Pendant trente ans, elle lui fit payer quelque chose qu’il ne savait pas. Il avait beau sonder leur passé commun, il ne voyait pas ce qui avait pu déclencher l’humeur maussade et revancharde de sa compagne. Au bout d’un certain temps, elle-même n’eut plus aucune idée de la source de sa contrariété. Cependant, certaine de la légitimité de son mécontentement, elle continua de le punir.
Quand elle geignit sur son lit de mort, il se pencha doucement vers elle avec l’espoir de connaître enfin la cause de son déplaisir mais elle se contenta de froncer une dernière fois les sourcils afin de signifier son entière et irréductible réprobation avant de fermer définitivement les yeux.
Bernard Buffet, La femme aux crabes, 1948