Elle réceptionne les sentences de la CPE comme un boxeur à bout de force, son buste avale ses épaules. Elle ne réplique pas, ne rend pas les coups, ne regarde pas son fils.
Elle baisse la tête obstinément, fixe la table, ses mains, triture un kleenex.
La CPE lui parle comme à une petite fille qui comprend mal les choses. Cette femme dit des paroles creuses, des phrases vides, des mots extraits du guide "Agir sur le climat scolaire au collège et au lycée": stratégie d'équipe, justice scolaire, conseil de discipline, bienveillance et exigence, valeurs partagées, action restaurative, sanction éducative, Citoyenneté et puis, au fils Sais-tu au moins ce que tu veux faire de toi ? Il va falloir reprendre les choses en mains. Tu comprends ce que tu fais là ?
Issa sait l'humiliation qu'est en train de subir sa mère. Il enrage. Il continue d'enrager. De toute façon, depuis quelques mois, il n'est que rage. Ça lui est venu, il ne sait plus comment, ni quand précisément. Mais ça le tient, ça ne le lâche plus.
Je sens, à côté de moi, toute sa hargne momentanément contrainte dans l'espace tendu de son corps et de sa tête. Il se retient, pour sa mère, de ne pas tout saccager comme il l'a fait, en classe, l'autre jour. La table, les chaises, la photo de famille encadrée sur le bureau de la CPE, le règlement intérieur au mur, les profs, le lycée, sa putain de tête qui ne lui laisse aucun répit.
Elle, je voudrais la prendre dans mes bras, lui dire que je la comprends, qu'elle va y arriver avec son enfant, qu'il n'est qu'un adolescent comme beaucoup d'autres, un peu plus impulsif, un peu plus perdu, un peu plus apeuré, sans doute. Mais, en vérité, qu'est-ce que je comprends vraiment des ménages à 5h du matin, de sa vie de femme seule qui parle à peine le français, qui a élevé, longtemps, un petit garçon un peu turbulent mais gentil, et s'est retrouvée, un jour, soudainement, devant un grand corps d'homme taiseux et farouche.
Pendant l'entretien avec "l'équipe pédagogique", les regards de la mère et du fils ne se rencontrent jamais.
Je ne sais pas, moi-même, qui je suis en train de rencontrer, là. Quelle est ma place dans ce foutoir.
C'est la sonnerie de 13h30. 5e heure de cours. Je serre la main d'Issa et de sa mère.
Va savoir pourquoi c'est la chanson M'man d'Eddy Mitchell, et ses paroles un peu candides, qui crame ma tête tout le reste de la journée.
illustration : Anselm Kiefer, Homme dans la forêt. 1971