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  • Gimmick

    En 2033, les scientifiques créèrent une puce électronique capable de déceler les signes d'infidélité amoureuse et sexuelle au sein des couples. Cette invention fit tout de suite un tabac. La plupart des amoureux voulurent se procurer ce système de test irréfutable tant et si bien que la firme qui avait acheté le brevet se trouva rapidement en rupture de stock. Le gadget devint le premier cadeau des listes de mariage et celui que s'offraient, dans les premiers mois de leur relation, les jeunes couples certains de leur amour infaillible.

    La puce implantée à la base de la nuque était reliée à un boîtier en possession du conjoint. Dès les premiers frissons de tromperie, l'autre en était informé. Bien sûr, il existait une échelle graduelle de l'adultère. La puce était extrêmement subtile et précise. Elle n'attendait pas un coït ou un baiser pour signaler l'infidélité. Non. Elle envoyait une alarme au moindre trouble ressenti en présence d'un autre être humain. Un échange en MP avec un(e) inconnu(e) sur facebook, un croisement de regards à la boulangerie, un effleurement de bras dans les transports en commun provoquaient dans l'instant une réaction de la puce qui envoyait au partenaire l'information accompagnée d'une analyse fine de l'émotion ressentie.

    En quelques mois on assista à une ascension exponentielle du taux des divorces et séparations. Du jamais vu dans l'histoire de l'humanité. Les villes et les campagnes du monde explosaient hystériquement à chaque coin de rue. On voyait sur les trottoirs des hommes supplier à genoux leurs compagnes, criant, niant, jurant sur tous les dieux leur fidélité, leur amour inconditionnel. On voyait des femmes s'accrocher aux jambes de leurs compagnons se lamentant, clamant leur allégeance et leur adoration. On a même vu à cette époque des scènes sanglantes d'auto-mutilation et d'extraction de puces à vif sur la place publique.

    La faillite de l'entreprise internationale fut aussi instantanée que l'avait été son succès (cependant, les dirigeants avaient eu le temps d'amasser un beau pécule leur permettant d'investir dans un nouveau gimmick révolutionnaire).

    Peu à peu la vie reprit son cours. Les amants s'observaient à présent avec un peu plus de suspicion qu'avant la chose mais se gardaient bien de trouver les moyens de donner raison à leurs doutes.

     

     

     

     

     

    Image : Celos por Julio Romero De Torres (1920). Joaquín Alcaide de Zafra

  • Ficoïde glaciale

    En matinée, chez Danny, son coiffeur attitré, elle refit sa couleur Rose Gold châtain. Puis, elle passa deux heures à l'institut de beauté pour un gommage de cellulite, un modelage anti-ride à la Ficoïde glaciale et une épilation intégrale. En début d'après-midi, elle acheta un nouvel ensemble culotte-soutien-gorge en soie prune dans une petite boutique de dessous chics du 6e arrondissement. Dans la cabine d'essayage, devant le miroir, elle félicita son assiduité aux cours de fitness et d'abdos-fessiers (son maître spirituel aurait loué sa bienveillance envers elle-même). De retour chez elle, elle prit le temps de choisir la toilette la plus élégante de sa garde-robe, une petite robe noire sexy juste ce qu'il fallait pour son âge. Elle chaussa ses escarpins vernis de 7 cm et glossa ses lèvres avec le dernier Guerlain rouge infini.

    Quand elle arriva au cocktail annuel des magistrats du parquet, son mari lui offrit une coupe de champagne, puis passa la soirée à discuter avec la nouvelle stagiaire du procureur général.

    Elle s'ennuya beaucoup, comme d'habitude.

     

     

     

     

    Morning Sun by Edward Hopper

  • Sur leur dos

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    Pendant qu'on suçote nos berlingots de lait concentré et que le mono à la guitare joue de la guitare, Géraldine Tomasi perce les boutons d’acné sur le dos de tous les jolis garçons de la colo. C'est la seule faveur qu'ils lui accordent depuis le début du séjour. Ils sont tous amoureux de Katia Bertin qui, elle, est amoureuse du mono à la guitare. Elle lui demande de rejouer La Bombe humaine. Sonia me glisse à l'oreille qu'elle les a vu s'embrasser après la veillée d'hier soir vers les toilettes des filles. Mais tout le monde dit que c'est une mytho.

  • SALOPETTE

    salopette salopette salopette

    salo-pette salo-pette SALO-PETTE SALO-PETTE

    salo-pette salo-pette

    pette-salo pette-salo

    PETTE SALO PETTE SALO SALO

    PETTE PETTE PETTE

    PETTE SAL/

     

    Mme Bertinot interrompt de façon tout à fait triviale et inopportune ma première performance de poésie sonore en duo avec Patricia Messier sur un banc de l'école maternelle Henri Wallon à l'heure des mamans. Nos camarades de classe commençaient juste à manifester leur adhésion et leur joie.

    Elle nous met toutes les deux au coin parce qu'on dit des choses dégoutantes et ce sera répété aux parents.

    La tête contre le mur, je médite l'idée que la poésie,

    1- c'est pas très propre

    2- ça peut causer des ennuis

     

     

     

     

     

     

    reproduction : Erro, Canal Grande, 1976.

  • aquadynamique

    Une fois qu'elle eût pu faire abstraction de la musique zumba en fond sonore, elle eut soudain la vision repoussante de toutes les sueurs féminines et des peaux mortes mêlées dans l'eau du bassin d'aquagym et brassa à toute allure vers l'échelle.

     

    Son psy allait encore la gronder - ses amies lui assuraient qu'un psy "ne grondait pas", mais le sien, si, et il fronçait souvent les sourcils, ce qui la perturbait beaucoup - son mari secouerait la tête et lui dirait : "Tu ne finis jamais ce que tu commences", ses enfants se moqueraient de son poids et l'appelleraient "bouboule" toute la soirée .

     

    Quand elle revint chez elle, seul Paquito, le chien de la famille, l'attendait. Il lui fit la fête. Elle lui donna une friandise canine au fromage à laquelle il n'avait pas le droit car il était au régime lui aussi.

     

    Puis, il et elle firent une balade dans le parc à chiens voisin jusqu'à l'heure du retour des autres.

  • épaule tatoo

    Ils me tiennent à quatre par les chevilles et les poignets (avec ma capsulite rétractile, ça fait super mal). Ils m'obligent à choisir entre un tatouage tribal et un papillon. Ils me demandent : le bas des reins ou la cheville ? Comme je ne réponds pas et tente de leur cracher au visage, ils tatouent un dragon entouré de doigts qui forment un cœur sur mon biceps gauche. Je suis bien punie de mon indocilité.

    Je savais pourtant qu'être le seul être humain non tatoué sur terre finirait par me causer des problèmes...

  • L'immanquable

    Où es-tu ? que fais-tu ? toi, le jeune garçon que je ne connais pas encore mais dont le prénom va être tatoué à coups de gourdin dans mon cerveau dès le jour de la rentrée parce que tu vas te révéler instantanément rebelle, pénible, agressif, agité, provocateur.
     
    C'est ton prénom que je répéterai le plus souvent durant les prochains mois d'année scolaire, le prénom qu'entendront le plus souvent mes proches. Ils prendront, d'ailleurs, régulièrement de tes nouvelles quand je rentrerai de cours :
     
    Alors, Y, il était comment, aujourd'hui ?
     
    Eux non plus ne te connaissent pas mais tu feras bientôt presque partie de la famille. On t'évoquera aux veillées et même pendant les vacances.
     
    Tu seras la star de la salle des profs, aussi. Le champion toutes catégories des procédures disciplinaires, des conseils de régulation, des conseils de discipline. Ton nom sera sur toutes les bouches de l'équipe pédagogique.
     
    Peut-être seras-tu exclu définitivement pour un "Ta chatte !" au professeure d'art appliqué, un tabassage de camarade de classe en sortie scolaire au musée de l'imprimerie, une menace de mort sur un surveillant "ce bâtard".
     
    Au bout de combien de jours, de semaines, de mois ?
     
    Dans quelques années, je te croiserai dans un supermarché et tu me diras en souriant :
     
    Je vous aimais bien, Mme Wiart. C'était bien le lycée, vous vous souvenez ?
     
     
     
     
     
    Photo : Les Quatre Cents Coups de François Truffaut
     
     

  • Vivre ensemble

    C'est quand même drôle cette obsession de vouloir inculquer le "vivre ensemble" dans les quartiers dit "sensibles" à des gamins qui ne font que ça,
    VIVRE ENSEMBLE depuis leur naissance.
     
    Ben oui, ils n'ont pas trop le choix de toute façon. On ne peut pas vraiment se payer le luxe de faire son bégueule et de choisir son voisin et sa belle masure dans certains espaces de vie. Tu te poses là où on te dit et tu vis avec le décor et les gens. C'est tout.
    Et, je te jure que ça vit ensemble sans se poser trop de questions (parce que, parfois, y a de quoi devenir fou, si on s'arrête un peu).
     
    Mais ce qui est encore plus drôle (c'est une matinée à se gondoler) c'est de penser que ces gens qui prêchent à tout vent le VIVRE ENSEMBLE dans les textes officiels, eux, ne savent pas. Non seulement ils ne savent pas, mais ils ne font pas même semblant de le faire.
     
    Ils ont fait des études PAS ensemble, ils ont des maisons PAS ensemble, ils ont des vacances PAS ensemble, ils se déplacent PAS ensemble. Ou alors, si, mais un tout petit "ensemble" de rien du tout. Un tout petit ensemble tout rabougri. Un petit entre-soi racorni qui les éloigne de jour en jour un peu plus du GRAND ENSEMBLE.
     
    Alors on peut toujours jouer à qui vit le plus ENSEMBLE aujourd'hui et compter les grands inadaptés d'un côté et de l'autre mais je crois que le résultat ne plaira pas à tout le monde.

  • Septum

    Ça y est. Ça lui refaisait. Chaque fois qu'elle rencontrait une personne avec un anneau au septum, elle avait envie de tirer dessus. Une pulsion irrépressible s'emparait d'elle et elle devait se concentrer avec intensité sur les pupilles de son interlocuteur pour s'empêcher de loucher sur le bijou de nez durant la conversation.
    Ne regarde pas. Ne regarde pas. Ne regarde pas.
    Sa main droite se crispait dans la poche, retenue par la gauche.

    Un jour, elle le savait, l'instinct morbide prendrait le dessus et elle tirerait. C'était fatal.

    Sera-ce alors un soulagement infini ? La fin d'un désir assouvi ?
    Ou la genèse d'une série tragique.

    Cela l'inquiétait un peu, quand même.

  • Goldorak

    Quand les deux enfants, qui font la manche au feu rouge d'une sortie d'autoroute lilloise, voient la dépanneuse arriver pour embarquer la vieille Ford sur l'aire de stationnement, ils accourent pour observer les manœuvres du gros engin. Ils jettent de temps en temps, dans notre direction, un coup d’œil qui ressemble à un haussement d'épaule compatissant devant le spectacle. La petite finit par s'approcher de moi pour me demander des sous. Je lui donne le peu de monnaie que j'ai. Elle me remercie dans un français approximatif et rejoint le garçon. Ils comptent les pièces, mais c'est le spectacle du tractage de la voiture qui les intéresse. Je comprends. Quand j'étais enfant et que je collectionnais les petites voitures, j'avais une affection particulière pour les véhicules de chantier et de génie civil : la grue, le bulldozer, la pelleteuse, la chargeuse, le rouleau compresseur... J'imaginais qu'en les conduisant on devait faire corps avec la machine et qu'on devenait la tête pensante d'une sorte de robot géant. Comme dans Goldorak.

    Goldorak ne devait certainement rien évoquer aux deux enfants à côté de moi, mais ils avaient d'autres Transformers en tête.

    Je les ai vus, là, pris dans leurs pensées de gosses et j'ai eu envie de les photographier avec mon polaroid. Pas pour moi, mais pour leur laisser, à eux deux, une trace de l'instant. Une mémoire de la dépanneuse, de la vieille Ford, de leur bout d'enfance à la sortie d'une autoroute du Nord de la France. De nous quatre sur cette aire de stationnement.

    J'ai sorti mon appareil et je me suis posée devant eux en leur faisant comprendre que je voulais les prendre en photo et que cette photo serait pour eux.  Ils n'ont pas compris. Ils ne voulaient pas être pris en photo. Mais j'ai quand même appuyé sur le bouton. La petite a tourné le dos à cet instant. Le cliché est sorti, je leur ai donné. Ils se sont demandés ce que je leur tendais. Le polaroid était encore blanc. Le garçon le tournait entre ses doigts en levant les épaules pour manifester son incompréhension. Je leur ai fait signe d'attendre. Et, l'image est apparue, progressivement. Ça les a fait sourire, puis rire. Moi aussi. Ils m'ont demandé dans une langue que je ne comprenais pas, un peu coupée de français, si je pouvais faire un autre cliché car la fille était de dos. Mais c'était la fin du film, je n'ai pas pu (j'avais pris en photo, juste avant, la Ford qu'on ne reverrait peut-être jamais). Ils n'arrêtaient pas de se chamailler le polaroid en riant. La petite regrettait d'avoir tourné le dos, ça se voyait. Mais ça donnait à la photo un truc en plus dans l'empreinte du moment.

    Des trombes d'eau se sont mises à tomber.

    Quand on est passés sous le pont de l'échangeur, en direction de l'agence de location de voitures, j'ai aperçu une dernière fois leurs petites silhouettes penchées sur la photo. Je leur ai fait signe, mais ils ne m'ont pas vue.

  • Le caddie de Sophie Marceau

    Le 3 août 2018, Sophie Marceau en eut assez de faire ses courses sur internet. Elle avait envie de parcourir comme tout le monde les rayons frais des supermarchés pour acheter ses yaourts grecs en direct live. A 13 h 15, elle mit une perruque rousse à longue frange et partit à l'aventure. Elle s'amusa beaucoup, dans les premiers temps, à pousser le caddie et à y déposer des denrées alimentaires variées des marques Repère et Eco +, elle se réjouit encore un peu devant les produits cosmétiques soldés de la marque Nivea (3 crèmes Q10 achetées, la 3e remboursée grâce au bon d'achat), elle commença à s'ennuyer un brin au rayon fruits et légumes, s'étiola à vue d’œil dans l'allée Petit déjeuner-céréales-biscottes et abandonna son chariot à une caisse, à 14 h 23. La file d'attente était trop longue et elle avait rendez-vous avec son masseur à 15 h.

    La prochaine fois, elle demanderait à Juliette Binoche - qui n'avait pas trop le moral en ce moment - de l'accompagner. Ce serait plus rigolo avec une copine.