Comme on n’avait plus le droit de se déplacer sans une raison autorisée par l’état et que, parmi la liste des excursions non condamnables, la pratique d’une activité sportive telle que le jogging arrivait en bonne place, on avait vu naitre, en une courbe aussi exponentielle que celle dessinée par la prolifération du virus, de nouveaux adeptes de l’hygiène corporelle.
Ainsi, par exemple, les amoureux séparés dans la ville, enfilaient un survêtement et des baskets pour se rejoindre au pas de course et échapper ainsi à la suspicion de la police et de l’armée. Les solitaires non sportifs s’étaient mis à pratiquer le footing dans leur quartier afin de pouvoir prendre l’air en toute quiétude même s’il leur en coûtait et qu’ils crachaient leurs poumons. Les dealers, quant à eux, s’étaient vu dans l’obligation de tourner en rond au petit trot dans les espaces habituellement réservés au trafic tandis que leurs clients allaient et venaient à plus ou moins grandes foulées dans le but de se procurer les substances apaisantes qui leur permettaient de supporter l’enfermement.
La ville s’était en quelques jours transformée en un grand parcours de cross urbain sur lequel des individus évoluaient sans d’autre perspective de récompense que l’amélioration de leur performance cardiaque.
Bref, chacun se débrouillait pour continuer de vivre sa vie d’homme, de femme, d’amant, de célibataire, de drogué ou de trafiquant avec les moyens licites que la période lui accordait.
Seuls les sans-abris levaient la tête avec résignation vers ce monde mouvant qui, confiné ou pas, n'en finissait pas de les laisser pour compte.