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  • Toxique

    Reconnaître une personne TOXIQUE, ce n'est pas très compliqué contrairement à ce que veulent nous faire croire les magazines psy de tata Jacqueline. Il suffit le plus souvent de se poser devant un miroir, et, oh miracle ! la personne TOXIQUE est là, devant nous, tout sourire, à tout faire pour nous pourrir la vie à l’échelle même d’une journée :
     
    Je suis nulle, je vieillis, je suis moche, j’ai mal fait, je ne vais pas y arriver, j’ai oublié mon rendez-vous, je vais encore me faire avoir, je n'ai le temps de rien, j’ai raté mon bus, les vacances sont trop courtes, j’ai trop de travail, j’ai un rhume, Machin a plus de chance que moi, j’ai fait une tache sur mon nouveau chemisier, j’ai un emploi du temps de merde, les diktats de la beauté empoisonnent ma vie, la société est pourrie, les gens sont méchants, les gens sont bêtes, je suis encore tombée sur le mauvais guignol, j’ai pas de chance, le sort s'acharne, je ne trouve plus de moutarde.
     
    Oui, la personne toxique, en plus, est bavarde.
     
    Et qui nous oblige à écouter ses jérémiades ? Sans rire.
     
    Qui ?

  • Partout et nulle part

    Depuis le début, on essayait de m’enrôler, je le sentais bien.
    « Femme tu es : tu appartiens à la société des femmes. Rejoins notre combat. » m’a-t-on dit.
    « Ah bon ? » me suis-je étonnée « A peine suis-je née, dois-je déjà choisir un camp, être en guerre contre quelqu’un ? ».
    « Et si je déserte, quelle sera ma punition ? » ai-je ajouté (un peu plus tard, le temps d'évaluer la situation sous tous les angles).
    Des épaules se sont levées « Pffff… ». Je n’y mettais vraiment pas du mien.
     
    C'est à ce moment que je suis allée voir ailleurs si j’y étais :
    j’étais partout et nulle part ; ça me convenait parfaitement.
     
    Et le plus beau c'est qu'il y avait là-bas, partout et nulle part, des hommes et des femmes de bonne volonté.

  • Action ou Vérité

    Dès le début, j'ai trouvé ça débile, le jeu Action ou Vérité. Ceux qui choisissaient Action se retrouvaient le plus souvent à devoir embrasser un autre ado du groupe devant tout le monde.
    Je finissais toujours par m'endormir sur un sofa, shootée au Malibu. Ma copine Céline me donnait un coup de coude de temps en temps : "P...., Judith, réveille-toi ! Y a Nicolas qui embrasse Mariam !" (Nicolas était très beau et Mariam, tout le monde l'appelait Smarties tellement elle avait des boutons d'acné...). Nul, je vous dis.
     
    Mais c'est sûrement là que j'ai commencé à inventer des histoires pour sauver ma peau : je choisissais toujours Vérité et je racontais n'importe quoi. N'importe quoi mais pas n'importe comment.
     
    Oui, c'est là que tout a commencé.

  • Co-working

    A la fin de la soirée, Marcus proposa à Bénédicte de co-worker avec lui dans une coopérative éco-responsable auto-gérée. C’était donc tout ce qu’avait à lui proposer ce trentenaire dans la première force de son âge après trois Apérol Spritz. Même pas un petit appel du pied sous la table durant ce long apéro-dînatoire. Bénédicte se contenta de suçoter sa paille en inox en prenant garde de ne pas manifester de manière trop ostentatoire son ennui profond, ce qu’il interpréta comme une invitation à enchaîner sur un savant calcul de son empreinte carbone au quotidien.

  • Barouf

    Dans ma bibliothèque, parfois, je fais exprès de ranger les uns contre les autres des auteurs qui ne peuvent pas se sentir. Morts ou vivants.
    Cet auteur aujourd'hui mort ne supporterait pas de côtoyer cet auteur vivant. Cet écrivain vivant n'a que mépris pour cet auteur mort. Cet auteur vivant déteste de notoriété publique cet écrivain vivant. Ces deux poètes morts ne pouvaient pas se voir en peinture.
     
    La nuit, il arrive que tout le monde s'engueule. Je suis obligée d'intervenir :
     
    - Hé ! Oh ! C'est pas bientôt fini ce barouf !
     
    La dernière fois, j'ai entendu grommeler :
     
    - Pour qui elle se prend celle-là ?
     
    mais quand j'ai allumé la lumière, personne n'a bronché.

  • La folle allure

    Quand je serai plus vieille qu’aujourd’hui, je voudrais ressembler à cette femme de 83 ans rencontrée cet été en Bretagne et qui avait l’air d’une jeune fille. Non pas parce qu’elle portait un joli short, un beau pull en mohair et des sandales jaunes mais par ce qu’elle dégageait de bonheur de vivre et d’amour pour les autres et pour elle-même. Elle nous a invités à regarder un court métrage dans lequel elle figure, réalisé dans l’année par une très jeune femme. On la voit conter son amour pour un homme de 10 ans de moins qu’elle : « Quand il arrive, je cours vers lui et je me jette dans ses bras ! ». Elle découvre le plaisir de longues heures d’amour physique, d’amour tout court. Ils sont beaux. Âgés et beaux. Parce que vivants, conscients du temps et de la mort - dont elle ne parle pas. Je crois que si l’on employait le mot de « jeunisme » devant elle, cela la ferait doucement sourire ; elle s’en fout. Elle évoque sa voisine « une jeunette de 50 ans » qui pleure beaucoup sur son sort alors qu’elle a la vie devant elle. Elle sourit tendrement.
    Elle vit, c’est tout ce qui lui importe. Elle aime, elle est aimée. Elle est aimée parce qu’elle aime. Qu’elle a toujours aimé les autres. Elle est infiniment aimable. Il n’y a pas grand-chose d’autre à comprendre. Quand on rencontre une personne de cette qualité, on ne peut que tomber amoureux, amoureuse d’elle quel que soit son âge car il n’existe plus.
    Nous la quittons, elle reprend son vélo, car elle doit aller acheter du poisson pour elle et son amoureux, pour sa fille qui dînera avec eux. Nous la regardons partir, légère, jambes nues, belle et vive et c’est la phrase d’Annie Le Brun adressée à toutes les femmes hardies et libres qui arrive à moi comme une évidence : « Vous n’avez pas d’âge mais la folle allure de ceux qui n’arrivent jamais ».

  • Paie ta révolution

    Dans les années 2020, "le monde du mannequinat" vit poindre des tentatives de rébellion sporadiques qui consistaient à glisser des femmes âgées, des filles à formes, des filles à poils, des filles handicapées, des filles brûlées, des filles souffrant de vitiligo, des filles naines, dans les défilés de haute couture. Ces profils atypiques commençaient même à apparaitre dans les publicités télévisées et sur les couvertures de magazines féminins.
     
    Moi, bêtement, j'attendais le moment où ces nouvelles héroïnes se mettraient à vomir sur le tapis rouge, à cracher sur les créateurs de mode, à agonir d'insultes les spectateurs, à pisser sur le jury, à atomiser le décor de ceux qui les avaient si ostensiblement ignorées durant des décennies. Je pensais qu'une révolution sourde était en germe. Que tout allait exploser à la gueule des sales pourvoyeurs de "beauté" qui, soudainement, pour répondre à une "nouvelle éthique commerciale incluante" organisaient des castings "anti-discrimination" partout sur la planète.
     
    Mais que dalle. Je finis par comprendre que les nouvelles recrues voulaient elles aussi faire partie du système. Après avoir craché avec violence sur les grandes gigues stéréotypées qui peuplaient l'"univers de la mode" et, ce faisant, "trahissaient leurs sœurs", elles voulaient "en être" elles aussi. Oui, depuis le début, c'est ce qu'elles voulaient. Bien sûr, interrogées, elles déclaraient avec solennité : " Il faut faire bouger les choses de l'intérieur ". Mais la vérité c'est que des armées de filles de tous genres, de toutes formes, de toutes tailles, de tous âges, jouaient du coude pour offrir leurs corps au Grand Capital qui, tout surpris - n'en demandant pas tant - prenait ce qu'il y avait à prendre. Comme toujours.