Ses fans aimaient qu’il souffre. Il ne pouvait se payer le luxe d’aller bien, de manger sainement, de connaître un amour fidèle et serein. Ils lui en voudraient passionnément. Non. Il devait en baver, avoir mal, endurer et écrire des textes à la hauteur de son tourment. Ses amours devaient être aussi torturées que malheureuses, sa sexualité devait sentir le souffre, son addiction à l’alcool devait se vivre comme un suicide lucide et revendiqué. C’était le contrat tacite passé avec ses groupies. Et, ils ne lui laissaient aucun répit. Les femmes continueraient à liker ses poèmes et à acheter ses livres à condition qu’il persiste à paraitre aussi libre qu’un étalon sauvage, les hommes l’aimeraient jusqu’à la mort à condition que ses textes fassent écho à leur propre détresse existentielle. Pourtant, même Iggy Pop avait fini par confier à Paris Match qu’il ne carburait plus qu’à la tisane bio depuis 15 ans et qu’il menait une tranquille existence de petite vieille à la retraite dans sa maison des Caraïbes ! Mais lui… Il ne pouvait pas avouer qu’il allait manger à Francheville chez ses gentils parents tous les dimanches depuis 30 ans et que son enfance n’avait rien à voir avec le mythe crasseux qu’il s’était fabriqué au début de sa carrière de poète. Il perdrait tout du jour au lendemain.
Il se mit à son bureau, « Putain, 6h du matin et l’envie de me flinguer. Ça tombe bien, l’ambulance est déjà en bas. Le petit vieux du 2e vient de clamser » puis fit chauffer la bouilloire pour goûter la concoction à base de bardane et de tilleul composée par sa mère. Dépurative et apaisante.