Clémentine, assistante d’éducation (terminologie qui a pris le relai de « pionne » dans les années 2000) a créé un atelier d’ « éducation au féminisme et à la sexualité » dans un lycée professionnel du bâtiment et des TP de la banlieue lyonnaise. 
12h30, salle du foyer. Des élèves autour de plusieurs tables en U : Cynthia, Marion et trois autres adolescentes. 
 
Cynthia 
 
Hé ! Clémentine, ça va ça, comme slogan ? 
ME TOUCHE PAS PELO OU JE TE DEFONCE LE CERVO
 
Clémentine 
 
Oui, c’est bien Cynthia, pas mal… Peut-être un peu agressif…
 
Cynthia
 
Quoi agressif ? T’as dit que les mecs y z’ont pas le droit de nous toucher sans qu’on soit d’accord, le message il est clair là, non ? Le premier qui me touche, je lui dézingue sa mère.
 
Les trois filles en chœur 
 
Ouais, les Cailleras !  JEAN-JO en force !
 
 Clémentine 
 
Oui, bon, les filles, calmez-vous. Il faut qu’on avance. Vous n’avez fait que deux affiches, ça fait deux semaines qu’on est dessus, il faut qu’on soit prêtes pour le 8 mars… Marion, tu me laisses lire ta proposition ? … (Marion tend sa feuille Canson, Clémentine lit) « Les garçons et les filles, main dans la main à Jean Jaurès »… 
 
Cynthia
 
« main dans la main » ? T’es dingue toi ? T’as entendu ce qu’on a dit la dernière fois à l’atelier ? On fait des slogans pour que les gars ils comprennent que notre corps y z’y ont pas accès, c’est NON ; et toi, tu veux qu’ils nous tiennent la main ? T’es à la ramasse comme d’habitude !
 
Clémentine
 
Cynthia, Marion a le droit de s’exprimer. Son message est une invitation à la pacification des relations entre garçons et filles. C’est ça, Marion ?
 
Marion
 
Oui, c’est ça… Dis, Clem, Je peux te dire quelque chose ? Ça me gêne des fois ce qui se dit dans l’atelier, ce qui s’y passe…
  
Clémentine 
 
Tu veux dire que parler de sexualité te gêne, c’est ça ? Tu penses que ce qui a trait à la sexualité est tabou… sale ? 
 
Cynthia 
 
Ouais, c’est dég le sexe, grave !
 
Clémentine 
 
Cynthia, c’est pas à toi que je m’adresse.
 
Marion 
 
Non, non ; c’est pas du tout ça. A la maison on parle de tout ça, j’ai pas de problème avec ça, au contraire, je participe à cet atelier parce que je sais que tout le monde n’a pas cette ouverture et que c’est la source de beaucoup de malentendus entre garçons et filles justement. C’est bien que cette action ait lieu dans un lycée du bâtiment où les filles sont minoritaires.
 
Cynthia 
 
Allez, vas-y, elle refait son intelligente et blablablabla… C’est bon, dégage avec tes grands mots…
 
Clémentine 
 
Tu n’es pas choquée alors ?
 
Marion 
 
Non, pas du tout. Je voulais te parler de l’action que tu as proposée la semaine dernière… que tu as appelée : « Commando Banane ».
 
Cynthia 
 
C’est quoi ça ? J’étais pas là, Clémentine ! Clémentine-Banane, haha, la vie de ma mère, morte de rire les gars ! (rire des trois filles) 
 
 Clémentine 
 
Alors, oui, pour les absentes, je rappelle : des filles m’ont rapporté que quand elles mangent des bananes à la cantine, des garçons font des gestes déplacés. Du coup, elles n’osent plus en manger. 
 
Cynthia 
 
Quels gestes ?
 
Clémentine
 
Ben, vous savez, des gestes avec une banane dans la bouche… comme ça…
 
Cynthia 
 
Des gestes de grosses pipes, quoi ! 
 
Clémentine
 
Oui, voilà des gestes mimant une fellation. 
 
Cynthia 
 
Sales chiens ! Le mec qui me fait ça, je le défonce à coup de plateau cantine.
 
Clémentine 
 
Oui, donc… je proposais que le 8 mars, lors de notre journée de sensibilisation au respect des filles et des femmes dans la société, les filles prennent toutes des bananes à la cantine et les mangent bien en évidence devant les garçons en disant : humm, c’est bon les bananes, j’aime manger des bananes en prenant le temps de les déguster longuement devant eux. Comme un message, vous comprenez, une réappropriation du fruit et du plaisir qu’une fille peut avoir à le manger sans arrière-pensée. Quelque chose te gêne là-dedans, Marion ? 
 
Marion 
 
Tu ne trouves pas que c’est une provocation un peu… puérile ? 
 
Cynthia 
 
Putain, mais dis des mots qu’on comprend ! 
 
Clémentine 
 
Puérile… Que veux-tu dire par là, Marion ?
 
Cynthia 
 
Tu vois, même Clem, elle comprend pas quand tu parles. 
 
Marion 
 
Je veux dire que ça n’aura pour effet que de rendre les garçons plus agressifs, non ? Ils vont se sentir mal et vont réagir violemment. Et puis, tous les garçons à la cantine ne se conduisent pas comme ça, on met tout le monde dans le même panier, ça risque de gêner ceux qui n’y sont pour rien… Enfin, je sais pas, je trouve que c’est pas une bonne idée… 
 
Clémentine 
 
Décidément, Marion, aucune de mes idées ne te plait, c’est comme ça depuis le début. Tu rechignes à tout. Tu penses qu’on peut faire évoluer les mentalités avec des slogans tout mous comme les tiens ? « main dans la main ». Cynthia a raison, ça manque de… poigne ! 
 
Cynthia 
 
Ça manque de couilles ! Clem, passe-moi une banane, je vais lui montrer comment on fait sa chaude … hummmm ouiiii… BANANAAAAA !
(rire des trois filles)
 
Marion 
 
C’est comme les badges…
 
Clémentine
 
Quoi ? Les badges maintenant. Ils ne te plaisent pas non plus ?
 
Marion 
 
Je ne me vois pas porter un badge sur lequel est inscrit en gros JE SUIS UNE PUTE.
 
Clémentine 
 
Et pourquoi donc ? 
 
Marion
 
Je comprends bien que tu veux reprendre les phrases que les filles entendent de la bouche des garçons, jouer sur l’effet miroir, mais je pense que ce sera contre-productif au lycée. 
 
Clémentine 
 
Tu prends les autres pour des imbéciles en fait, Marion ? Tu penses que toi seule es apte à comprendre l’ironie, le second degré, l’humour mais que les autres sont des truffes, c’est ça ?
 
Marion
 
Je crois que je vais quitter le projet, en fait, Clémentine. C’est pas contre toi, hein, tu fais ce que tu peux mais…
 
Clémentine 
 
Je fais ce que je peux ?! Non, mais tu t’entends petite sainte nitouche ? Je suis en master de sociologie, je suis en train de rédiger un mémoire sur les discriminations genrées dans les sociétés occidentales et tu viens me donner des leçons de pédagogie ?! 
 
Marion
 
Non, pas du tout… je…
 
Clémentine
 
Très bien, vas-y, la porte est grande ouverte.
 
Cynthia 
 
Ouais, dégage, l’intello ! Va sucer les CAP maçons !
 
Clémentine 
 
CYNTIA ! SHUT UP !