Elle dévorait ses amants. Ceci n'est pas une métaphore. Elle les mangeait réellement. Mais pas tous de la même façon. Elle avait une vision culinaire pour cuisiner chacun d'eux selon l'histoire vécue. Si le prétendant lui avait donné du fil à retordre et s'était montré particulièrement rustre, elle le grillait à point et l'agrémentait d'une sauce très pimentée parfumée au whisky Jack Daniel's sur son barbecue Alice's garden. Si le bien-aimé s'était révélé doux et dévoué, elle le laissait mijoter amoureusement pendant quatre heures, parfumant le bouillon d'aromates variés (graines de fenouil, curcuma, coriandre, citron séché, cumin noir... ) qu'elle prenait soin de commander en ligne sur le site d'une boutique bio engagée dans l'agriculture durable. La viande était alors fondante et les arômes explosaient successivement en bouche au moment de la dégustation. Elle retrouvait alors la tendreté de l'homme qui l'avait serrée dans ses bras durant quelques mois.
Elle n'avait eu de cesse, les vingt dernières années de sa vie, de perfectionner ses recettes les plus savoureuses et avait créé des plats inédits dignes des plus grands chefs. Les clients du restaurant qu'elle avait fini par ouvrir glorifiaient les dons exceptionnels de la cuisinière sur les blogs et les sites de gourmets. Elle s'attira une clientèle riche et gourmande et élit même quelques amants parmi les gastronomes en visite.
Le petit livret que l'on découvrit sous son matelas après sa mort contenait toutes les recettes consignées depuis le début de son entreprise. Chaque plat était baptisé d'un prénom masculin. On ne sut jamais quelle viande elle utilisait. C'était le secret qu'elle n'avait jamais dévoilé à la presse.
Le manuel de l'ogresse se vendit aux enchères à prix d'or.