui indiquant sans patience les panneaux de direction et les sens interdits. Elle l’engueulait quand il loupait un embranchement, elle riait au moment où il réussissait une manœuvre. A la fin, il ne savait plus s’il faisait bien ou mal. Sa maitrise de l’anglais n’était pas encore très fluide. Il ne savait pas non plus si elle avait joui. Elle s’était rhabillée prestement en disant que ses parents allaient rentrer, du moins, c’est ce qu’il avait compris. De dos, devant la fenêtre tandis qu’elle rattachait à la va-vite son soutien-gorge, elle lui avait paru si petite, si frêle... Une fée Clochette sous speed.

     

     

  • Le France

    J’aime bien quand mon père fume à la maison. Il pose sa Gitane sans filtre dans le trou du cendrier et la fumée blanche sort par la cheminée rouge et noire du paquebot Le France. Je stationne au-dessus du bateau en émail, je hume et je tousse.
    Mais ce n’est pas grave, parce que dans les années 1970, tout le monde tousse joyeusement, partout et tout le temps. Dans les maisons, dans les voitures, dans les bistrots, dans les restaurants, dans les salles d’attente et les bureaux, dans les trains, dans les métros et les bus.
    La cigarette est une grande sœur, un personnage central de nos vies.
    On fume dans les salles de cinéma et sur les écrans de cinéma. Dans les films de Claude Sautet : quand Rosalie apporte les whiskies lors de la partie de poker de César, quand Pierre roule comme un fou, cigarette à la bouche, sur la route qui l’éloigne d’Hélène, quand Reggiani la clope au bec en bout de table se fait engueuler par Piccoli dans la scène du gigot de Vincent, François, Paul et les autres.
    A l’épicerie du coin, mes copines et moi achetons des cigarettes au chocolat Jacquot sur lesquelles nous tirons avec application dans la cour de récréation sous le regard complice des maîtresses d'école.

  • Du côté de chez Swann

     

    index.jpg

     

    On oublie
    Hier est si loin d’aujourd’hui
    Mais il m’arrive souvent
    De rêver encore à l’adolescent
    Que je ne suis plus

    Mon cousin Laurent glisse un disque dans la fente du mange-disque orange sans m’en montrer la pochette. Les premières notes me font sourire. C’est l’une de nos chansons préférées.

    Nous sommes dans la chambre jaune de la maison de mes grands-parents à Douai, celle qui jouxte la chambre de ma tante Domitilde, de dix ans notre aînée à qui nous avons l'habitude d'emprunter ses 45 tours de chanteurs populaires des années 70.

    Je n'ose pas trop le regarder. Il a beaucoup changé depuis notre dernière rencontre. La chimiothérapie qui est censée agir sur son cancer a fait tomber ses beaux cheveux qui n'apparaissent plus que par touffes éparses sur son crâne. L'absence de sourcils et de cils lui font une tête bizarre. J'essaye de rappeler à moi son autre visage, perdu sous celui-ci, les joues pleines, la longue frange blonde qui tombait sur ses paupières quelques mois auparavant, la coupe au bol qui encadrait son beau visage d'enfant en parfaite santé.

    Aujourd’hui, il est d’une extrême pâleur et la rondeur de ses joues a disparu, comme aspirée de l'intérieur. Je lance quelques regards furtifs vers lui, gênée de ma gêne, fascinée malgré moi par les signes de la métamorphose morbide du visage et du corps, par l'amaigrissement dû à la maladie.

    Lui, rit, plaisante comme avant. Il me semble alors plus âgé que moi qui suis d'un an son aînée. Il a, en peu de temps, été gagné par cette maturité des enfants qui sont confrontés à une grave maladie et qui en ont conçu une conscience supérieure de la tragédie à venir.

    La dernière phrase dont je me souviens est Je t’aime. Il m'aime, il me quitte. Je ne le sais pas à cet instant. Je ne sais pas encore qu’on peut mourir à 10 ans.

    Laurent, la chambre jaune, Dave.

    Hiver 1981.

    J’irai bien refaire un tour du côté de chez Swann
    Revoir mon premier amour qui me donnait rendez-vous
    Sous le chêne
    Et se laissait embrasser sur la joue

     

     

  • A nos amours.

    J'enfile mes Clarks, caresse mon chat Bacchus, repunaise l'affiche de La Boum. La veille, j'ai vu au cinéma A nos amours de Pialat. Suzanne m'initie précocement au sentiment de mélancolie. Je pressens avec elle que cet état n'est pas celui du regret d'un temps révolu, comme l'est la nostalgie, mais le regret d'un temps qui n'existe pas et n'existera sans doute pas. Je ne sais pas encore si c'est un poids en plus ou en moins à déposer dans mon sac US. Je vais louper le car scolaire. On verra ça plus tard.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Image extraite du film A nos amours, Pialat, 1983

  • Distributeur

    Barnabé, non, laisse faire ta sœur, d'abord. C'est elle qui met la carte bleue dans le distributeur. Après, toi, tu composeras le numéro, d'accord ? Allez, Joséphine. Tu introduis la carte dans la fente, là. Oui, c'est bien.... Voilà... Ah non, tu l'as mise à l'envers, regarde, ça ne peut pas fonctionner. Ce n'est pas grave, mon cœur. Recommence, tu vas la remettre correctement. Attends, je te montre... comme ça... voilà. C'est TRÈS bien, Joséphine. Non, Barnabé, attends, ne pousse pas ta sœur, ça va bientôt être ton tour. Non, Barnabé, ce n'est PAS BIEN. Tu fais mal à ta sœur. NON. Si ça continue, tu ne composeras pas le numéro comme je te l'ai promis... J'attends que tu te calmes... j'attends.... j'attends. Tu es calme ? C'est bien, mon cœur. A présent, tu peux composer les chiffres de la carte. Je te les dis à l'oreille.... Oui... voilà... oui... TRÈS BIEN, Barnabé... oui... Ah non ! Oh, tu t'es trompé... ce n'est pas grave, on va recommencer... tu appuies sur le C, là. Bien. On recommence... Oui....bien... oui.. et... OUI ! BRAVO, Barnabé ! Tu as vu Joséphine comme ton frère est grand ? Non, Joséphine, c'est maman qui récupère la carte. Toi, tu peux prendre les billets... Oui, Joséphine, tu as été très grande toi aussi. Bravo Joséphine. Je suis fière de vous deux. Oui, mon cœur. Oui, mon cœur. Oui, moi aussi je t'aime. Oui, Barnabé, on y va.

    La mère croix-roussienne n'en a absolument rien à foutre de ta tête de file d'attente à bout de patience, elle est bien trop occupée à fabriquer consciencieusement de grands névrosés à vie, en toute impunité.


    Vont-ils aller se faire exploser en Syrie ou ailleurs, à l'adolescence ? On ne sait.

  • Courageuse

    Quand tu étais enfant, tu faisais le cochon pendu à cinq mètres au-dessus du sol de gravier dans des cages à écureuil, de vraies structures de la mort. Tu glissais sur des toboggans géants qui manquaient de t'éjecter à chaque bosse. Tu grimpais dans des arbres grands comme des baobabs et tu te balançais de branche en branche, tout en haut. Tu partais dans la mer, accroupie dans de petits bateaux gonflables incertains, et tu ramais avec les mains, super loin de la plage.

     

    Entre cinq et douze ans, tu t'en souviens, tu as été courageuse.

     

  • Les Communistes

    Un jour, à Saint-Jouin-Bruneval, village normand proche du Havre dans lequel nous sommes surnommés « Les  Communistes », la maman d’une fillette de mon âge vient annoncer à ma mère que sa fille Katia a lu avec moi et chez nous des « livres pornographiques », qu’elle en a parlé à table et en paraissait très choquée. Ma mère, interloquée s’interroge (se demandant, un instant, si mon père ne dissimule pas des revues érotiques sous le matelas). Je dois me résigner à aller chercher les objets obscènes et licencieux : des bd de Lauzier, M. Veyron, Bretecher et quelques Hara-Kiri devant lesquels nous avons gloussé durant quelques minutes cachées derrière le canapé deux jours auparavant.

    La maman de Katia demande expressément que ces livres soient hors d’atteinte et de vue quand la petite viendra chez nous, menaçant ma mère de ne plus autoriser sa fille à se rendre dans notre famille si cette condition n’est pas respectée.

    « Votre fille ne viendra donc plus chez nous, car je me refuse à toute censure littéraire et artistique dans ma maison »

    Le lendemain, dans le village, notre dénomination clanique s’est enrichie de l'épithète "dépravés".

  • Le goût des larmes dans les raviolis.

    8 ans. Ma mère me demande ce que je faisais enfermée dans ma chambre tout à l'heure avec Patricia Mésanger la petite voisine d'à côté, pourquoi je ne voulais pas ouvrir. Depuis dix minutes, je baisse la tête sur mes raviolis que je ne parviens pas à avaler. Ils sont froids à présent. Je ne veux pas dire à ma mère qu'on s'amusait à faire l'amour dans mon lit superposé, sur la couchette du haut. On mimait ce que l'on pense être l'acte sexuel, on jouait à l'homme et à la femme. Ça nous amusait et nous excitait en même temps. Je ne veux pas le dire car j'ai honte sans savoir exactement de quoi je dois avoir honte. Je fixe à présent la citrouille éventrée sur l'affiche punaisée au-dessus de la table de la cuisine, une reproduction de nature morte. Je fixe les pépins et la chair orange. Mon regard va de la citrouille aux raviolis. Je ne veux pas croiser le regard de ma mère.

    Elle insiste.

    Je finis par dire que c'est Patricia qui voulait jouer à faire l'amour.

    Ma mère me dit que c'est mal, qu'il ne faut plus recommencer.

    Le lendemain, sur le chemin de l'école je dis à Patricia qu'elle ne doit plus me demander de faire cela que c'est mal et que je ne le referai plus jamais. Elle me répond très justement que c'était mon idée.

     

  • fondue hip hop

    Le  jour où son fils de 17 ans lui demanda l'appartement pour organiser une soirée

    FONDUE SAVOYARDE-HIP HOP

    elle sut que le fossé générationnel était irréductiblement infranchissable.

     

  • Mer agitée

    "La météo marine sur France Inter, c’est un petit bulletin d’information écrit dans la langue énigmatique des marins, qui mine de rien, est entré dans l’imaginaire d’un grand nombre de personnes" (France Culture, A l'écoute de la météo marine).

    Lire la suite

  • Alliance

    L'été 1986, en Auvergne, vers Brioude, au camping de la Villette,  je me suis baignée dans l'Allier avec ma soeur, mon père et ma mère comme de nombreux étés. 

    J'ai nagé dans l'eau fraîche un moment, puis je suis revenue sur la rive. Je me suis alors rendu compte que j'avais perdu l'alliance de ma mère, qui était à mon annulaire droit. Un gros anneau d'argent qu'elle m'avait prêtée (comme elle me prêta, plus tard, une bague de fiançailles à pierre mauve que je perdis de nouveau).

    Je n'osais pas avouer tout de suite cette perte à mes parents.  Je tentais, dans un premier temps de retourner à l'eau seule pour fouiller le fond vaseux et pierreux , mais la quête me parut rapidement absurde et vaine.

    Mon père était furieux, d'abord contre ma mère qui m'avait confié l'anneau de mariage, puis contre moi et ma négligence fautive.

    Nous l'avons cherché, un temps, à quatre, nous avons soulevé les pierres, parcouru plusieurs fois le court chemin qui liait notre emplacement à la rivière, ce fut inutile.

    La rivière m'avait volé ma bague.

    Dans la famille, les alliances des femmes sont avalées par les herbes et les eaux.