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Troubles du voisinage

Le voisin du troisième étage était venu le premier jour du confinement taper à sa porte :

 

- Bonjour, je suis votre voisin du dessous.

 

- Enchantée ! Oui, nous nous sommes croi…

 

- Oui, bon. Je voulais vous dire que votre musique est trop forte, je ne vais pas supporter ça longtemps.

 

- Oui, bien sûr. Je vais baisser le son. Ceci dit, si je peux me permettre, je voudrais vous faire remarquer que le niveau de volume n’est pas si…

 

- Au revoir.

 

Il avait tourné les talons.

 

Elle avait baissé le volume qui n’était déjà pas bien élevé. Sa pire angoisse aurait été d’être en froid avec ses voisins. Elle était nouvelle dans l’immeuble et s'était jurée d’établir des relations cordiales avec ses occupants. Elle avait vaqué toute la journée à ses occupations quotidienne, fait un peu de ménage, quelques exercices de gym et elle était en train de regarder un film quand elle entendit frapper de nouveau à sa porte.

 

- Vous le faites exprès ou quoi ?

 

- Pardon, je… ?

 

- Qu’est-ce que je vous ai dit pour la musique ?

 

- Ah, désolée, je regarde un film… Le son est juste moyen. Vous voulez entrer pour vous en rendre compte par vous-même ?

 

- Non.

 

- Non, quoi ?

 

- Non, ça ne m’intéresse pas. Vos perceptions auditives semblent défaillantes, chère madame. Le son de votre téléviseur me gêne, il n’y a pas à discuter. J’aimerais passer des soirées tranquilles. De plus, vous avez passé l’aspirateur à 14 h, heure à laquelle je fais ma sieste, vous avez sautillé à 17 h, juste au-dessus de ma tête quand je lisais un rapport d’activité de l’Inspection générale de l’Education nationale. C’est insupportable.

 

- Je fais de la gym. A la télé, ils disent qu’il faut bouger son corps quelques minutes par jour pour rester en bonne santé durant la période de confinement.

 

- Je ne veux pas entendre votre corps bouger au-dessus du mien. Vous pensez que vous pouvez débarquer dans une copropriété et faire fi des règles les plus élémentaires de savoir-vivre ? Je vous préviens que la Régie de l’immeuble en sera avertie, on en a chassé de plus coriaces que vous !

 

Il était revenu trois fois le lendemain pour se plaindre du bruit du presse-fruit électrique, du miaulement du chat, de la sonnerie du téléphone, de ses pas sur le plancher. Elle n’osait plus se déplacer dans son appartement que sur la pointe des pieds, ne s’avisait plus d’ouvrir ou de fermer les volets. Elle écoutait sa musique et la radio au casque et restreignait ses exercices physiques à des mouvements de moulinets des bras.

 

Une suée froide lui glaça le dos quand elle entendit, à 23h30, le toquement de porte. Sans doute son ronflement trop sonore. Des amygdales un peu plus volumineuses que la moyenne en étaient la cause depuis son enfance. Elle plaqua son œil sur le judas et vit son voisin flanqué de deux policiers portant des masques chirurgicaux.   

 

- Madame Agnelle. Vous êtes accusée d’atteinte à la tranquillité des citoyens de cette copropriété. Malgré les avertissements répétés et cordiaux de M. Lupus, vous n’avez fait qu’envenimer la situation par la multiplication d’actes inciviques provocateurs. Vous réglerez donc, dans un premier temps, cette amende pour troubles de voisinage. Si cela ne suffisait pas, des travaux d’intérêts généraux vous seront assignés. Bien sûr, il ne tient qu’à vous que la sanction ne s’alourdisse pas d’une peine plus répressive. Vous ne portez pas votre masque anti-covid 19 ?

 

- Je vis seule chez moi…

 

- Et alors ? Votre voisin prend des risques en venant frapper à votre porte, nous sommes nous-mêmes en première ligne. Avec des gens comme vous, pas étonnant que l’épidémie prolifère. Nous ajoutons une contravention pour non-port de masque en réunion publique.

 

- Je vous assure, j’ai voulu en acheter un, je n’en ai pas trouvé… le gouvernement n’a…

 

- Bien sûr, c’est la faute de l’Etat ! Espèce d’anarchiste, gauchiste, féministe, hystérique ! ESPECE DE FOLLE !

 

avait eu le temps d’hurler son voisin sous son masque avant qu’elle ne ferme la porte.

 

Cette nuit-là, après s'être tournée dans ses draps en proie à une horrible agitation, culpabilisant de son incapacité à s'intégrer dans un groupe social quel qu'il soit, elle poussa un tel hurlement de terreur pendant son sommeil que l’immeuble entier en fut ébranlé jusque dans ses fondations.

 

Son compte était bon.

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