La période de confinement de l’année 2020 avait connu une recrudescence spectaculaire des dénonciations entre voisins. Les autorités françaises avaient l’habitude des appels de délation qui s’apparentaient depuis longtemps à un sport national, mais cette période de crise avait vu exploser les standards téléphoniques des gendarmeries et des commissariats. Les appels anonymes dénonçaient tout et n’importe quoi, les enfants en train de jouer au foot à trois à l’entrée du lotissement, les deux amis qui se donnaient rendez-vous pour une balade quotidienne autour du pâté de maisons, le voisin qui sortait son chien plus de deux fois dans la journée, la maman célibataire qui faisait prendre l’air à son enfant de quatre ans, la vieille dame de la 3e allée qui sortait sans masque « et qui se mettait donc en danger »… La saturation des lignes empêchait la prise en charge d’actes graves si bien que la police, après avoir lancé des appels au mouchardage civique, se plaignait à présent de l’excès de zèle de la population.
Heureusement, des milices qui s’étaient formées dès le début du confinement et tournaient dans les ilots urbains dans le but de décourager les délinquants du confinement à coups de batte de baseball avaient pris le relai des agents de l’ordre pour les délester d’une part de leur mission. Ces groupuscules improvisés furent rapidement rejoints par certains membres des familles en deuil qui ne supportaient pas de voir avec quelle inconséquence les gens encore en bonne santé se permettaient de continuer de se déplacer, de sourire, de rire même, comme si de rien n’était. Il fallait les remettre à leur place, ces frivoles insouciants. Pour l’exemple, les membres de cette troupe armée choisissaient chaque soir un homme ou une femme au hasard – un hasard souvent guidé, cependant, par des critères partiaux prenant appui sur de vieux contentieux entre voisins ou sur une couleur de peau envisagée comme potentiellement à risque pour l’ensemble de la communauté – qu’ils lapidaient en place publique après les applaudissements de 20 h. C’était devenu, au bout de trois mois, le deuxième rendez-vous quotidien de nombreux français responsables et civiques qui érigeaient en valeur première la protection de leur beau pays confiné.
Commentaires
Ah oui c'est du lourd. Mais tout à fait vraisemblable.
Mais une façon très juste de nous rappeler un certain 21 Avril
les maux pour le dire...
Rassurons-nous, la fiction n'a jamais rattrapé la réalité dans l'Histoire littéraire !