Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Add it up


  • Distributeur

    Barnabé, non, laisse faire ta sœur, d'abord. C'est elle qui met la carte bleue dans le distributeur. Après, toi, tu composeras le numéro, d'accord ? Allez, Joséphine. Tu introduis la carte dans la fente, là. Oui, c'est bien.... Voilà... Ah non, tu l'as mise à l'envers, regarde, ça ne peut pas fonctionner. Ce n'est pas grave, mon cœur. Recommence, tu vas la remettre correctement. Attends, je te montre... comme ça... voilà. C'est TRÈS bien, Joséphine. Non, Barnabé, attends, ne pousse pas ta sœur, ça va bientôt être ton tour. Non, Barnabé, ce n'est PAS BIEN. Tu fais mal à ta sœur. NON. Si ça continue, tu ne composeras pas le numéro comme je te l'ai promis... J'attends que tu te calmes... j'attends.... j'attends. Tu es calme ? C'est bien, mon cœur. A présent, tu peux composer les chiffres de la carte. Je te les dis à l'oreille.... Oui... voilà... oui... TRÈS BIEN, Barnabé... oui... Ah non ! Oh, tu t'es trompé... ce n'est pas grave, on va recommencer... tu appuies sur le C, là. Bien. On recommence... Oui....bien... oui.. et... OUI ! BRAVO, Barnabé ! Tu as vu Joséphine comme ton frère est grand ? Non, Joséphine, c'est maman qui récupère la carte. Toi, tu peux prendre les billets... Oui, Joséphine, tu as été très grande toi aussi. Bravo Joséphine. Je suis fière de vous deux. Oui, mon cœur. Oui, mon cœur. Oui, moi aussi je t'aime. Oui, Barnabé, on y va.

    La mère croix-roussienne n'en a absolument rien à foutre de ta tête de file d'attente à bout de patience, elle est bien trop occupée à fabriquer consciencieusement de grands névrosés à vie, en toute impunité.


    Vont-ils aller se faire exploser en Syrie ou ailleurs, à l'adolescence ? On ne sait.

  • Fond de cale


    Miossec, Chanson pour un homme couvert de femmes.

  • J'viens d'fumer ma tout première Week-End Sur les fortif' où t'aimes pas qu'j'traîne

    Elle réceptionne les sentences de la CPE comme un boxeur à bout de force, son buste avale ses épaules. Elle ne réplique pas, ne rend pas les coups, ne regarde pas son fils.

    Elle baisse la tête obstinément, fixe la table, ses mains, triture un kleenex.

    La CPE lui parle comme à une petite fille qui comprend mal les choses. Cette femme dit des paroles creuses, des phrases vides, des mots extraits du guide "Agir sur le climat scolaire au collège et au lycée": stratégie d'équipe, justice scolaire, conseil de discipline, bienveillance et exigence, valeurs partagées, action restaurative, sanction éducative, Citoyenneté et puis, au fils Sais-tu au moins ce que tu veux faire de toi ?  Il va falloir reprendre les choses en mains. Tu comprends ce que tu fais là ?

    Issa sait l'humiliation qu'est en train de subir sa mère. Il enrage. Il continue d'enrager. De toute façon, depuis quelques mois, il n'est que rage. Ça lui est venu, il ne sait plus comment, ni quand précisément. Mais ça le tient, ça ne le lâche plus. 

    Je sens, à côté de moi, toute sa hargne momentanément contrainte dans l'espace tendu de son corps et de sa tête. Il se retient, pour sa mère, de ne pas tout saccager comme il l'a fait, en classe, l'autre jour. La table, les chaises, la photo de famille encadrée sur le bureau de la CPE, le règlement intérieur au mur, les profs, le lycée, sa putain de tête qui ne lui laisse aucun répit.

    Elle, je voudrais la prendre dans mes bras, lui dire que je la comprends, qu'elle va y arriver avec son enfant, qu'il n'est qu'un adolescent comme beaucoup d'autres, un peu plus impulsif, un peu plus perdu, un peu plus apeuré, sans doute. Mais, en vérité, qu'est-ce que je comprends vraiment des ménages à 5h du matin, de sa vie de femme seule qui parle à peine le français, qui a élevé, longtemps, un petit garçon un peu turbulent mais gentil, et s'est retrouvée, un jour, soudainement, devant un grand corps d'homme taiseux et farouche.

    Pendant l'entretien avec "l'équipe pédagogique", les regards de la mère et du fils ne se rencontrent jamais.

    Je ne sais pas, moi-même, qui je suis en train de rencontrer, là. Quelle est ma place dans ce foutoir.

    C'est la sonnerie de 13h30.  5e heure de cours. Je serre la main d'Issa et de sa mère. 

    Va savoir pourquoi c'est la chanson M'man d'Eddy Mitchell, et ses paroles un peu candides, qui crame ma tête tout le reste de la journée.

     

     

     illustration : Anselm Kiefer, Homme dans la forêt. 1971

     

  • Projet conjugal

    - Non, chéri, je n'ai jamais dit que je n'avais pas confiance en ton talent et ta dextérité. Mais je crois, après avoir tout bien pesé, que je préférais ton projet de vente de chouchous sur la plage du Havre...
    - ...
    - Tu peux juste un peu desserrer les liens ? Ça me scie les chevilles ton truc.

     

     

     

     

    illustration : Annie Leibovitz, The Whites stripes.

  • Croix-Rousse. 20 février 2018.

    Quand elle est passée devant moi, engoncée dans une couverture de survie couleur or en guise de linceul, j'ai juste eu le temps de reconnaître son petit visage chiffonné. Je jurerais y avoir vu un sourire.

    C'est comme si elle avait voulu me faire un dernier signe avant de quitter l'immeuble dans son pauvre bivouac branlant au bout de l'échelle des pompiers.

    La semaine précédente, nous avions encore plaisanté sur le monsieur du quartier qui confie à qui veut l'entendre que le buraliste est cocu.

    Les badauds du trottoir levaient la tête vers nous dans la lumière bleue clignotante du camion rouge.

     

     

     

     

    Illustration : Anselm Kiefer, Der engel (1976-1978)

     

     

  • Ligne C3

    Je me demande encore pourquoi,

    hier, dans le bus C3,

    j'ai suggéré à ce jeune homme au regard fou

    qui demandait à son interlocuteur au téléphone

    si son site en ligne vendait bien des armes à feu et des balles de 9mm

    POUR TUER

    de s'adresser,

    peut-être, 

    à La Redoute.

  • Petite poème pour une sirène

    Je connais une sirène tatouée

    très belle

    avec de longs cheveux

    elle descend dans des abysses que nul ne connaît

    elle y côtoie les poissons-lanternes

    qui effraient tout le monde

    sauf elle

    elle les caresse du bout des doigts

    ils se frottent à elle comme des poissons-chats

    vous les dites laids elle les dit rois

    c'est la reine des sirènes

    tout l'océan vous le dira

     

    Mais elle sait aussi les clairières et les bois

    les bidonvilles et les cités

    la sirène y console les vivants

    y apaise les morts

    un jour la camarde même

    pourtant peu encline aux cérémonies

    lui fit révérence

     

    Par quel mystère sur terre continue-t-elle à nager ?

     

    Le secret se trouve quelque part dans le ressac

    la magie blanche

    et le noir clair de la matière.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Photographie Laurence Loutre-Barbier