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  • Taille M

    Il avait été un bébé moyen, un enfant moyen, un adolescent moyen. Déjà, en classe de maternelle, les pastilles vertes du cahier de suivi des apprentissages - nommé plus tard « cahier de réussites - témoignaient d’une progressivité étonnamment régulière et constante sur le premier cycle. Il avait su lacer ses chaussures à l’âge moyen auquel tous les enfants savent le faire, il avait appris à lire dans le temps imparti à cette activité. Là où certains de ses petits camarades étaient diagnostiqués précoces - on dira plus tard « élève à haut potentiel - lui, avançait tranquillement, à son rythme, sans être non plus à la traîne. Il n’était ni gaucher, ni daltonien, ni myope ni rien d’autre qui aurait pu le distinguer de la masse des individus de sa classe d’âge. Sur ses bulletins scolaires les deux formules les plus utilisées par les professeurs furent « élève moyen » et « résultats moyens ». Plus tard, au collège, son physique moyen n’engendra ni admiration ni moquerie. Il était de taille moyenne, de poids moyen, les traits de son visage étaient parfaitement normés. Aucun signe particulier n’aurait permis de le décrire. Quand il manquait à l’appel, le groupe s’en rendait à peine compte. Son prénom rentrant dans la catégorie des prénoms masculins les plus donnés l’année de sa naissance, personne ne le retenait particulièrement. De l’enfance à l’âge adulte, aucune flamme artistique, sportive, quotidienne ou professionnelle ne l’anima. Ses patrons avaient toujours été satisfaits de ses services mais il n’accepta aucune promotion interne. La compétitivité et le challenge ne l’intéressaient pas. Les responsabilités encore moins ce qui le rendait sympathique auprès de ses collègues qui ne se sentaient pas menacés. Il entretenait des relations cordiales, dépourvues de passion, avec ses voisins, sa famille, ses amis. Il vécut une existence moyenne et tout à fait satisfaisante en compagnie d’une femme qui aimait sincèrement sa moyenneté et avec laquelle il fut heureux ne cherchant pas ailleurs plus de joliesse ou d’originalité.

    Son exceptionnelle dimension moyenne était une sagesse que peu de ses contemporains lui reconnurent trop occupés qu’ils étaient à épater la galerie par des gesticulations spectaculaires.

  • LIKE

    Adèle s’est fabriqué un petit algorithme personnel : grâce à lui, elle comptabilise les pouces levés et les cœurs figurant sous ses statuts Facebook et sait précisément qui a liké, à quelle heure et combien de fois dans la journée. A partir de ce savant décompte, elle statue sur l’autorisation qu’elle accorde à ses « amis virtuels » d’intervenir ou pas sur son mur. A moins de trois « likes » par semaine sous ses nouvelles parutions, elle proscrit tout commentaire étranger et renvoie les importuns à leur incivilité. D’ailleurs, elle s’applique cette règle à elle-même : elle a un taux de pouces à distribuer au prorata de l’intérêt personnel qui en découle. Quatre par semaine sous le statut de ce nouvel éditeur qui remarquera peut-être ses textes, trois sous celui de cette autrice un peu visible dans le champ littéraire de la blogosphère, deux autres sous les statuts de ce joli artiste au regard mélancolique qu’elle pourra peut-être sauver de lui-même.

  • COREP

    Le jeune homme de la COREP s’inquiète de l’aspect de mon manuscrit.

     

    - Vous avez ce qu’il faut pour le relier ?
    - Oui, j’ai des baguettes.
    - C’est tout ?
    - Oui. Ce n’est pas suffisant ?
    - Je pense que les éditeurs préfèrent qu’il y ait une fiche plastifiée devant.
    - Ah ?
    - Oui, ça rend mieux. C’est 40 centimes par fiche.
    - Bon d’accord, mettez-m’en 10.
    - Oui, mais, vous avez pensé au dos ?
    - Le dos ?
    - Oui, une feuille cartonnée en dernière page.
    - Ah non. Non plus.
    - Ah… Alors laissez tomber le plastique si vous n’avez pas de dos.
    - Ah bon. D’accord.
    - Oui…
    - Je vous sens désappointé… Vous trouvez qu’il fait un peu trop cheap comme ça, mon manuscrit ?
    - Un peu…
    - Vous savez, je pense que la plupart des éditeurs jettent un premier coup d’œil très rapide sur les manuscrits qu’ils reçoivent, lisent les premières pages, les dernières, quelques-unes au milieu et ne s’éternisent pas sur l’aspect esthétique de l’objet… 9 sur 10 finissent en quelques minutes sur un tas de feuillets non lus abandonnés dans un couloir ou un coin de salle. Mais je me trompe peut-être.
    - Quand même, le plastique, c’est plus attrayant.
    - Alors, disons que le côté baguette-papier correspond plus à ma personnalité : j’aime bien l’aspect brut des choses, je ne suis pas trop ruban doré sur les papiers cadeaux, plastique autour des fleurs.
    - Bon, moi, je disais ça, c’est pour vous…
    - Et c’est très gentil de votre part. D’ailleurs grâce à vous je pourrai me dire que si ce manuscrit ne reçoit que des réponses négatives, ce sera avant tout à cause de la faiblesse de l’emballage. Cette petite consolation me sera très précieuse.

  • publiable

    J’ai 15 ans et j’entreprends de sélectionner dans ma pochette de textes ceux qui seraient dignes d’être publiés dans des revues « littéraires ». J’écarte donc toutes mes nouvelles grinçantes et drôles, mes récits d’horreur, mes récits fantastiques ou ces fausses lettres que je m’amuse à écrire et qui constituent une galerie de portraits caustiques sur le genre humain, bref, tout ce qui me ressemble le plus ; rien de tout cela ne me semble être à la hauteur de ce que je pense être un texte « publiable ».

    En un mot, je rejette tout ce que je prends le plus de plaisir à écrire pour ne garder que les textes les plus lourds de mon classeur. Lourds en idées, lourds en forme. Mauvais. Et écrits avec peine. Parce que je pense alors que les textes que je dois envoyer pour être en phase avec l’idée que je me fais du monde poétique et littéraire sont forcément des textes « pénétrants » et « graves » qui révéleront aux lecteurs ma profondeur intrinsèque et ma riche intériorité. Me voilà en pleine posture et imposture. Et, bien sûr, personne pour me le dire. Mais j’ai 15 ans et ce n’est pas si grave.

     

    Heureusement, passé 30 ans, plus personne n’agit ainsi, plus personne ne prend des poses d’écrivain, plus personne ne se fait une fausse idée de ce qu'est la littérature, la poésie, plus personne n'essaie de séduire le lecteur quitte à y perdre sa vérité, plus personne n’essaie de coller à...

     

    Ce serait si grotesque et la supercherie serait si vite démasquée.

  • King Kong Skate

    Le jeune homme qui monte dans le bus C 18 tient dans la main droite un skate, dans la main gauche, le livre King Kong Theorie version poche. 

     

    L'alliance des deux objets ne me semble pas une sotte idée pour faire une apparition remarquée et raisonnée sur le territoire des adolescentes croix-roussiennes version Néo-Féministes-Warriors.

     

    Virginie Despentes servira de sésame.  Le skate, lui, permettra la fuite rapide en cas d'impair sexiste involontaire.

  • Deux tonnes, je pèse

    J’ai beau essayé de marcher à tâtons, je pèse deux tonnes.

     

    Deux tonnes de convictions, d’opinions et de pensées.

     

    Je participe au grand brouhaha informe.

     

    Deux tonnes, je pèse.

     

    Ajoutons-y une tonne d’images de moi pour prouver aux autres que j’existe.

     

    Une tonne qui comprend cinq cents kilos de mensonges à la louche que je ne décèle pas moi-même, trop occupée à les nourrir à mon insu.

     

    Lourde et lestée de tant de charges inutiles.

     

    Une montgolfière se contentant du sol : voilà ce que je suis.

     

     

     

     

     

     

    Illustration : https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=607193

  • Dans la vie

    Sur Facebook, il passait pour un homme attentif au monde, altruiste et généreux, défenseur des belles causes, protecteur de la nature, sensible au sort des femmes, sensible tout court, humaniste, "artiste" à ses heures, bon compagnon, dévoué, fraternel, charitable, philanthrope et désintéressé.
     
    Dans la vie réelle, il fallait bien l'avouer, il n'était qu'une grosse fiente.

  • Même dans la famille Chedid, on s'engueule

    Non, il ne faut pas croire, même dans la famille Chedid on s’engueule parfois, c’est pas tout rose-tout rose contrairement à ce qu’on veut nous faire croire.
    Parfois Anna dit à Mathieu « Tu peux arrêter avec ta voix-là ? C’est crispant à la fin ! » tandis que lui maugrée « Tu fais du plagiat de moi depuis le début, cornichonne », Louis tapote la tête de ses enfants avec tendresse « C’est pas bientôt fini les loustics ! » tandis que Mathieu poursuit Joseph qui lui a encore piqué une de ses tenues de scène « Bon, si c’est comme ça les enfants, je ne vous montrerai pas les paroles de ma nouvelle chanson » « Oh, tu sais papa, on n’y tient pas vraiment, ça doit encore parler de gens qui s’aiment et qui se le disent parce que la vie est trop courte » « Ah, oui, comment tu as deviné Joseph ? » « Comme ça, papa, comme ça ». « Bon, on répète notre show familial ou quoi ?! » s’impatiente Mathieu « Oui, c’est bon, arrête de jouer les chefs, espèce de saucisson à l’ail ! » ronchonne Anna.

     

    Dans son cadre en bois, Andrée bâille et s’endort.

  • Je suis un soir d'été 2017

    Répliques indépendantes d'un soir d'été. Croix-Rousse :

     

    - Je n'aime ni le reggae ni Bernard Lavilliers.

     

    - Gérard Lenorman, il me fout les jetons.
    - Ouais, la chanson du dauphin, c'est flippant.

     

    - William Sheller, j'ai toujours pensé qu'il était homo.
    - Oui, il aime les pianos.

     

    - Il reste des saucisses.

     

    - Mais si, on en a parlé sur fb, c'est Rodolphe Burger !

     

    - "J'aime la morue, le maquereau et la crevette" (chanté sur l'air du renard et la belette)

     

    - A l'école maternelle, j'avais un camarade qui s'appelait Krishna.

     

    - La dernière fois que je l'ai croisée au rayon yaourts, à l'Intermarché, je lui ai dit :  "Mais ton fils, il n'en a pas marre des yaourts à la grecque ?"

     

    - Je ne peux pas me coucher sans me doucher
    - Mais, je peux me doucher sans me coucher.

     

    - Ouais, vous vous moquez, mais aux prochaines vacances vous serez bien contents de venir en Crète.
    - Oui, on t'aime.

     

    - Elle m'a accueillie toute nue avec des collants chair. Elle était glabre.

     

    - Ça, c'est les pentes de la Cx-Rousse. Tu croises des artistes, ils te disent "J'ai un projet, mais je ne peux pas t'en parler encore". Tu les recroises un mois après : "Alors, ton projet ?" " Ca n'a pas marché mais je préfère ne pas en parler... Mais, j'ai un autre projet. Je ne t'en parle pas, hein, ça risque de me porter la poisse."

     

    - J'ai eu les jetons de Nicoletta quand je l'ai rencontrée. Elle chantait : "Sois naturelle, sois belle". Elle avait une grosse couche de fond de teint.

     

    - Nicoletta, elle m'a dragué toute une soirée quand j'avais 20 ans.

     

    - Angelo Branduardi, il me fout les jetons, aussi.

  • Denise Glaser

    Dans les années 60, Denise Glaser est assise aux pieds de ses invités à terre collée à la chaise du chanteur, de la chanteuse qu’elle interviewe, le cou tendu vers lui, vers elle, en toute proximité, ou chaise contre chaise, genou contre genou, presque front à front, son regard direct planté dans celui de l’autre. Elle pose des questions simples et intelligentes. Elle n’a pas peur des silences. Elle s’engage respectueusement dans l’intime et laisse au convive le temps de se dévoiler.

     

    Elle est au service.

     

    "Il", présentateur vedette des années 2020, narquois, goguenard et familier, tutoie, n’écoute que ses questions et, se tenant à distance sous les projecteurs, glorifie son égo adipeux avec la complicité d’un public qui rit et applaudit quand la petite lumière rouge clignote.